Le Journal de l'École de Paris - novembre/décembre 2016

Réalités illusoires et rêves réalistes

novembre/décembre 2016

L'édito de Thomas PARIS

Romans-sur-Isère vivait de l’industrie de la chaussure, autour d’entreprises familiales détentrices de savoir-faire remarquables. Des investisseurs sont entrés dans leur capital, ont séparé les marques des ateliers et ont mis ces derniers en concurrence avec des fabricants asiatiques. Les ateliers de Romans ont fermé, et près de vingt-cinq mille emplois ont disparu. La logique est implacable. Faut-il être un doux rêveur, ou un Don Quichotte acharné, pour vouloir lutter contre cette réalité ? Faut-il être un doux rêveur pour ne pas accepter que les emplois industriels ont vocation à partir dans des pays où ils coûtent moins cher, pour vouloir créer une entreprise de high-tech en France, pour permettre à des populations insolvables de disposer d’une carte bancaire, pour monter un équipage de voile performant reposant sur la diversité ou pour faire une carrière musicale sans accepter les compromis quand l’industrie de la musique ne jure plus que par les artistes au succès spontané sur Internet ? Il n’est pas certain que Christophe Chevalier, Henri Seydoux, Hugues Le Bret, Pierre Meisel et Jewly soient de doux rêveurs. Tous poursuivent de grands rêves, mais des rêves qu’ils confrontent à une réalité insatisfaisante, parfois absurde, et c’est cette absurdité qu’ils contestent. Loin du vain combat, sympathi­quement ridicule, du héros de la Mancha, leur lutte est avant tout contre les mirages, les perceptions fausses, les logiques qui n’ont rien d’implacable. Faire revivre la chaussure à Romans n’était pas un doux rêve, à condition d’admettre qu’il est vain d’espérer que les choses reviennent comme avant, à condition de ne pas accepter la vérité des rapports assénant que les conditions ne sont pas réunies pour cette renaissance. Le retour de la chaussure à Romans s’est fait dans la transformation profonde du modèle social et économique, autour de la notion de startup de territoire. Henri Seydoux, à la tête de Parrot, a montré qu’il était possible de créer une entreprise industrielle en France. Son histoire est faite de passion et d’acharnement, mais aussi, plus prosaïquement, de problèmes dont il a fallu s’occuper et qu’il a fallu résoudre. La réalité, terre-à-terre et à bras le corps. Pour mettre en place le Compte-Nickel, Hugues Le Bret et son équipe ont dû apporter des réponses ingénieuses à des problèmes multiples, comme mettre en place une vérification en temps réel du compte du détenteur d’une carte, ou s’appuyer sur les buralistes pour disposer d’un réseau de distribution national à coûts minimes. Le pari de Pierre Meisel est gagné. Contre tous les préjugés, la diversité, à condition qu’elle soit bien gérée, améliore la performance. Et peut faire que des handicapés accueillent en vainqueurs des équipages de marins valides à l’arrivée d’une régate. Jewly a un rêve, celui de vivre de la scène. Elle a aussi un sens aigu du réalisme, loin du miroir aux alouettes de la gloire accessible à tous. L’entreprise dans laquelle elle est engagée instaure un dialogue entre ce rêve et la réalité, le premier incarné par Jewly, l’artiste, le second par Julie Claden, la manager, dans une forme de schizophrénie. Schizophrénie ? Loin des rêves inaccessibles et des réalismes dévastateurs, les belles réussites de ce numéro dessinent un autre chemin, lumineux, qui donne à voir un monde qui se transforme, et ouvre sur un monde que l’on peut transformer.

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