Exposé d’Anne-Laure Thomas-Briand

Après avoir travaillé pour KPMG, puis pour le groupe La Poste, au sein de la direction des ressources humaines, j’ai rejoint L’Oréal il y a cinq ans.

Les différentes formes de discrimination

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le thème de la diversité au travail nous concerne tous, car, au cours de notre vie, nous pouvons tous être victimes d’une forme ou d’une autre de discrimination.

La première est liée au handicap qui, statistiquement, touche ou touchera un tiers d’entre nous, sachant que certains handicaps sont invisibles, comme le fait de souffrir de diabète, de problèmes cardiaques, d’asthme, d’allergies sévères, ou encore de la maladie de Crohn.

La deuxième grande source de discrimination concerne les origines, qu’elles soient ethniques, sociales ou géographiques. Par exemple, les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville ont deux fois moins de chance d’intégrer les processus de recrutement des entreprises, soit parce qu’ils en sont écartés, soit parce qu’ils s’autocensurent.

Une troisième source de discrimination est le genre, à travers l’inégalité femmes/hommes, que cela se traduise par des attitudes sexistes à l’égard des femmes, ou encore par des écarts entre les carrières des hommes et celles des femmes.

Viennent ensuite les discriminations liées à l’âge, qui concernent aussi bien les jeunes que les séniors.

La cinquième catégorie est liée à l’orientation sexuelle. On estime que 54 % des personnes ayant fait leur coming out au travail subissent des discriminations.

Enfin, la dernière source de discrimination est l’apparence physique.

Pourquoi les entreprises se mobilisent-elles sur ces questions ?

Une demande sociétale

Si les entreprises se mobilisent de plus en plus sur ces questions, c’est d’abord parce que cela correspond à une demande sociétale. Le thème de la diversité et de l’inclusion dans l’entreprise a pris une ampleur croissante au cours des dernières années. Désormais, 7 Français sur 10 estiment que « les entreprises et les marques ont un rôle à jouer sur les sujets de société », non seulement, par exemple, dans la lutte contre le changement climatique, mais aussi dans la promotion d’une société plus juste et plus respectueuse de chacun.

Selon le baromètre d’Edelman de 2022, 51 % des Français achètent ou défendent des marques partageant leurs valeurs. D’après une étude de GreenFlex menée en 2018, 63 % des milléniaux considèrent qu’il est important que les entreprises agissent de manière éthique. Enfin, près d’un jeune sur deux place la recherche de sens et d’impact sur le monde comme premier critère de choix d’un employeur.

Un encadrement renforcé par les pouvoirs publics

Une autre raison de se mobiliser sur le thème de la diversité est que les pouvoirs publics renforcent sans cesse les contraintes en la matière. Jusqu’à janvier 2020, par exemple, l’obligation, pour les entreprises de plus de 20 salariés, d’employer au moins 6 % de personnes en situation de handicap prenait en compte à la fois l’emploi direct et indirect – ce dernier comprend, entre autres, l’achat de fournitures à des entreprises adaptées employant des personnes en situation de handicap. Désormais, le taux de 6 % porte exclusivement sur l’emploi direct. Les entreprises doivent donc recruter de plus en plus de personnes handicapées, ce qui nécessite que celles-ci se sentent suffisamment bien accueillies pour ne pas s’autocensurer.

Voici deux autres exemples de renforcement de la législation en matière d’égalité femmes/hommes : la loi Copé-Zimmermann (2011) exige la présence d’au moins 40 % de femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance, et la loi Rixain (2021) prévoit des quotas de femmes dans les instances dirigeantes (30 % en 2027, 40 % en 2030), avec des pénalités financières de l’ordre de 1 % de la masse salariale pour les entreprises qui ne se mettront pas en conformité dans les deux ans suivant la date d’application de la loi.

Un facteur clé de réussite pour l’entreprise

La troisième grande raison de se mobiliser sur ces sujets est tout simplement que c’est bénéfique pour l’entreprise. Des équipes diversifiées, composées de personnes venant de toutes cultures, de tous milieux et de tous modes de vie, sont plus aptes à comprendre les enjeux, à saisir les opportunités émergentes, à faire preuve de créativité et d’innovation. Par ailleurs, chacun de nous a besoin de vivre dans un environnement respectueux et bienveillant pour donner le meilleur de lui-même. Une étude a ainsi montré que lorsque les personnes LGBT+ doivent cacher leur orientation sexuelle sur leur lieu de travail, elles perdent 26 % de leur énergie productive.

Mesurer la diversité

Pour agir en faveur de la diversité au sein de l’entreprise, il est nécessaire, avant tout, de savoir la mesurer. C’est relativement facile en ce qui concerne la proportion de personnes en situation de handicap, de femmes occupant des postes de direction, de jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville, ou encore d’employés âgés de plus de 50 ans.

Par exemple, L’Oréal compte 5,4 % de salariés en situation de handicap, ce qui est inférieur aux 6 % prévus par la loi, mais largement supérieur à la moyenne française (3,5 %). Nous souhaitons cependant continuer à progresser.

De même, nous nous sommes rendu compte, en 2007, que seulement 17 % des salariés expatriés étaient des femmes. Or, le fait de travailler pendant quelques années à l’étranger est généralement un accélérateur de carrière. Cherchant à comprendre les raisons de cet écart, nous avons constaté qu’un homme à qui l’on propose l’expatriation l’accepte très rapidement, alors qu’une femme commence par en parler à son conjoint, s’inquiète pour l’emploi de celui-ci et finit généralement par décliner la proposition. Nous nous sommes associés à d’autres entreprises afin de faciliter la recherche d’emplois à l’étranger pour les conjoints de nos salariées ; nous sommes ainsi parvenus à un taux de 49 % de femmes parmi les expatriés, ce qui est de nature à accroître la taille du vivier de femmes susceptibles d’occuper des postes de direction. De fait, à l’heure actuelle, 50 % de nos directeurs de marque sont des femmes, ainsi que 32 % des membres du comex ; et 55 % des postes clés sont détenus par des femmes.

Il est beaucoup plus difficile de mesurer la diversité des origines ethniques, car, en France, les statistiques dans ce domaine sont interdites. C’est ce qui nous a conduits à participer à l’expérimentation de l’Index diversité et inclusion, lancée le 17 novembre 2021 par Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances. Cet outil respecte strictement les règles de volontariat, d’anonymat et de confidentialité des données préconisées par la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) et le RGPD (Règlement général sur la protection des données). Il permettra aux entreprises de disposer d’une photographie de la diversité de leurs équipes et, ce faisant, de mesurer les résultats de leurs actions en faveur de celle-ci.

Trois axes stratégiques

L’Oréal travaille sur ces sujets depuis une vingtaine d’années, avec pour objectif d’offrir à chacun de ses salariés un environnement de travail inclusif, bienveillant et respectueux, où chacun puisse être lui-même, quels que soient son origine, son genre, son âge, son handicap, son apparence physique, son orientation sexuelle ou son identité de genre. Pour cela, nous avons identifié trois axes stratégiques.

Recrutement et évolution de carrière

Le premier axe stratégique consiste à s’assurer qu’il n’existe pas de discrimination au moment du recrutement. Je travaille en lien étroit avec la direction des ressources humaines et, depuis mon arrivée dans l’entreprise, j’ai organisé cinq opérations de testing confiées à des organismes extérieurs, afin de vérifier l’absence de discrimination à l’embauche. Les recruteurs reçoivent une formation en amont, mais ignorent à quel moment la campagne sera lancée et sur quel thème elle portera. Le prestataire adresse au service de recrutement plusieurs centaines de candidatures spontanées, avec, chaque fois, des paires de CV similaires, sauf sur un seul critère, ce qui nous permet de vérifier s’il existe une discrimination fondée sur le critère en question. Chaque fois, nous avons constaté une absence de discrimination.

Non seulement nous nous fixons, avec la direction des ressources humaines, des objectifs de recrutement, mais je participe également, avec mon équipe, aux forums de recrutement spécialisés organisés en direction des jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville, des personnes porteuses de handicaps, ou encore des femmes subissant des violences. S’agissant de ces dernières, le retour à l’emploi est décisif pour qu’elles puissent s’émanciper, mais, pour cela, encore faut-il qu’elles cessent de s’autocensurer, ce qui nécessite de les accompagner. Ceci nous a conduits à organiser, avec la Fondation des femmes, un forum dans le cadre duquel nous nous étions engagés à recruter des femmes victimes de violences conjugales, objectif qui a été atteint.

Autre exemple, en nous inspirant d’une expérience menée chez Andros, nous avons lancé un programme de recrutement de personnes autistes souffrant d’une déficience intellectuelle. En trois ans, nous avons réussi à intégrer 14 personnes correspondant à ce profil dans nos usines, en identifiant des postes de travail adaptés (par exemple, la pesée du pigment de rouge à lèvres) et en cherchant des solutions pour les problématiques associées, comme celle de l’hébergement.

Sachant que la lutte contre les discriminations ne s’arrête pas au moment du recrutement et doit se poursuivre tout au long de la carrière, nous avons recueilli et filmé des témoignages de collaborateurs souffrant d’un handicap visible ou invisible (par exemple, une personne devenue sourde d’une oreille pendant sa grossesse), avant de les diffuser en interne, puis, vu le succès, en externe. Ces petits films, regroupés sous le hashtag #NoFilter, nous ont valu énormément de candidatures : « Je ne savais pas qu’on pouvait travailler chez vous en étant handicapé. Quels sont les aménagements de poste possibles ? »

Sensibiliser, informer et former

Ceci fait le lien avec notre deuxième axe stratégique, qui concerne la sensibilisation, l’information et la formation. L’Oréal affiche sa volonté de tolérance zéro envers les discriminations, mais, pour que celle-ci soit effective, encore faut-il que tous les collaborateurs connaissent le sujet et en comprennent les enjeux. C’est pourquoi toutes les personnes recrutées au sein du Groupe doivent obligatoirement suivre une formation d’une journée, intitulée Ateliers de la diversité et destinée à leur faire comprendre l’importance de lutter contre les discriminations. Des formations spécifiques sont également prévues pour les recruteurs, les managers, les communicants.

Nous organisons des opérations de sensibilisation comme, en décembre 2021, l’événement intitulé Talk Handicap – Libérons la parole, au cours duquel plusieurs collaborateurs porteurs d’un handicap invisible se sont exprimés sous un format inspiré des conférences TEDx, après y avoir été formés au préalable. Une collaboratrice a parlé de la prise de conscience de son diabète et des contraintes que cette maladie entraîne, une autre de sa maladie de Crohn et de l’astuce trouvée avec son manager pour qu’elle puisse quitter précipitamment une réunion lorsqu’elle en avait besoin (« Zut, Hugo m’appelle, il faut que j’y aille tout de suite, excusez-moi ! »). Un troisième collaborateur a raconté l’accident de ski à l’issue duquel il est devenu paraplégique et n’a pu retrouver la station debout qu’au prix d’efforts incroyables. Ces prises de parole, auxquelles tous les participants pouvaient renoncer jusqu’à la dernière minute, ont eu lieu en présence de Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, mais aussi du comex de L’Oréal, car il est essentiel que ces sujets soient portés jusqu’au sommet de l’entreprise. Elles ont été retransmises dans les amphithéâtres des autres sites, pleins à craquer, et 900 personnes se sont connectées à distance. Certains intervenants étaient accompagnés par toute leur équipe de travail. À la suite de cette opération, j’ai reçu un nombre incroyable de messages d’autres personnes porteuses de handicaps témoignant de ce qu’elles vivaient et nous avons enregistré une soixantaine de reconnaissances de la qualité de travailleur handicapé.

Pour nous assurer que les principes que nous portons soient relayés le plus largement possible dans le Groupe, nous nous appuyons sur 300 “acteurs des diversités”, qui peuvent être des assistantes, des agents de sécurité, des chefs de marque, ou encore des directeurs financiers, et sont volontaires pour renforcer notre politique de diversité sur les sites où ils travaillent (ateliers ou bureaux). Nous mettons à leur disposition des outils clés en main, mais ils peuvent également prendre des initiatives.

Par exemple, pour la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, la filiale France a organisé deux ateliers. L’un amenait à mieux comprendre, grâce à des casques de réalité virtuelle, ce que vit une personne en situation de handicap et l’autre permettait aux salariés, avec l’aide de médecins du travail et d’assistantes sociales, d’établir un pré-autodiagnostic pour savoir s’ils peuvent prétendre à une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. De même, les acteurs des diversités du siège monde de L’Oréal, situé à Clichy, ont organisé un spectacle avec un humoriste bègue et une conférence avec des athlètes porteurs de handicap. Une rencontre est organisée une fois par an avec l’ensemble des acteurs des diversités pour leur permettre de partager leurs pratiques et, chaque année, nous publions un document recensant toutes leurs initiatives, en précisant quels étaient leurs cibles et leur coût, afin que d’autres établissements puissent s’en inspirer.

Au-delà des actions que nous menons au niveau du Groupe, nous accompagnons les marques de L’Oréal dans le développement de leurs propres causes. Par exemple, L’Oréal Paris s’est engagé, en partenariat avec la Fondation des Femmes, dans la lutte contre le harcèlement de rue. Yves Saint-Laurent Beauté se mobilise contre les violences faites aux femmes à travers un programme intitulé Aimer sans abuser, en partenariat avec l’association En avant toute(s). La marque Vichy s’est associée au Groupe d’études sur la ménopause et le vieillissement hormonal (GEMVI) pour lancer un manifeste, #Menopositivity, destiné à libérer la parole des femmes sur la ménopause et à encourager les entreprises à mieux accompagner la qualité de vie au travail de leurs salariées ménopausées. Brave Together est un programme de sensibilisation et de formation international contre l’anxiété et la dépression chez les jeunes, développé par Maybelline New York. En France, Maybelline s’est associée à l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) pour déployer ce programme pendant une durée de cinq ans.

Être un acteur sociétal

Au-delà de notre action au sein du Groupe, nous nous devons également d’agir en externe si nous voulons réellement faire bouger les lignes et construire le monde inclusif auquel nous aspirons. Ceci nous conduit à travailler avec les pouvoirs publics, mais aussi avec des associations et d’autres entreprises, pour monter des actions communes. Dans ce domaine, il n’y a pas de concurrence : nous devons travailler ensemble.

Nous avons, par exemple, décidé d’agir contre le sexisme ordinaire, qui se traduit par des propos tels que : « Ah c’est vrai, on ne peut pas compter sur elle le mercredi », « Alors c’est les soldes aujourd’hui, je suppose que tu vas partir plus tôt ? », « Comment ça, c’est toi qui vas chercher les enfants à l’école ? Ce n’est pas ta femme ? » Ce sexisme se traduit également par le fait que les hommes coupent systématiquement la parole aux femmes pendant les réunions. Lorsqu’ils sont constamment répétés, ces petites phrases et ces comportements en apparence anodins ont un vrai impact en matière d’inégalités entre hommes et femmes.

En 2018, avec deux autres entreprises, EY et Accor, nous avons lancé l’idée d’un acte d’engagement baptisé #StOpE (Stop au sexisme ordinaire en entreprise) et nous avons été rejoints par 27 autres sociétés. Nous nous sommes fait accompagner par une experte, Brigitte Grésy, à l’époque présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et, au terme d’un travail collectif, nous avons défini huit bonnes pratiques que chaque entreprise adhérente s’engage à mettre en place dans ses établissements, à raison d’au moins une par an : afficher et appliquer le principe de tolérance zéro ; informer pour faire prendre conscience des comportements sexistes ; former de façon ciblée sur les obligations et les bonnes pratiques de lutte contre le sexisme ordinaire ; diffuser des outils pédagogiques aux salariés pour faire face aux agissements sexistes en entreprise ; inciter l’ensemble des salariés à contribuer, à prévenir, à identifier les comportements sexistes et à réagir face au sexisme ordinaire ; prévenir les situations de sexisme et accompagner de manière personnalisée les victimes, témoins et décideurs dans la remontée et la prise en charge des agissements sexistes ; sanctionner les comportements répréhensibles et communiquer sur les sanctions associées ; mesurer et mettre en place des indicateurs de suivi pour adapter la politique de lutte contre le sexisme ordinaire.

En janvier 2021, StOpE a lancé le premier baromètre sur le sexisme ordinaire en entreprise, auquel 17 entreprises ont participé et 65 000 collaborateurs ont répondu. Parmi ces derniers, 8 femmes sur 10 subissent du sexisme ordinaire au quotidien et 4 hommes sur 10 déclarent être victimes de sexisme ordinaire, en général lié à la parentalité.

Chaque année a lieu une cérémonie au cours de laquelle nous accueillons de nouveaux signataires et, tous les trois mois, nous nous retrouvons pour partager nos réalisations. EY, par exemple, a élaboré un document de sensibilisation que les autres entreprises ont pu reprendre en changeant simplement le logo. De notre côté, nous avons mis en place une formation en e-learning que nous avons déployée chez L’Oréal avant de la mettre à la disposition des autres entreprises.

En janvier 2023, nous allons fêter les 4 ans de l’acte d’engagement et nous serons 200 entreprises à le signer, sous le haut patronage d’Isabelle Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances.

Par ailleurs, au nom de L’Oréal, je préside l’AFMD (Association française des managers de la diversité), qui réunit 160 entreprises et organisations mobilisées par la diversité. Il y a trois ans, j’ai monté, dans ce cadre et avec le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la semaine de l’entreprise responsable et inclusive (SERI), qui a lieu au début du mois d’octobre, avec de très nombreuses conférences et formations. Au sein de l’AFMD, tous les documents, les guides et les formations en e-learning sont partagés gratuitement, sans droits d’auteur, pour permettre aux plus petites entreprises de mettre en place ce genre de démarches à moindre coût.

La transformation de l’entreprise et de la société

Tous ces efforts en faveur de la diversité ont pour effet de transformer en profondeur le recrutement, la culture et le business de L’Oréal. Ils donnent lieu à des moments de partage et de célébration qui renforcent la cohésion des équipes et leur fierté d’appartenance. À travers les actions que nous menons en partenariat avec les pouvoirs publics, les associations et d’autres entreprises, nous essayons également d’apporter notre contribution à la transformation de la société tout entière.

Débat

La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé

Un intervenant : Pouvez-vous nous préciser ce qu’est exactement la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ?

Anne-Laure Thomas-Briand : Il s’agit d’un document délivré par la MDPH (maison départementale pour les personnes handicapées), que les salariés peuvent remettre ou non à leur employeur. Sachant que c’est à partir de ce document officiel que celui-ci comptabilise le pourcentage de personnes en situation de handicap au sein de son entreprise, il est important de créer un environnement de travail bienveillant et inclusif afin d’inciter les personnes porteuses de handicap à se faire connaître, à bénéficier ainsi d’éventuels aménagements de poste et à entrer dans les statistiques de l’entreprise.

La lutte contre le sexisme ordinaire

Int. : Comment se traduit, concrètement, la lutte contre le sexisme ordinaire ? Les hommes qui tiennent des propos blessants ou coupent la parole aux femmes se font-ils réprimander ?

A.-L. T.-B. : L’objectif est avant tout de leur faire prendre conscience de l’impact de ces comportements. Notre priorité est donc d’informer et de sensibiliser nos collaborateurs, par exemple à travers des affiches citant des exemples concrets des formes que peut prendre le sexisme ordinaire au travail. Cela peut aussi encourager certains collaborateurs à intervenir auprès de leurs collègues : « Ta blague de blonde, là, elle n’est pas drôle. » Idéalement, ces interventions doivent se faire avec bienveillance, car le but n’est pas de s’opposer les uns aux autres, mais de s’éduquer mutuellement.

Le plus souvent, une personne qui prend conscience de l’impact de ses propos a tendance à ne pas les reproduire : « Ah zut, je ne me rendais pas compte que telle phrase relevait du sexisme. » Dans le cas contraire, la victime ou les témoins peuvent s’adresser à leur manager ou à la direction des ressources humaines, qui en parleront à l’intéressé et, généralement, lui proposeront de suivre une formation sur ce thème.

Les discriminations sur l’apparence physique

Int. : Sur les images publicitaires de L’Oréal ou d’autres marques, on commence à voir des personnes d’origines ethniques et d’orientations sexuelles variées. En revanche, elles sont toutes merveilleusement belles. Comment vous assurez-vous que les imperfections physiques ne constituent pas un obstacle au recrutement chez L’Oréal ?

Int. : Il y a vingt-cinq ans, j’ai assisté à un cours de ressources humaines donné par la directrice du recrutement chez L’Oréal France et elle insistait tellement sur l’importance de la beauté physique qu’un étudiant, qui ne répondait pas parfaitement aux canons de la beauté, lui avait demandé : « Madame, pour être recruté chez L’Oréal, est-ce qu’il faut être beau ? », ce qui l’avait plongée dans une certaine confusion…

A.-L. T.-B. : C’est effectivement un sujet sensible, avec en particulier d’éventuelles discriminations liées à la grossophobie. En 2020, nous avons organisé une opération de testing qui portait sur l’apparence physique, avec des personnes de plus ou moins 30 kilos par rapport aux CV de référence, ou encore des personnes portant des tatouages ou des piercings. Nous n’avons pas constaté de discrimination.

Les discriminations contre les séniors

Int. : En France, actuellement, le taux d’emploi des personnes âgées de 50 à 65 ans est de 56 %. Or, l’âge du départ à la retraite va probablement être retardé. Le recrutement des séniors ne va-t-il pas devenir un enjeu essentiel dans les prochaines années ?

A.-L. T.-B. : Non seulement leur recrutement, mais leur non-discrimination au sein de l’entreprise, leur santé, ou encore leur employabilité tout au long de leur carrière. Chez L’Oréal, nous avons remis au goût du jour une formation qui avait été un peu mise de côté, intitulée Auteur et acteur de ma dynamique de carrière. Elle est proposée à tous les collaborateurs ayant plus de dix ans d’expérience professionnelle, que ce soit dans le Groupe ou non. Elle leur permet de faire le point sur toutes les compétences acquises dans leur travail, mais aussi dans le cadre de leurs éventuelles responsabilités associatives, et de se projeter sur ce qu’ils aimeraient faire dix ans plus tard, pour définir ce qui serait souhaitable et envisageable comme formation.

Une politique appliquée par l’ensemble du Groupe

Int. : Cette politique de diversité est-elle propre à la France ou s’applique-t-elle au niveau du Groupe tout entier ?

A.-L. T.-B. : C’est une politique globale, avec des différences selon les pays. Par exemple, la France est le seul pays à imposer le recrutement de 6 % de personnes handicapées, mais le Groupe s’est engagé à ce que le seuil minimum soit de 2 % partout. Des réunions mensuelles sont organisées par la coordination au niveau Groupe pour permettre aux différents pays de partager leurs bonnes pratiques. Le programme Stop au sexisme ordinaire en entreprise, par exemple, a été entièrement traduit en anglais pour que chaque pays puisse s’en saisir. L’Espagne et l’Italie sont en train de le traduire dans leurs propres langues. Un acte d’engagement sur l’emploi des personnes de plus de 50 ans a été lancé en France en juillet dernier et sera répliqué prochainement dans les autres pays d’Europe, aux États-Unis et au Japon.

La campagne Stand-up de L’Oréal Paris

Int. : Je suis très admiratif de la façon dont L’Oréal Paris a organisé l’opération Stand Up contre le harcèlement de rue. Cela pouvait être risqué, mais l’accueil des réseaux sociaux est excellent et doit donner envie à d’autres entreprises de vous imiter.

A.-L. T.-B. : Comme toutes nos campagnes, celle-ci a été initiée au niveau monde. En France, nous avons choisi de la mettre en œuvre en nous faisant accompagner par l’ONG Hollaback ! et la Fondation des femmes. L’objectif était de délivrer sous forme d’e-learning une formation très courte, intitulée Les 5D, qui permet de savoir comment réagir sans se mettre en danger lorsqu’on est victime ou témoin d’un harcèlement de rue : Distraire (« Faites semblant de connaître la personne harcelée, demandez l’heure ou créez une distraction »), Déléguer (« Trouvez une personne qui représente une forme d’autorité et demandez-lui de vous aider à intervenir »), Documenter (« Filmez discrètement la scène et proposez à la victime de lui fournir la preuve ou de témoigner »), Dialoguer (« Réconfortez la personne harcelée après coup, dites-lui que ce qu’elle a vécu n’est pas normal, agissez comme un.e ami.e »), Diriger (« Demandez au harceleur d’arrêter, rassurez la victime, demandez de l’aide en évitant de vous confronter directement »). Plus d’un million de personnes ont suivi cette formation et je suis effectivement régulièrement contactée par des entreprises qui me demandent comment choisir une cause et comment s’y prendre pour déployer une action.

Un impact économique difficile à mesurer

Int. : On ne peut qu’admirer le caractère vertueux de votre démarche. Cependant, L’Oréal étant une entreprise capitaliste, son conseil d’administration se doit de mesurer l’impact économique de sa stratégie. Quel est le rapport coût/avantage des actions que vous menez ?

A.-L. T.-B. : L’équipe de coordination mondiale est relativement importante, mais, au sein de chaque pays, les effectifs sont généralement modestes. Pour ma part, je travaille avec une petite équipe de quatre personnes et, en matière de communication, nous faisons tout nous-mêmes. Les vidéos dont je vous ai parlé sont réalisées avec nos smartphones et les photos qui illustrent le diaporama que je vous ai présenté sont des photos de collaborateurs. Quant aux 300 acteurs des diversités, ils prennent du temps bénévolement, en plus de leur travail, pour relayer nos actions, par exemple en organisant des réunions pendant la pause déjeuner. Notre capacité d’action est moins liée à notre budget qu’à notre agilité.

Du côté du retour sur investissement, il est clair que les actions en faveur de la diversité facilitent le recrutement et la rétention des talents, accroissent la fierté d’appartenance et ont également une influence positive sur les intentions d’achat des consommateurs, mais leur impact économique précis, et a fortiori financier, est difficile à évaluer.

Une charge supplémentaire pour les managers ?

Int. : Pour les managers, toutes les consignes que vous donnez pour lutter contre les discriminations représentent une charge supplémentaire, qui vient s’ajouter à des responsabilités déjà très lourdes. Comment le vivent-ils ? Ont-ils le droit d’exprimer leur éventuel désaccord ?

A.-L. T.-B. : Il est vrai que nous leur demandons beaucoup (recruter des personnes en situation de handicap, veiller à la diversité des origines, lutter contre le sexisme, etc.) et, parfois, ils ne se gênent pas pour nous dire que telle ou telle mesure va être impossible à appliquer.

Par exemple, nous avons pris des engagements sur le fait d’offrir des jobs d’été à des jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville, mais la direction des ressources humaines de la filiale France m’a expliqué qu’il n’était pas possible d’attribuer autant de postes que prévu, car il n’y en avait déjà pas suffisamment pour les enfants du personnel. Nous avons donc réduit les objectifs.

Cela dit, même si certaines mesures sont difficiles à mettre en place, aucun manager ne m’a jamais dit qu’il y était opposé par principe. Ils savent que, dans un monde qui change, les entreprises qui ne se transforment pas vont perdre de très nombreuses compétences. D’ailleurs, lorsque nos recruteurs vont à la rencontre des jeunes issus des grandes écoles, des questions sur ce que le Groupe fait en matière de diversité, de respect, de bienveillance leur sont systématiquement posées.

Des standards plus élevés que dans la société en général ?

Int. : La société que vous essayez de construire au sein de L’Oréal me paraît très décalée par rapport à la société en général, caractérisée par beaucoup de peurs et de rejets. Le contraste ne doit pas être facile à vivre, lorsque les gens rentrent chez eux le soir…

A.-L. T.-B. : Je ne suis pas en train de prétendre que tout est facile au sein du Groupe. Les réactions de rejet existent et doivent être prises en compte. Ainsi, intégrer 14 personnes autistes avec des déficiences intellectuelles nous a pris trois ou quatre ans. Nous avons dû former l’ensemble du personnel des usines, faire intervenir des associations, nous faire accompagner par des professionnels et, malgré tous ces efforts, certaines personnes autistes qui avaient été prérecrutées n’ont pas pu être gardées.

Un mal pour un bien

Int. : L’Oréal a commencé à se mobiliser en faveur de la diversité à la suite de sa condamnation pour discrimination en 2007. Depuis, de grands progrès ont été accomplis, mais pas au point de voir siéger des personnes de couleur dans le comex…

A.-L. T.-B. : Nous faisons énormément d’efforts pour progresser, mais il nous reste encore du chemin à parcourir, que ce soit pour le taux d’emploi de personnes porteuses de handicaps, ou encore, effectivement, pour la représentation des personnes de couleur dans les instances dirigeantes, en sachant que nous ne voulons opérer de discrimination ni négative ni positive. Nous devons progresser en élargissant le vivier des personnes susceptibles d’être nommées à des postes à responsabilité, comme nous l’avons fait pour les femmes en favorisant leur accès à l’expatriation.

Augmenter la place des hommes ?

Int. : Globalement, L’Oréal est une entreprise très féminine. Cherchez-vous aussi à rééquilibrer la proportion d’hommes ?

A.-L. T.-B. : Effectivement, 69 % de nos collaborateurs sont des femmes. Nous nous efforçons d’attirer davantage d’hommes, car nous sommes vraiment convaincus que la mixité est un atout, mais, là encore, sans discrimination positive : nous recherchons avant tout des compétences…

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Élisabeth BOURGUINAT