Délocalisation et déconcentration
Le présent Journal présente cinq cas de transformation d’une organisation, qui peut s’accomplir, comme on le sait, selon deux mouvements opposés : soit du haut vers le bas de la hiérarchie, on parle alors de délocalisation ; soit, à l’inverse, du bas vers le haut, et l’on parle alors de déconcentration. Par exemple, si l’on compare l’institution préfectorale en France et l’organisation cantonale en Suisse, il est clair que le préfet est le bras local de l’État central, tandis que le canton et le village gouvernent leur territoire, pour l’essentiel, en toute indépendance.
Le premier article met en scène deux grandes entreprises, L’Oréal et ENGIE. Dans les deux cas, le moteur du changement est venu du sommet de la hiérarchie. Chez L’Oréal, ses modalités pratiques ont été inspirées d’un modèle imposé (appelé simplicity), chez ENGIE, le changement a porté, outre sur de massives restructurations, sur des outils choisis par les unités locales.
Bien que cette distinction ne soit pas explicite dans les autres cas exposés, l’autorité résulte clairement de la localisation de celle-ci.
Dans le cas des entreprises dirigées par des femmes, le point essentiel n’est pas tant le sexe des dirigeantes que leur lien personnel avec leur prédécesseur (dans un cas le père, dans l’autre le mari) et avec le contenu technique des produits.
L’article qui porte sur la musique soutient une thèse originale, à savoir que le pouvoir d’un petit jingle, facile à mémoriser, est de donner une image vigoureuse de l’identité de l’entreprise.
L’expérience d’EDF présente un partage de l’initiative du pouvoir entre niveaux hiérarchiques ou entre métiers, mais surtout entre générations en offrant une tribune à des salariés de moins de 35 ans, la génération Y.
En vérité, opposer délocalisation et déconcentration comme un parti pris binaire n’a guère de sens. Il faut toujours, au sein d’une organisation située dans différents lieux, tenir compte simultanément de l’appartenance à une même raison sociale et des contraintes imposées par des réalités locales. Il faut donc placer avec sagesse le curseur entre les excès d’ordre et les dangers du désordre.
On serait tenté de craindre, comme en témoigne l’institution préfectorale, que la diversité des institutions locales mette en péril la sérénité de l’entité globale. L’exemple de la Suisse apporte un vigoureux démenti à cette crainte. En effet, la Confédération helvétique est composée de 26 cantons largement autonomes. On y pratique trois langues officielles et plusieurs religions. Malgré ces caractéristiques, cette confédération, dont la naissance remonte à 1291, est toujours là.
On peut en dire autant des États-Unis, car, si les Européens les voient comme une grande puissance unie, chaque Américain se conçoit d’abord comme citoyen de l’un des cinquante États, qui ont d’ailleurs chacun une législation différente sur des sujets sociétaux comme l’application de la peine de mort ou l’obtention du permis de conduire.