- Le choc de la crise sanitaire
- Vers des aéroports durables
- L’amplification d’engagements déjà anciens
- Des objectifs ambitieux et un chemin clair pour les atteindre
- Des réalisations impactant le modèle économique dès 2025
- Comment convaincre ?
- Les bâtiments aéroportuaires
- Les transports en commun
- L’hospitalité des aéroports
- La gestion des données
- Bientôt l’avion à hydrogène ?
- La maîtrise des horloges
Exposé d’Amélie Lummaux
Je vais vous présenter la feuille de route stratégique du Groupe ADP (Aéroports de Paris) publiée en 2022 et baptisée « 2025 Pioneers ». Conçue comme un jalon par rapport à notre vision de la transformation du Groupe à l’horizon 2050, elle est destinée à lancer la transition vers un nouveau modèle aéroportuaire afin de nous mettre progressivement en cohérence avec nos engagements à atteindre la neutralité carbone pour 2030 et le ZEN (zéro émission nette) pour 2050 au plus tard.
Ce document marque un tournant dans notre histoire. C’est la première fois que nous définissons une vision stratégique dans laquelle les dimensions financière et industrielle, d’une part, et les dimensions RSE et transformation de l’entreprise, d’autre part, sont aussi étroitement imbriquées.
Le choc de la crise sanitaire
Le monde aéroportuaire a connu un profond bouleversement en 2020, avec la crise de la Covid-19. Non seulement le trafic aérien a brutalement chuté, mais nous avons ressenti très fortement une double injonction : entreprendre une transformation environnementale – aussi bien en matière de décarbonation que de qualité de l’air ou de préservation de la biodiversité – et faire évoluer nos relations avec notre écosystème territorial.
Historiquement, il existait une forme de dépendance entre le territoire et l’aéroport, dans la mesure où celui-ci desservait le territoire et lui fournissait des emplois ainsi qu’un moteur de croissance. Avec la crise sanitaire, l’aéroport est devenu, au contraire, un facteur approfondissant l'impact de la crise. L’activité aérienne a ralenti beaucoup plus fortement que l’activité économique en général, de nombreux emplois ont été supprimés et la population qui vit autour des aéroports, ayant dû se tourner vers d’autres activités, s’est rendu compte qu’elle n’avait pas forcément besoin de l’aéroport pour vivre. Nous devons désormais réussir à démontrer encore plus notre valeur ajoutée pour les territoires dans lesquels nous sommes implantés, d’autant que les aéroports génèrent aussi diverses nuisances.
C’est ce qui nous a conduits, en 2020, à définir notre raison d’être de la façon suivante : « Accueillir les passagers. Exploiter et imaginer les aéroports de manière responsable et à travers le monde. » L’hospitalité – ou qualité d’accueil – de nos aéroports est cruciale, c'est notre priorité au delà de la croissance.
Enfin, vouloir concevoir et gérer nos aéroports de manière responsable nous conduit à nous assurer qu’ils génèrent des bénéfices pour l’ensemble de leurs parties prenantes. Dans ce domaine, la feuille de route stratégique « 2025 Pioneers » se fonde sur trois grands axes : la nécessité d’accélérer la décarbonation du secteur aérien pour répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux ; la volonté d’accentuer la réduction des nuisances pour les riverains des aéroports ; la recherche d’un nouvel équilibre avec les territoires, compte tenu des impacts de la crise de la Covid-19 sur le développement économique local.
Vers des aéroports durables
Ces nouvelles exigences nous semblent compatibles avec le maintien du transport aérien, incontournable pour un monde ouvert et en paix. À lui de se réinventer pour se décarboner, d’évoluer vers une utilisation raisonnée en se limitant aux segments des voyages pour lesquels il est optimal et de s’adapter aux besoins du développement local.
Si les aéroports veulent contribuer à la décarbonation du transport aérien, ils doivent s’assurer de pouvoir approvisionner les compagnies aériennes en sources d’énergie durables, qu’il s’agisse de carburants d’aviation durables ou, demain, d’hydrogène, mais aussi, pour les véhicules au sol, de biocarburants, de GNL (gaz naturel liquéfié), d’électricité photovoltaïque (pour laquelle les aéroports offrent un potentiel intéressant) ou, à nouveau, d’hydrogène.
Ce n’est pas tout, car la transformation que nous visons ne concerne pas seulement la partie transport aérien, mais aussi la partie transport routier. Le lien entre les deux est la transition énergétique, qui doit nous permettre de nous affranchir des carburants fossiles. Aujourd’hui, sur les photos aériennes de l’aéroport Paris-Orly, on voit essentiellement du bitume et des voitures. Demain, l’aéroport deviendra progressivement une plateforme multimodale qui donnera accès au mode de transport offrant le plus faible impact environnemental en fonction des distances parcourues : le vélo pour les déplacements de moins de 5 kilomètres, les autobus, métros ou RER pour les déplacements de 5 à 10 kilomètres, le train pour les voyages en France ou dans des pays de l’espace Schengen proches, l’avion – aussi décarboné que possible – pour les voyages vers des destinations plus lointaines.
L’objectif est, à la fois, de favoriser la correspondance avec les transports collectifs ; de réduire les embouteillages sur l’autoroute à l’approche de l’aéroport ; d’augmenter le recours au train pour de longues distances, tant pour se rendre à l’aéroport que pour le quitter, notamment quand les passagers prennent des vols longs courriers ; de fluidifier les déplacements à l’intérieur de la plateforme – aujourd’hui, il est parfois nécessaire de prendre sa voiture pour se rendre à une réunion au sein de la zone aéroportuaire… ; ou encore d’améliorer l’accessibilité pour les salariés, en sachant que tous les ménages ne disposent pas d’un revenu suffisant pour s’acheter une voiture, ce qui crée une barrière à l’emploi.
Cette plateforme doit s’intégrer dans une planification territoriale globale afin de servir la stratégie économique locale, y compris si les orientations retenues ne concernent pas des secteurs dépendant historiquement de l’aérien, comme la logistique. Grâce à son offre de connectivité et à son offre énergétique, l’aéroport peut servir de moteur au développement d’activités à forte valeur ajoutée et contribuer à la réindustrialisation de son territoire.
En sachant qu’historiquement, une proportion significative des effectifs d’ADP est dédiée à la construction d’infrastructures, les aéroports doivent par ailleurs recourir à des modes constructifs et opérationnels durables. Il s’agit, désormais, de construire à la fois moins et mieux, ce qui n’est pas sans impact sur le modèle économique d’ADP.
Enfin, ces transformations ne concernent pas seulement les aéroports parisiens, mais également les autres aéroports que nous exploitons dans le monde, répartis en trois grandes plaques régionales. La première recouvre les différents aéroports parisiens. La deuxième comprend les 11 aéroports turcs et 3 aéroports situés en Asie centrale, pour lesquels nous avons signé un partenariat avec l’opérateur historique TAV Airports. La troisième est principalement située en Inde, avec les aéroports de New Delhi et d’Hyderabad, ainsi que des participations dans plusieurs aéroports asiatiques. À ces trois grandes zones s’ajoutent quelques aéroports isolés, comme celui de Santiago du Chili, celui d’Amman en Jordanie et ceux d’Antananarivo et de Nosy Be à Madagascar. La feuille de route s’applique à l’ensemble de ces 27 aéroports, même si le degré de maturité n’est pas le même partout.
L’amplification d’engagements déjà anciens
Pour sa nouvelle stratégie annoncée en 2022, le Groupe ADP n’est pas parti d’une feuille blanche. Il s’est appuyé sur des engagements très anciens en matière environnementale, notamment autour de la dimension du bruit, volet historique d’interface entre l’aéroport et son territoire. C’est, par exemple, en 1995 et 1996 qu’ont été construites les Maisons de l’environnement, implantées sur les sites des aéroports Paris-Orly et Paris-Charles de Gaulle. Ces structures ont servi d’espaces de dialogue et de débat entre les entreprises travaillant sur les plateformes aéroportuaires et les associations de riverains qui, après s’être constituées sur la thématique du bruit, ont plus récemment élargi leur périmètre de préoccupation aux enjeux de la qualité de l’air et du changement climatique.
Le Groupe ADP s’est également mobilisé depuis longtemps sur l’emploi et la formation des personnes vivant à proximité des aéroports, avec des organisations partenariales cherchant à s’assurer, en permanence, de l’adéquation entre les compétences présentes sur le bassin de vie local et les besoins des entreprises des plateformes aéroportuaires.
L’engagement actuel du Groupe ADP s’élargit cependant bien au-delà des engagements précédents, qui se concentraient sur la gestion des impacts des aéroports. Il s’étend en effet à l’ensemble de la chaîne de valeur du Groupe et des parties prenantes, incluant fournisseurs et clients. C’est ce qui nous amène, par exemple, à nous préoccuper de la réduction des émissions des avions en vol et à ne pas nous contenter de réussir à supprimer toute émission de nos infrastructures au sol. Cet engagement s’applique, par ailleurs, à l’ensemble des plateformes du Groupe.
Des objectifs ambitieux et un chemin clair pour les atteindre
En matière de lutte contre le réchauffement climatique, nous avons défini un chemin clair pour atteindre les objectifs de 2050. En 2025, la neutralité carbone sera atteinte pour les émissions internes d’ADP à Paris-Orly, puis, en 2030, dans tous les autres aéroports. Toujours en ce qui concerne les émissions internes d’ADP, nous atteindrons le zéro émission nette pour Paris-Orly, Paris-Le Bourget et New Delhi en 2030, et pour Paris-Charles de Gaulle en 2035, avant d’y parvenir en 2050 pour Ankara, Izmir, Amman, Liège, Zagreb et Santiago du Chili.
Un tournant majeur interviendra en 2030, avec, pour la première fois, une ambition dépassant largement le périmètre d’ADP proprement dit, puisque nous espérons atteindre le zéro émission nette au sol pour l’aéroport Paris-Orly, ce qui signifie qu’il n’y aura plus d’émissions au roulage avion ni d’émissions liées à l’accès des passagers et des salariés, c’est-à-dire à la circulation des véhicules sur la plateforme aéroportuaire.
Enfin, en 2050, nous parviendrons à la neutralité carbone des territoires des aéroports parisiens Charles de Gaulle, Orly et Le Bourget, en intégrant non seulement le roulage avion et les émissions des avions au sol, les trajets des salariés et des passagers depuis leur domicile ou leur lieu de départ, les émissions au sol de l’assistance en escale, mais également la croisière des avions au départ de ces aéroports jusqu’à leur atterrissage. Cette date de 2050 peut paraître tardive, mais, en dépit de tous les travaux menés actuellement sur la décarbonation du transport aérien, il paraît impossible d’atteindre la neutralité carbone dans ce secteur avant cette date, car cela nécessite de relever d’énormes défis technologiques et économiques.
Le premier levier pour y parvenir est celui des technologies et du renouvellement des flottes d’avions. Les nouveaux avions commercialisés produisent environ 30 % d’émissions de moins que la génération précédente. Les technologies de rupture telles que le recours à l’hydrogène n’interviendront pas avant 2035 ou 2040, et nécessiteront de trouver le bon équilibre économique entre la quantité d’hydrogène à emporter, le nombre de passagers accueillis et la distance parcourue, afin de rentabiliser la substitution de l’hydrogène au kérosène. D’ici là, le remplacement des avions les plus anciens par des avions modernes représentera déjà une réduction considérable des émissions.
Une réduction supplémentaire de 10 % des émissions peut être obtenue par : le recours à des énergies non carbonées pour le roulage au sol ; l’amélioration des techniques d’approche, en remplaçant la descente en paliers, qui suppose de relancer les moteurs à chaque palier, par la technique de descente continue ; ou encore l’uniformisation de la gestion des trajectoires à l’échelle européenne, visant à adopter le trajet le plus court entre un point A et un point B, dans le cadre du futur Ciel unique européen.
Un très grand défi, sur le plan économique et non technologique, consistera à passer du kérosène aux carburants d’aviation durables, qui existent déjà, mais n’ont pas encore atteint un niveau industriel de production et d’incorporation. Cette transition représentera, selon nos estimations, au moins 50 % des baisses d’émissions du transport aérien à l’horizon 2050.
Ces différents leviers ne permettront pas d’atteindre la suppression complète de toutes les émissions. Les 7 à 10 % d’émissions restants devront être couverts par des puits d’absorption carbone.
Des réalisations impactant le modèle économique dès 2025
La transformation de long terme à laquelle aspire le Groupe ADP va se traduire, d’ici 2025, par de premières réalisations concrètes qui témoigneront de la réalité du processus à l’œuvre. Le Groupe rendra compte de ces actions, année après année, aux investisseurs et aux marchés financiers, car nous avons conscience qu’elles vont affecter notre modèle économique. Elles doivent donc être assumées de façon transparente. Voici quelques exemples de ces engagements concrets et chiffrés.
D’ici 2025, nous allons réduire de 10 % les émissions moyennes du roulage avion, à Paris-Charles de Gaulle et à Paris-Orly, et nous allons également appuyer la généralisation des procédures de descente continue vers ces deux aéroports. La part des énergies bas carbone devra atteindre 10 % dans les terminaux et côté pistes d’ici 2025, soit un quasi doublement par rapport à 2019. Cela peut paraître faible, mais la décarbonation du transport aérien est bien en train de s'engager de manière concrète.
En matière de connexion multimodale, nous nous sommes fixé l’objectif de rendre possible la mise en service ou la construction, d’ici 2025, de 8 nouvelles lignes de transport en commun pour desservir nos aéroports parisiens. Dès le mois de juin 2024, l’aéroport Paris-Orly sera connecté à la ligne 14 du métro, ce qui permettra de rejoindre le centre de Paris en une vingtaine de minutes et facilitera les correspondances avec la gare Saint-Lazare et la gare de Lyon, mais aussi avec les autres gares via la station Châtelet. Depuis l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, en 2027, le CDG Express permettra de rejoindre la gare de l’Est en vingt minutes et la ligne 17 du métro permettra de se rendre à la station Saint-Denis. Nous accueillons également des projets en matière de lignes de bus et de desserte cyclable le long de la RN7.
Dans le domaine de la construction, nous allons mettre en place un budget carbone pour tous nos projets d’investissement de plus de 5 millions d’euros, se traduisant par un plafond d’émissions contraignant pour l’ensemble de leur durée de vie.
À côté des efforts de décarbonation, nous nous engageons aussi dans la préservation de la biodiversité. À court terme, nous prévoyons de consacrer à cette dernière près de 30 % des surfaces de nos aéroports parisiens, qui représentent – peu de gens le savent – la moitié des prairies d’Île-de-France et accueillent de nombreuses espèces vivantes. Nous prévoyons également de doter l’ensemble des aéroports du Groupe d’une trajectoire pour améliorer leur indice de biodiversité d’ici 2030.
En ce qui concerne l’amélioration du cadre de vie, nous visons, pour 2026, une division par deux de l'indicateur sanitaire de perturbation du sommeil entre 22 heures et 6 heures à Paris-Orly, et nous allons renforcer les opérations d’insonorisation des logements, démarche pour laquelle nous avons obtenu un soutien financier important de la part des pouvoirs publics.
Sur le plan économique, nous allons conforter notre ancrage territorial en favorisant les achats locaux, avec l’objectif de réaliser 80 % de nos achats en Île-de-France, dont 20 % auprès de PME.
À l’heure actuelle, environ la moitié de nos salariés résident dans un rayon de 20 kilomètres autour des aéroports. Nous cherchons à augmenter ce taux en mettant l’accent sur la formation des jeunes, notamment. Par exemple, d’ici 2025, nous allons attribuer 60 % des stages de Paris Aéroports à des collégiens issus de quartiers défavorisés.
Dans un autre domaine, pour attirer et fidéliser les talents, nous allons former et sensibiliser 100 % des collaborateurs du Groupe à la RSE et prendre en compte le critère RSE dans la rémunération des collaborateurs des aéroports parisiens et d’autres aéroports du Groupe. Par ailleurs, nous allons former la totalité des managers à la non-discrimination et supprimer les écarts de rémunération entre hommes et femmes, afin d’atteindre l’égalité salariale – en 2021, l’écart n’était plus que de 1,83 %, après avoir été divisé par trois en cinq ans.
Enfin, pour promouvoir la culture de l’engagement citoyen au service des territoires, nous allons multiplier par cinq le nombre de journées d’engagement des salariés pour le porter à 5 000 sur la période 2022-2025.
Débat
Comment convaincre ?
Un intervenant : Comment avez-vous réussi à convaincre les dirigeants du Groupe de l’opportunité de cette démarche ?
Amélie Lummaux : J’ai parlé précédemment de l’importance, dans notre prise de conscience, de la baisse du trafic aérien liée à la crise de la Covid-19, mais un autre facteur très important a été la décision prise par l’État, le 11 février 2021, d’abandonner le projet de création d’un terminal 4 à Paris-Charles de Gaulle, et ainsi de tourner le dos au schéma historique de la croissance rapide. Cet électrochoc nous a fait comprendre qu’il ne serait pas possible de développer le transport aérien sans une transformation radicale de notre activité.
Int. : Éprouvez-vous des difficultés à convaincre les jeunes, les médias, les pouvoirs publics, ou encore les marchés financiers de la réalité de la transformation que vous êtes en train d’engager ?
A. L. : Nous devons répondre à des injonctions contradictoires. D’un côté, on attend du Groupe ADP, comme de toutes les grandes entreprises, qu’il mette en œuvre la transition énergétique et environnementale. D’un autre côté, tant les pouvoirs publics que les marchés financiers lui demandent de créer de la valeur et des emplois, et de le faire de façon prévisible au cours des années à venir. Par exemple, construire de façon durable coûte cher, ce qui implique de construire moins, mais les marchés financiers nous interrogent chaque jour sur notre création de valeur, et non sur notre transformation environnementale. Nous devons donc convaincre nos différentes parties prenantes de notre capacité à tenir un chemin de crête nous permettant de répondre à l’ensemble de ces attentes.
Pour ce faire, nous devons opérer la transformation en anticipant, dès maintenant, l’impact qu’elle peut avoir sur notre modèle économique et en trouvant des façons de modérer cet impact.
Par exemple, nous établissons des plans d’investissement globaux qui incorporent à la fois le développement d’infrastructures et des investissements liés à la transition énergétique qui pourront également représenter des revenus annexes. Nous pouvons, notamment, construire des centrales géothermiques ou des centrales solaires, dont nous utiliserons la production en autoconsommation ou la revendrons à nos clients internes.
Dans le même esprit, nous avons investi dans un fonds spécialisé dans les infrastructures liées à l’hydrogène, nouvelle énergie qui est appelée à se développer et pourra constituer un relais de croissance.
Un autre exemple est celui des parkings, qui apportent une contribution non négligeable aux revenus du Groupe ADP, alors que les transports en commun n’en génèrent aucun. Réduire la place de la voiture individuelle conduit à supprimer des parkings à proximité immédiate des terminaux, mais ceci libère du foncier qui peut permettre d’accueillir de nouvelles activités, ces dernières étant attirées par le fait que l’aéroport est mieux desservi en transports en commun. Par ailleurs, la suppression d’une partie des parkings peut entraîner une diminution du besoin d’investissement dans l’entretien des réseaux routiers. Si l’on se focalise sur les parkings, l’impact économique est négatif, mais si l’on prend en compte l’ensemble de ces données, il peut redevenir positif.
Int. : Vous nous avez fait une présentation essentiellement qualitative de la transformation, mais, sur le plan quantitatif, vous êtes-vous assurés que les produits dépasseront effectivement les charges ?
A. L. : Nous avons fait les calculs pour la phase 2022-2025, mais nous sommes incapables d’établir dès maintenant l’équation financière de 2050. Nous verrons progressivement de quelle façon adapter nos charges et accroître nos produits dans le cadre de la transformation de notre modèle.
Les bâtiments aéroportuaires
Int. : Les bâtiments des aéroports de Paris, construits en béton et en verre, paraissent peu adaptés aux nouvelles contraintes environnementales. Comment envisagez-vous de surmonter cette difficulté ?
A. L. : Démolir les infrastructures actuelles pour en construire de nouvelles plus économes en émissions de carbone serait une absurdité, car plus de la moitié des émissions d’un bâtiment sont liées à sa construction. En revanche, dès que nous intervenons sur les bâtiments, nous en profitons pour réaliser de façon systématique des travaux améliorant l’efficacité énergétique, qu’il s’agisse d’isolation, de vitrage filtrant, de modification des éclairages, de remplacement de la climatisation, etc.
Les transports en commun
Int. : Comment allez-vous convaincre les agriculteurs de céder des terres pour la construction de nouvelles lignes de transport en commun ?
A. L. : Tous les projets tiennent désormais compte des enjeux d'artificialisation des terres Les lignes 14 et 18 qui desserviront Paris-Orly et la ligne 17 pour Paris-Charles de Gaulle sont souterraines, et les bus à haut niveau de service circuleront sur des voies réservées prises sur la voirie existante. En tout état de cause, il n’est pas envisagé d’extension du foncier aéronautique.
L’hospitalité des aéroports
Int. : Un aéroport ne passe généralement pas pour un lieu très hospitalier. C’est même plutôt l’inverse. On y subit de longues files d’attente, aussi bien pour passer les contrôles de sécurité que pour récupérer ses bagages…
A. L. : D’après les retours clients, l’aspect le plus problématique est le contrôle aux frontières. C’est pourquoi nous sommes engagés dans un travail approfondi avec la police des frontières afin de parvenir à la plus grande fluidité possible. Nous avons d’ailleurs investi dans le dispositif PARAFE (passage automatisé rapide des frontières extérieures) pour le moderniser et passer au contrôle biométrique par reconnaissance faciale.
Par ailleurs, lors du renouvellement des marchés de sécurité et de sûreté, nous nous efforçons d’obtenir du personnel en plus grand nombre et nous sommes en train de déployer des PIF (postes d’inspection filtrage) de nouvelle génération permettant à six personnes de se préparer en même temps, contre une seule précédemment.
En ce qui concerne les bagages, il est vrai que quelques-uns ont été perdus lors du premier week-end de juillet 2022, mais il s’agissait d’une situation exceptionnelle. Au quotidien, ce genre de problème reste heureusement rare.
Je me permets d’indiquer que l’aéroport Paris-Charles de Gaulle a été élu le meilleur aéroport d’Europe en 2022 et qu’il est en passe d’être à nouveau récompensé en 2023…
La gestion des données
Int. : Un hub multimodal représente un potentiel de données considérable. Quelle est votre politique de gestion des données, à la fois en matière de traçabilité, de respect du RGPD (règlement général sur la protection des données) et d’exploitation de ces données ? Avez-vous un service dédié à cette question ?
A. L. : L’utilisation structurelle et industrielle des contrôles biométriques à base de reconnaissance faciale est interdite en France. En revanche, nous sommes en train, sous le contrôle de la CNIL (Commission nationale informatique et libertés), de mener une expérimentation sur la reconnaissance faciale destinée à faciliter à la fois le contrôle des passagers et leur embarquement. Cette expérimentation répond à des règles très précises, en particulier l’absence de tout stockage de données par ADP. Les données sont conservées seulement le temps du passage de la personne dans l’infrastructure. De plus, les passagers sont informés de l’utilisation de cette technologie et ont la possibilité de s’y refuser.
Bientôt l’avion à hydrogène ?
Int. : L’annonce du remplacement de tous les avions actuels par des avions à hydrogène d’ici 2050 me paraît sujette à caution. Les constructeurs vont devoir développer les nouveaux modèles, puis les faire certifier avant que les compagnies puissent les acheter. En parallèle, de lourds investissements devront être consentis pour assurer la production de l’hydrogène et l’avitaillement des avions sur site.
A. L. : L’objectif n’est pas que l’avion à hydrogène remplace l’ensemble des avions actuels en 2050. D’une part, un avion est conçu pour durer vingt-cinq ou trente ans et le renouvellement de l’ensemble des flottes prendra du temps. D’autre part, le seul industriel en train de développer des avions de ligne à hydrogène, actuellement, est Airbus, et sa R&D porte uniquement sur les avions destinés aux courts et moyens courriers. En effet, l’utilisation de l’hydrogène pour des longs courriers obligerait à supprimer un trop grand nombre de places de passagers, ce qui compromettrait le modèle économique.
Ces recherches ont débuté depuis longtemps et elles sont bien avancées, notamment grâce au soutien important que leur apporte l’État dans le cadre du CORAC (Conseil pour la recherche aéronautique civile). L’hydrogène paraît en effet plus pertinent que les carburants d’aviation durables pour décarboner le transport aérien, à la fois parce que son bilan environnemental total est meilleur – non seulement il n’entraîne aucune émission de carbone, mais son utilisation supprime les autres impacts climatiques de l’aviation, liés notamment aux traînées de condensation – et parce qu’il coûtera moins cher, à terme, que les carburants d’aviation durables.
Airbus prévoit de prendre – ou non – la décision de passer à l’industrialisation des avions à hydrogène en 2027, avec pour objectif de commencer à les commercialiser en 2035. Les compagnies aériennes disposeront ainsi d’une dizaine d’années pour passer commande. D’ici là, il faudra s’assurer de la disponibilité de l’hydrogène partout dans le monde, à un prix adéquat, en sachant que 75 % du prix de l’hydrogène dépendent de celui de l’électricité renouvelable dans la zone considérée. La décision qu’Airbus prendra vers 2026 constituera un signal important pour la production d’hydrogène, car si l’aviation se met à utiliser cette énergie, l’ordre de grandeur de sa consommation changera radicalement.
En parallèle, les aéroports devront se doter de circuits d’avitaillement dédiés, l’hydrogène n’étant pas miscible avec le kérosène, mais également d’unités de liquéfaction de l’hydrogène, car celui-ci sera vraisemblablement livré sous forme gazeuse via des canalisations de transport de gaz reconverties à cet usage.
La maîtrise des horloges
Int. : Votre tâche est rendue délicate par le fait que, dans cette affaire, vous ne maîtrisez qu’une partie des horloges. En particulier, ce n’est pas de vous que dépendra le fait que les avions polluent moins. Comment gérer cette inconnue ?
A. L. : Une grande partie des éléments de la transformation dépendent d’acteurs tiers, ce qui ne signifie pas que nous n’avons pas un rôle essentiel à jouer. Non seulement nous fournissons certaines des briques de la transformation, comme les infrastructures au sol indispensables à l’utilisation de l’hydrogène (d’où le partenariat qu’Airbus a noué avec ADP dès 2020, alors que la commercialisation de l’avion à hydrogène n’est prévue qu’en 2035), mais nous jouons également le rôle d’intégrateur, en veillant à ce que les efforts des différents acteurs tendent tous vers la même direction. Par exemple, nous sommes maître d’ouvrage pour les gares installées dans nos aéroports et nous nous assurons de la bonne insertion des nouveaux réseaux de transport. Cette situation de codépendance n’est pas très confortable, mais c’est une donnée essentielle de la transformation que nous devons opérer.
Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :
Élisabeth BOURGUINAT