La planète comme un village
Dans ce Journal, qu’y a-t-il de commun entre une nouvelle plateforme de vidéo à la demande, une start-up produisant des yaourts bios, un énorme drone destiné aux travaux publics, les ambitions d’une entreprise géante de produits de beauté engagée dans des actions civiques et la présentation de scénarios de sobriété globale ? Le point commun réside dans le fait qu’il s’agit de projets. Mais aucune indication n’est fournie sur les marchés visés, comme si toute la planète était concernée.
Il n’y a pas très longtemps, une initiative industrielle ou commerciale était réputée viser d’abord un marché local, avec pour horizon ultérieur l’international. Le caractère mondial va de soi dans le cas des yaourts et des actions civiques de RSE, car les initiateurs sont de puissantes multinationales – respectivement Danone et L’Oréal. Dans les autres cas, l’émetteur est plus petit, mais dès sa conception, il peut se faire connaître de la terre entière par les réseaux sociaux. On se croirait dans un ancien village de nos campagnes, où le garde champêtre, sur la place du village, après un solennel roulement de tambour, avise toute la population.
Ceci a un effet puissant sur la vente des objets, même de première utilité, comme les boissons gazeuses ou les poudres à laver. Néanmoins, il faut de surcroît être connu de tout le monde. On est donc condamné à s’exprimer en anglais. Enfin, en anglais... dans le langage connu sous le nom de global english ou globish.
Un grand praticien de ce langage a entrepris d’en dresser un lexique, à ses yeux compréhensible sur la terre entière. Il y a recensé 1 500 mots. C’est très peu si l’on observe que le plus volumineux dictionnaire d’anglais comprend 300 000 entrées.
Cette richesse de la langue anglaise tient à ce qu’elle provient, outre du latin et du grec, comme le français, du vaste patrimoine linguistique local, pour l’essentiel saxon. On en trouve une illustration dans le vocabulaire de la table, hérité de la conquête normande du XIe siècle : l'animal qui s'appelle beef dans l'assiette du seigneur, français, s'appelle ox au pâturage. Même remarque pour veal et calf.
Donc, ceux qui s’alarment devant l’hégémonie de la langue anglaise sur quelques milliers de dialectes encore en usage sur la planète feraient mieux de s’alarmer pour l’anglais qui tend en effet à devenir mondial, mais à l’échelle d’une minuscule lingua franca réduite à un squelette.
Dans les domaines techniques (mécanique, électricité, électronique…), il s'est établi une discipline mondiale extrêmement bénéfique, c'est la normalisation : les pas de vis, les voltages, les compositions chimiques, les calibres des armes, etc. doivent être fixés selon des échelles numériques officiellement mondialisées, afin de permettre l'utilisation, l’entretien, la réparation de tout objet industriel n’importe où dans le monde. Tout se passe comme si cette discipline s'étendait à des domaines de plus en plus vastes jusqu'à aplatir la vie courante dans une fade uniformité. D'ores et déjà, les grands voyageurs observent que, dans toutes les capitales où ils séjournent, ils ont l’impression de descendre dans le même hôtel. On raconte que le directeur général d'une multinationale exigeait que le savon soit partout à la même place !
Nous allons donc vers une planète où tout le monde consommera à peu près les mêmes choses et en parlera avec les mêmes mots. Faisons confiance à la vie locale pour sanctuariser les singularités.