Exposé de Christian Leclerc

Quand je me suis installé comme médecin généraliste à Dun-sur-Auron, une petite commune de 4 000 habitants dans le département du Cher, j’avais une certaine expérience en tant que remplaçant et beaucoup de certitudes tirées de ma formation scientifique. Je savais poser un diagnostic à partir des symptômes objectifs et prescrire des solutions thérapeutiques reposant également sur des études cliniques objectives.

Des problèmes sans solutions

Mes certitudes ont rapidement été bousculées. Contrairement à ce que j’avais observé à l’hôpital, 80 % des patients me consultaient pour des problèmes fonctionnels, c’est-à-dire non liés à des pathologies. Appliquer les méthodes de l’hôpital à ces problèmes de santé était souvent inefficace, voire contre-productif.

J’étais souvent consulté, par exemple, par des gens fatigués ou anxieux, comme cette dame qui venait d’accoucher, était exténuée et pleurait dès qu’on la contrariait. J’ai mis cela sur le compte de la dépression post-partum et je lui ai donné un petit tranquillisant. Deux semaines plus tard, elle est revenue, car elle avait mal au ventre et présentait différents autres troubles. Je lui ai fait faire un bilan biologique, qui a seulement révélé un léger problème de cholestérol. Cela n’avait aucun rapport avec sa dépression, mais là encore, je lui ai donné un traitement. Trois mois après, j’ai appris qu’elle avait divorcé et déménagé.

J’avais aussi à soigner de nombreuses personnes qui effectuaient des travaux agricoles ou qui travaillaient à l’usine et souffraient de lumbagos ou de sciatiques. Dans 90 % des cas, je leur donnais un anti-inflammatoire, en comprimé si ce n’était pas trop grave ou en injection dans le cas contraire, accompagné d’un arrêt de travail et, éventuellement, de rééducation. Un jour, j’ai aperçu au marché un patient à qui j’avais donné, la veille, un anti-inflammatoire et qui semblait quasiment remis. Très fier de moi, j’en ai fait compliment à sa femme, qui a fini par me confier : « Vous savez, docteur, les médicaments, on ne les achète même pas. Mon mari vient vous voir pour l’arrêt de travail, mais pour son dos, il va voir le rebouteux, et ses collègues font pareil. » Mon amour-propre de jeune médecin en a pris un coup !

Autre exemple, dans les années 1970, lorsqu’un enfant avait de la fièvre, le médecin lui prescrivait systématiquement un antibiotique. Ne pas le faire équivalait à ne pas être un bon médecin. Je le faisais donc, mais, quinze jours plus tard, dans 30 % ou 40 % des cas, mes petits patients revenaient me voir pour des problèmes d’otites, ce qui m’interpellait. J’ai appris beaucoup plus tard qu’il existait un microbiote des parties aériennes et que, s’il s’agissait d’une infection virale, les antibiotiques systématiques détruisaient cette flore protectrice.

D’autres chemins que la médecine académique

Ces différents échecs m’ont conduit à chercher d’autres solutions. Je me suis intéressé, par exemple, à la mésothérapie. Cette technique, devenue très populaire dans les années 1980, consistait, au lieu de prescrire un anti-inflammatoire par voie orale, à en injecter quelques microgouttes en intradermique, tout autour de la zone concernée. Le résultat était souvent spectaculaire et cette méthode permettait d’éviter beaucoup d’effets secondaires.

Je me suis également renseigné sur ce qu’on appelait alors la “médecine manuelle”, devenue depuis l’ostéopathie. Je me suis formé à cette technique et je l’ai mise en œuvre avec succès.

Chemin faisant, j’ai appris à être beaucoup plus à l’écoute de mes patients, chose que l’on n’enseigne pas suffisamment dans les facultés de médecine. C’est indispensable si l’on veut tisser un lien de confiance et bâtir une “alliance thérapeutique” avec le patient pour favoriser son retour à une meilleure santé.

En explorant ces nouvelles méthodes et en suivant les formations correspondantes, j’ai fait la connaissance d’autres médecins généralistes qui rencontraient les mêmes difficultés que moi. S’est alors instaurée une sorte de compagnonnage qui nous permettait de partager nos expériences et de nous former mutuellement. Ce travail en commun était très enthousiasmant, et même passionnant, et j’y consacrais souvent mes week-ends, ce qui engendrait quelques tensions familiales...

Le Lactibiane

Avec mes confrères, nous nous intéressions aussi aux problèmes de flore intestinale. Nous lisions et rédigions des articles à ce sujet. Un biologiste, par exemple, proposait de réaliser des autovaccins à partir de selles pour essayer de traiter certaines maladies auto-immunes.

En 1988, l’un de mes confrères, Alain Cornic, m’a fait rencontrer un biologiste français qui travaillait pour des élevages de visons en Finlande. Si l’on veut exploiter la fourrure de ces animaux, il faut qu’ils atteignent l’âge de 18 mois. Malheureusement, 70 % d’entre eux mouraient plus tôt. Ce biologiste avait testé sur ces élevages un mélange de bactéries qui avait permis de faire tomber ce taux de mortalité à 30 %. Il nous proposait de nous associer à lui afin de tester l’utilisation de bactéries similaires chez l’homme.

Les problèmes digestifs sont un motif très fréquent de consultation : les patients souffrent de ballonnements, de douleurs abdominales, d’alternances de diarrhée et de constipation. Face à ces difficultés, nous utilisions ce que nous proposait l’allopathie, c’est-à-dire des antispasmodiques ou des pansements intestinaux, qui ne procuraient qu’un soulagement passager.

Nous avons demandé à notre biologiste de nous mettre en contact avec le fabricant des bactéries, qui se trouvait au Danemark. Ce dernier a réalisé pour nous un mélange de lactobactéries, que l’on trouve dans les fromages et surtout dans les yaourts, et nous en a livré un premier lot. Nous avons été six médecins à tester ce produit auprès de nos patients et les résultats ont été plus qu’étonnants. Nous avons alors démarché des grossistes et des pharmaciens, mais aucun ne se montrait intéressé. Entre-temps, nous étions une centaine de médecins intéressés par ce produit et nous avons estimé que cela constituait une base suffisante pour le distribuer nous-mêmes.

C’est ainsi que, deux ans plus tard, est née la société PiLeJe, dont le nom est composé de la première syllabe des patronymes de ses trois associés : Pinon, Leclerc et Jeudy. Ce dernier, qui était le beau-frère de Bernard Pinon, avait accepté de nous apporter ses compétences en comptabilité et aussi d’assurer la gérance de l’entreprise, car, en tant que médecins, cela nous était interdit.

Notre premier produit, le Lactibiane, est toujours en vente aujourd’hui, mais nous l’avons amélioré au fil du temps, notamment en trouvant des solutions pour que les ferments restent vivants jusqu’au moment où ils parviennent dans l’intestin grêle puis dans le côlon. Ce produit a été le premier probiotique diffusé en Europe.

Nous avons assez rapidement compris que nous ne pouvions pas mener de front le développement de cette entreprise et l’exercice de la médecine. Bernard Pinon a été le premier à y renoncer et j’ai, moi aussi, cessé d’exercer deux ans plus tard.

La médecine des modes de vie

Le Lactibiane a rapidement eu du succès et nous nous sommes mis à la recherche d’autres solutions pour répondre aux problèmes fonctionnels de nos patients.

Nous avons rencontré par hasard Serge Renaud, un chercheur lyonnais qui s’était intéressé de près à la fameuse “étude des sept pays” du docteur Keys, un scientifique américain qui avait analysé, à partir de 1956 et pendant plus de quinze ans, l’influence du régime alimentaire sur la santé. En se concentrant sur l’étude de populations stables, rurales et d’âge moyen dans sept pays tests aussi différents que possible, le docteur Keys avait découvert que les Crétois subissaient 30 fois moins de décès par maladies coronariennes que les Finlandais.

Serge Renaud avait poursuivi ces investigations en réalisant des analyses de sang parmi les différentes populations. Il avait découvert que la membrane cellulaire des Crétois comportait une quantité d’oméga 3 supérieure à la moyenne, ce qui s’expliquait par leur consommation fréquente de pourpier, une herbe sauvage très répandue dans les pays secs et riche en graisses polyinsaturées. Voulant confirmer sa découverte, il avait mené une étude sur 600 patients à risque de récidive de maladies cardiovasculaires dans la région lyonnaise, en prescrivant à la moitié d’entre eux un régime pauvre en viande et riche en fruits, légumes et céréales, dans lequel le pourpier était remplacé par de l’huile ou de la margarine de colza, et complété par deux verres de vin rouge par jour, afin de bénéficier des polyphénols du raisin. L’étude avait été interrompue au bout d’un an et demi seulement, car les 300 patients ayant suivi ce régime présentaient 70 % d’accidents cardiovasculaires en moins que les patients du groupe témoin.

La rencontre avec Serge Renaud nous a convaincus que l’alimentation était véritablement le socle de la médecine et, plus largement, que la santé reposait essentiellement sur les modes de vie, qui comprennent l’alimentation, mais également l’activité physique.

Nous avons ainsi été parmi les premiers à travailler sur la notion de Cross Over Point, c’est-à-dire sur la vitesse de marche à pied qui permet de brûler les réserves de graisses sans avoir à puiser dans les réserves de sucre, afin d’éviter la chute de glycémie et la fringale post-activité physique. Nous nous sommes également intéressés à la cohérence cardiaque, c’est-à-dire au contrôle de la respiration pour réduire le stress et l’anxiété.

Forts de nos expériences, nous avons commencé à proposer aux médecins des formations sur la “médecine des modes de vie”.

La micronutrition

J’ai alors rencontré Pierre Moreau, un pharmacien et professeur associé à la faculté de pharmacie de Montpellier. Dans son ouvrage consacré à la micronutrition, il expliquait que de nombreux symptômes plus ou moins visibles et pouvant conduire à diverses pathologies proviennent de déficits micronutritionnels faciles à compenser par des doses très faibles de vitamines, minéraux, acides gras ou acides aminés.

Il est vraisemblable, par exemple, que la jeune maman épuisée, qui ne cessait de pleurer et avait fini par divorcer, souffrait d’un déficit en fer, un cofacteur d’hémoglobine qui contribue également à la synthèse de neurotransmetteurs tels que la sérotonine, la dopamine ou la noradrénaline. Une carence en fer peut donc se traduire à la fois par un état de fatigue et par une fragilité émotionnelle. Si j’avais disposé du marqueur biologique de la ferritine de cette dame, peut-être lui aurais-je évité de divorcer ?

De même, une pathologie telle qu’un cancer, un infarctus ou une maladie d’Alzheimer ne se déclenche pas du jour au lendemain. Elle est précédée par une période de dix à trente ans pendant laquelle s’installent des dysfonctionnements de certains mécanismes physiologiques qui protègent l’organisme des effets néfastes de l’environnement. Or, ces dysfonctionnements sont réversibles, alors que les maladies en question ne le sont pas. Chaque année, environ 50 000 personnes âgées de 40 à 70 ans meurent de maladies cardiovasculaires, métaboliques ou cancéreuses ignorées. Il devrait être possible d’en sauver de 10 000 à 15 000 en détectant de façon précoce les dysfonctionnements qui conduisent à ces maladies et en leur apportant des réponses adaptées via le changement des modes de vie et la micronutrition.

Autre exemple, les personnes de plus de 70 ans confrontées à un épisode aigu, tel qu’une pneumonie, une phlébite ou une infection, peuvent se retrouver en situation de préfragilité qui les rend vulnérables et qui, si rien n’est fait, peut évoluer vers une situation de fragilité et de dépendance, qui, elle, est irréversible. Un médecin formé à prendre en charge ce genre de cas va veiller à leur apporter, entre autres, des acides aminés essentiels, dans le but de les sortir de leur état de préfragilité et de leur permettre de recouvrer une bonne santé.

En partant des analyses de Pierre Moreau, nous avons établi, avec l’aide de scientifiques, une sémiologie fonctionnelle des déficits nutritionnels, c’est-à-dire un recensement précis de l’ensemble des signes cliniques exprimant un déficit. Puis, nous avons élaboré des autoquestionnaires à proposer aux patients afin d’identifier ces signes. Ces questionnaires, une fois remplis, sont analysés par une application qui donne de premières indications et suggère éventuellement des examens biologiques pour confirmer les résultats, comme le dosage de la ferritine ou la mesure de l’insulinorésistance. Sur la base de ces différents éléments, le médecin traitant peut alors conseiller au patient de modifier son mode de vie et de prendre les micronutriments qui permettront de combler ses déficits, l’ensemble permettant d’éviter le déclenchement de maladies.

Pour cela, il faut que le médecin dispose de suffisamment de temps afin de pouvoir écouter le patient et gagner sa confiance. Lorsque j’exerçais en tant que médecin de campagne, je recevais parfois 50 patients par jour. Comme cela créait des tensions au sein de ma famille, j’ai fini par m’installer en ville, en secteur 2, ce qui me permettait de consacrer plus de temps à mes patients tout en préservant mes revenus. Quand on prend le temps de construire l’alliance thérapeutique avec son patient et que celui-ci décide de changer de mode de vie et de corriger ses vulnérabilités, les effets sont extraordinaires. En deux ou trois mois, il peut retrouver un état de santé et de bien-être qu’il avait complètement perdu et oublié.

La restructuration de l’entreprise

La société PiLeJe a été fondée en 1990. En 1996, à la suite de son remariage, Bernard Pinon a souhaité la quitter. J’ai alors décidé de faire entrer au capital des personnes très investies dans l’entreprise, de sorte que j’ai coutume de dire qu’il s’agit d’une entreprise familiale, mais appartenant à une famille “choisie”.

Dans les débuts, notre chiffre d’affaires doublait chaque année. Puis, l’augmentation n’a plus été que de 30 % par an. À partir de 2006, le chiffre d’affaires a stagné et notre rentabilité n’a alors cessé de baisser.

Un jour, notre directeur administratif et financier a assisté à une conférence du cabinet de conseil Adrien Stratégie et m’a convaincu de solliciter son fondateur, Roger Couffin, pour une formation destinée à notre comité de direction. Roger Couffin nous a ainsi expliqué qu’il faut distinguer l’économie de marché et l’économie d’offre. Dans une économie de marché, les entreprises s’efforcent de prendre des parts de marché à leurs concurrentes. Dans une économie d’offre, elles tentent d’inventer des produits dont les gens ont besoin et qui n’existent pas encore. D’après l’analyse de Roger Couffin, notre entreprise était née d’une offre innovante, mais, au fil du temps, nous nous étions dispersés entre un grand nombre de produits et nous avions un peu perdu notre âme.

À la suite de cette formation, nous avons demandé au cabinet Adrien Stratégie de mener une étude sur PiLeJe, à partir d’entretiens avec tous les salariés. Celle-ci a duré six mois et, lors de la restitution, il est apparu que j’avais des qualités pour être président, mais aucune pour être directeur général ! Il paraissait nécessaire de désigner un nouveau directeur général, chargé de restructurer la stratégie d’offre de l’entreprise et de nous donner de nouvelles ambitions.

Ce diagnostic a entraîné le départ de 30 % des cadres, qui ne le partageaient pas. Pourtant, grâce aux conseils d’Adrien Stratégie, la situation s’est rapidement améliorée. Nous avons désigné un directeur général de transition, puis recruté une personne qui est restée à ce poste pendant dix ans. Notre chiffre d’affaires est passé de 40 millions d’euros en 2006 à 180 millions d’euros actuellement, et de 200 à 700 salariés. Parmi les laboratoires de compléments alimentaires, nous nous trouvions, en 2006, à la treizième place en France et, depuis 2018, nous occupons la première place en France et la troisième en Europe. Désormais, c’est ma fille cadette qui est la directrice générale du groupe.

L’activité de PiLeJe consiste à concevoir et à développer des ingrédients et des galéniques spécifiques, à base de végétaux, de souches microbiotiques ou de micronutriments. L’objectif de l’entreprise est resté le même qu’à l’origine : trouver des solutions efficaces pour améliorer la santé, validées scientifiquement et destinées aux professionnels de santé. En effet, sachant que les principes de la micronutrition étaient peu connus et que leurs développements dépendaient de leur crédibilité et, par conséquent, de leur efficacité, nous avons fait le choix de nous adresser exclusivement à des professionnels de santé, formés par nos soins, plutôt que de faire de la publicité pour nos produits.

Nous fabriquons nos propres produits, mais également des ingrédients pour d’autres laboratoires, pour des préparations magistrales (réalisées selon une prescription médicale individuelle par une pharmacie d’officine ou hospitalière), ou encore pour l’industrie agroalimentaire et la cosmétique.

La Fondation PiLeJe

En 2005, nous nous sommes dotés d’une fondation destinée à promouvoir la santé durable, à faire connaître au grand public les solutions pour vivre en bonne santé le plus longtemps possible, à participer à la concertation sur les politiques de prévention et à soutenir la recherche, la formation et l’innovation en faveur de la prévention individualisée.

La Fondation a, par exemple, mis en avant l’intérêt de réaliser une évaluation de l’état de santé à des étapes clés de la vie. Cette idée a peut-être inspiré une loi, votée l’an dernier, visant à rendre obligatoire quatre entretiens de santé aux moments charnières de l’existence, mais dans un esprit assez différent de ce que nous préconisons. En effet, il ne s’agit pas d’évaluer la santé, mais de dépister précocement les maladies. Le temps alloué à cette consultation (45 minutes) ne fait pas l’objet d’une rémunération très mobilisatrice (30 euros) et, de surcroît, cette consultation peut être réalisée par des infirmières, voire par des pharmaciens. On peut donc craindre que les médecins ne se précipitent pas pour l’assurer…

Depuis 2015, la Fondation PiLeJe, qui est une organisation d’intérêt général à but non lucratif, financée par des dons en mécénat, est abritée par la Fondation de France. Son comité exécutif est présidé par le docteur Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille. Il est composé d’experts indépendants (chercheurs, médecins, sociologues, journalistes...), qui élaborent les messages délivrés à l’occasion des événements organisés par la Fondation, dont ma fille aînée est la déléguée générale.

Depuis sa création, nous avons organisé plus d’un millier de conférences dans des écoles, mairies ou entreprises, sur des thèmes comme le “bien manger” ou le “bien bouger”.

Depuis dix ans, nous organisons également un colloque annuel sur la prévention, que nous appelons la “médecine de santé”. Il s’est tenu pendant quelques années à l’Assemblée nationale.

La Fondation a également financé la création d’un centre de santé de secteur 1, implanté dans le 8e arrondissement de Paris, destiné à réaliser des évaluations de prévention en cardiologie, en pneumologie, ou encore concernant les troubles du sommeil.

Vers la généralisation de la médecine de santé ?

Même si le chemin sera peut-être long pour y parvenir, je suis convaincu que, d’ici trente ou quarante ans, tous les médecins se seront convertis à la médecine de santé. L’intelligence artificielle permettra de régler la plupart des problèmes aigus et facilitera la prescription des médicaments face aux maladies. Le rôle principal des médecins sera d’aider les patients à rester en bonne santé le plus longtemps possible.

Débat

Nutrition et micronutrition

Un intervenant : Ne vaudrait-il pas mieux que les gens s’alimentent convenablement, plutôt que de recourir à des compléments alimentaires ?

Christian Leclerc : Pour les personnes en bonne santé, le régime crétois est un très bon modèle. En revanche, pour les personnes présentant des intolérances alimentaires ou des dysfonctionnements physiologiques, comme l’insulinorésistance ou la surcharge métabolique, les compléments alimentaires peuvent s’avérer très utiles.

Lorsque l’on souffre d’un déficit en fer, par exemple, on ne va pas manger du boudin tous les jours, d’autant que l’absorption du fer se fait seulement au niveau du duodénum et ne peut en aucun cas être supérieure à 2 milligrammes par jour.

De même, si une personne souffre de dysbiose, c’est-à-dire d’un déséquilibre de la biodiversité dans sa flore intestinale, manger des yaourts tous les jours ne suffira pas à rétablir l’équilibre si les bactéries manquantes ne se trouvent pas dans les yaourts.

Cela dit, il ne faut pas non plus abuser des compléments alimentaires. On sait aujourd’hui qu’absorber de trop fortes doses de vitamines ou de minéraux peut favoriser certaines maladies.

Int. : Quelle est la différence entre vos produits, par exemple les compléments en fer ou en magnésium que vous proposez, et ceux de vos concurrents ?

C. L. : S’agissant des compléments en magnésium, par exemple, nous cherchons à conférer à nos produits la meilleure biodisponibilité, terme qui désigne la vitesse et l’importance de l’absorption tissulaire. Nous y intégrons également des substances qui bloquent les phénomènes de fuites de magnésium liées aux états de stress.

Des formations pour les médecins et les pharmaciens

Int. : Sachant que les produits que vous vendez ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale, la micronutrition ne se heurte-t-elle pas aux mêmes problèmes de crédibilité que l’homéopathie ?

C. L. : Lorsque nous avons mis en vente le Lactibiane, en 1991, non seulement il n’était pas remboursé par la Sécurité sociale, mais il n’était pas distribué en pharmacie et coûtait 300 francs pour une cure d’un mois, ce qui était relativement cher. C’est pourquoi il était fondamental de nous appuyer sur une relation de confiance entre le médecin et son patient, et de former le médecin pour qu’il propose les bonnes réponses aux problèmes de son patient.

Chaque année, nous délivrons environ 5 000 formations à des médecins, mais également à des pharmaciens. En effet, depuis notre “révolution” de 2006, nos produits sont distribués uniquement via les pharmacies. Au début des années 2000, la marge que les pharmaciens réalisaient sur les médicaments s’est considérablement réduite et, pour survivre, ils ont dû se diversifier vers des produits comme la cosmétique ou les compléments alimentaires, mais également vers le conseil, qui fidélise leur clientèle.

Nos produits sont désormais présents dans toutes les pharmacies et plus de la moitié des 19 000 pharmacies de France sont nos partenaires, ce qui signifie que leur personnel reçoit une formation PiLeJe chaque année. La pandémie de Covid-19 a mis en évidence le rôle essentiel des pharmaciens comme acteurs de la santé, avant même celui des médecins. Les statistiques montrent qu’en moyenne, chacun d’entre nous se rend une fois par mois en pharmacie, ne serait-ce que pour remplacer sa brosse à dents.

Int. : Qui finance les formations que vous délivrez aux médecins et aux pharmaciens ?

C. L. : Elles sont financées par PiLeJe.

Int. : Cela doit vous coûter une fortune !

C. L. : Lorsque l’activité d’une entreprise est très innovante, que ce soit dans la santé ou dans la mécanique, par exemple, elle n’a pas d’autre choix que de former les professionnels qui utiliseront ou prescriront ses produits.

En contrepartie de cet investissement dans la formation, nous ne faisons aucune publicité, contrairement à beaucoup de nos concurrents.

La validation scientifique

Int. : Comment pourriez-vous valider de façon scientifique l’efficacité de vos produits et les légitimer auprès du monde médical ?

C. L. : Au départ, notre démarche relevait davantage de l’intuition que de la validation thérapeutique, mais, depuis, nous avons mené des études cliniques, y compris en double aveugle.

Juridiquement, les compléments alimentaires ne sont pas destinés à combattre des maladies, mais à compenser des déficits et à remédier à des dysfonctionnements physiologiques. Ceci implique, avant tout, de connaître parfaitement la physiologie, sur laquelle la science ne cesse de progresser avec, par exemple, la prise de conscience récente du rôle capital joué par le microbiote.

Depuis quinze ans, nous organisons des groupes de travail réunissant des scientifiques, des chefs de services hospitaliers, des médecins de ville spécialistes ou généralistes, pour étudier pendant deux ou trois ans les problèmes non résolus qui peuvent se poser dans tel ou tel domaine de la médecine. Après un travail de bibliographie, nous essayons d’identifier les ingrédients qui pourraient être utiles pour faire émerger des solutions. Entre la définition d’une nouvelle formule et la mise sur le marché du produit correspondant, il se passe généralement quatre ans, pendant lesquels nous devons trouver ou fabriquer les ingrédients, les galéniquer (c’est-à-dire déterminer la forme qu’ils prendront), réaliser des études chez l’animal, etc.

Enfin, comme nous sommes en relation avec des professeurs agrégés de médecine, nous avons pu créer des diplômes universitaires de nutrition, de micronutrition, ou encore de phytothérapie, autre domaine dans lequel nous opérons.

Int. : Votre entreprise emploie-t-elle des chercheurs ?

C. L. : Nous employons 12 personnes chargées de la recherche, docteurs en science, qui ont pour fonctions de rédiger des bibliographies et de mener des études. Nous publions plus d’une dizaine d’articles par an.

Rembourser la micronutrition ?

Int. : Ne devriez-vous pas essayer d’obtenir le remboursement de la micronutrition pour lui donner davantage de légitimité ?

C. L. : Il est indispensable de rembourser les médicaments qui permettent de lutter contre les maladies. En revanche, la prévention est un choix individuel qui peut prendre de nombreuses formes. On peut pratiquer du sport, consacrer une part plus importante de son budget à bien se nourrir, ou encore acheter un complément alimentaire pour corriger un dysfonctionnement physiologique. Cela dépend de l’initiative de chacun.

Par ailleurs, je ne crois pas que le remboursement soit synonyme de légitimité. L’homéopathie a été déremboursée parce qu’elle ne reposait pas sur une validation scientifique, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle n’est pas efficace…

Les prescripteurs

Int. : En définitive, qui peut prescrire vos produits aujourd’hui : les médecins, les infirmières, les pharmaciens, toute personne ayant reçu une formation ?

C. L. : Contrairement aux médicaments, les compléments alimentaires sont en vente libre. Les médecins peuvent néanmoins rédiger des ordonnances de compléments alimentaires et les pharmaciens peuvent prodiguer leurs conseils. Le produit ne sera efficace que s’il correspond à un besoin chez la personne qui le consomme, d’où l’importance des prescriptions et des conseils.

Int. : Il y a donc des personnes qui achètent vos produits et à qui ceux-ci n’apportent rien.

C. L. : Pas longtemps, car, si elles ne constatent aucun résultat, on peut supposer qu’elles n’en rachèteront pas…

Int. : Du point de vue des volumes, quels sont les principaux prescripteurs ?

C. L. : Ce sont les pharmaciens. À 26,50 euros la consultation, les médecins généralistes n’ont malheureusement pas beaucoup de temps pour conseiller leurs patients. S’ils veulent gagner leur vie, ils doivent consacrer moins d’un quart d’heure à chacun d’eux. Certains préviennent même leurs patients qu’ils n’ont droit qu’à une question et que s’ils veulent en poser une deuxième, ils devront prendre un deuxième rendez-vous…

Dans les débuts, nous nous sommes adressés principalement à des médecins qui proposaient une pratique médicale complémentaire (homéopathes, acupuncteurs, mésothérapeutes…), ce qui leur permettait de faire payer leurs consultations plus chères et de disposer ainsi d’un peu plus de temps.

La nouvelle génération des médecins, plus féminine, est beaucoup plus sensible à une vision de la médecine prenant en compte les modes de vie, l’alimentation et l’exercice physique. Il n’en reste pas moins que, compte tenu de leur rémunération, les généralistes ne peuvent pas y consacrer autant de temps qu’ils pourraient le souhaiter.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Élisabeth BOURGUINAT