De la mécanique rationnelle à la biologie et la vie courante : modèles pour la science économique
La science économique classique conçoit la gestion sur le modèle de la mécanique rationnelle : les biens et les services sont caractérisés par leurs coûts et leur prix, comme les objets par leur masse et leur vitesse. Le profit est maximisé, de même que l’énergie globale d’un système mécanique est minimisée. On a même pu affirmer que le formalisme mathématique était semblable en mécanique et en économie.
Les cinq articles qui suivent évoquent des entités économiques et leurs évolutions, mais il n’y est question ni de coûts ni de profits. En revanche, tous les phénomènes évoqués ont une réplique dans le monde du vivant. Qu’on en juge.
L’obsolescence programmée : tout tissu vivant, même séparé de son organisme d’origine et convenablement nourri, continue à se perpétuer un certain temps, mais s’arrête toujours, sauf les tissus cancéreux, qui sont immortels. C’est le phénomène de l’apoptose.
Le réchauffement climatique : au fil des oscillations des températures terrestres au cours des siècles, des espèces vivantes paraissent et disparaissent.
La diversité des sources d’énergie : la plupart des êtres vivants se nourrissent d’une grande variété d’aliments. De même, l’agilité obtenue par la rencontre de plusieurs grands organismes fait penser à l’aptitude de beaucoup de cellules à s’installer partout. Les bactéries en sont l’illustration.
Quant à l’aptitude à se reproduire à peu près à l’identique, c’est même la caractéristique dominante du vivant.
Cette liste disparate de rapprochements fait penser au tableau cohérent proposé par le philosophe Platon (427 av. J.-C.-347 av. J.-C.) dans son traité La République. Il postule en effet que la cité modèle est composée de trois fonctions complémentaires, comme le corps humain : la pensée, dont le siège est dans le cerveau et dont la fonction est exercée dans la cité par les philosophes ; les sentiments ou les passions, dont le siège principal est le cœur, et les acteurs principaux sont les guerriers ; et l’action concrète, assurée par le reste du corps et dans la cité par l’ensemble des travailleurs.
Cette même division à trois niveaux se retrouve chez le sociologue Émile Durkheim (1858-1917) qui, dans Structures élémentaires de la vie religieuse, enseigne que toute communauté religieuse repose sur trois piliers : des mythes, des rites et des tribus (il parle d’“Églises”). Pour ma part, dans mes travaux sur le fonctionnement des organisations, j’ai expérimenté la parfaite pertinence de ce trépied, tout en relevant partout la réception très inégale de ces trois entités, les mythes (ou les idées) étant cités d’emblée, les tribus avec réticence – car cette notion connote les mots de complicités, voire de mafias –, mais une vive résistance se manifeste à l’évocation des rites, qui évoquent routines et contraintes. Pourtant, le célèbre ouvrage de Edward T. Hall, The Hidden Dimension (1990), montre les puissants effets des objets et des gestes banals sur les idées.
Ces analyses conduisent à une définition de la bonne gestion caractérisée par une vigilance à plusieurs dimensions et à leur cohérence globale. Il n'en reste pas moins que la plupart des organisations évaluent périodiquement un résultat comptable, et se voient menacées dans leur pérennité par des résultats négatifs. Mais le profit n'apparaît plus comme un objectif, comme dans la théorie classique rappelée ci-dessus, mais comme une contrainte.