Le Journal de l'École de Paris - janvier/février 2017

Recoudre la société

janvier/février 2017

L'édito de Thomas PARIS

Le vivre-ensemble s’est imposé comme une notion centrale de cette décennie. S’il semble marquer la renaissance de valeurs fondamentales, il est d’abord l’aveu d’un échec, d’un renoncement de notre projet commun. Il y a du pis-aller dans cet inélégant néologisme. Il y avait la société ; qu’on ait eu besoin d’inventer un autre terme souligne que ce qu’il énonce n’existe pas ou est malmené. Si société signifie vivre ensemble, vivre-ensemble est relégué à l’idée d’une cohabitation tant bien que mal, ou malgré tout. La question aujourd’hui n’est plus de comprendre comment on en est arrivé là. Des pistes se révèlent dans ce numéro : les inégalités, la croyance que le lien social allait de soi, les représentations réductrices et stigmatisantes de certaines populations... Les habitants du Nord-Pas-de-Calais sont devenus les “tarés” de la France, les jeunes des quartiers traînent comme un boulet l’image qu’ils renvoient. Et le réfugié, nous dit Nathanaël Molle, est perçu comme « un élément indistinct, non identifié, au sein d’une horde en mouvement potentiellement menaçante ».


La vérité est que notre monde est fait d’événements historiques ou de décisions politiques qui impliquent l’implantation ou le déplacement de grandes masses. On construit un aéroport, des populations fuyant leur pays s’installent dans un lieu donné, l’immigration massive de main-d’œuvre conduit à la création rapide de logements et de quartiers... Ces implantations posent la question de l’articulation de ces masses avec leur environnement. Elles sont posées là ; des îlots se forment.


Ce numéro met à la lumière ceux qui tissent des liens autour de ces îlots. C’est l’association Singa qui réalise un travail de fourmi avec les réfugiés pour les aider à se sortir du piège d’une machine administrative déstructurante, et qui entretient l’idée que l’on peut avoir d’eux. Ou Planèt’AIRport qui s’efforce de construire des relations entre les aéroports et les populations voisines. Ou encore SoLocal, ex-PagesJaunes, qui s’est réinventé un rôle en travaillant avec les grands acteurs du numérique pour faire le lien entre les populations et les entreprises locales. Ou la Fondation Culture & Diversité qui prend en charge avec humilité toutes les fonctions de l’ombre qui permettent réellement de donner une chance égale aux jeunes des quartiers défavorisés qui veulent accéder au monde de la culture. Ou enfin, Jean-François Caron et son équipe municipale qui redonnent de la dignité à la population de la ville minière de Loos-en-Gohelle, tout en en faisant une ville pilote de la transition énergétique et des modèles sociaux alternatifs.


L’on voit ainsi combien ce tissage est nécessaire pour que se révèlent, derrière ces grandes masses, des individus constituant des forces vives précieuses et créatrices de richesse économique, qu’ils soient anciens mineurs, réfugiés ou habitants des cités. Longtemps, notre monde a cru en de grandes idées. Le temps est venu de reconnaître, avec le maire de Loos-en-Gohelle, que si nous avons besoin d’étoiles qui brillent, il nous faut aussi des petits cailloux blancs.

 

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