Exposé d’Olivier Legrain

Il y a quelques années, un petit garçon belge de trois ans, Viggo Mommaerts, souffrant d’un cancer du cerveau, avait besoin d’être soigné sans que cela n’affecte ses capacités de croissance ni son quotient intellectuel. Par chance, il a consulté un médecin qui a indiqué à ses parents que l’équipement dont il avait besoin, fabriqué par IBA, n’existait pas en Belgique, mais était accessible en Suisse. La raison d’être d’IBA, résumée par les mots protéger, améliorer, soigner, consiste à faire en sorte que tous les Viggo du monde puissent accéder à cet équipement et au traitement qu’il permet de délivrer, la protonthérapie.

Fondé en Belgique, le groupe IBA est également implanté en Allemagne, aux États-Unis, au Canada, en Chine et en Inde, et il emploie 2 500 personnes, dont 1 200 en Belgique. Depuis sa création, IBA a vendu plus de 650 accélérateurs de particules et a permis de soigner plus de 150 000 patients. Notre modèle d’affaires consiste à vendre l’équipement, mais également à le maintenir et à assurer sa fiabilité jusqu’à un taux de 98 % de disponibilité. Certaines machines sont en effet utilisées jour et nuit, notamment en Chine et en Inde.

Face à de grands concurrents comme Siemens, General Electric ou Hitachi, nous devons innover sans cesse et faire preuve d’agilité si nous voulons rester compétitifs. Nous investissons donc énormément dans la R&D. En 2024, nous y avons consacré 12 % de notre chiffre d’affaires, qui s’est élevé à 498 millions d’euros.

Quatre marchés

Le savoir-faire d’IBA consiste à créer des accélérateurs de particules de petite taille destinés à quatre marchés : la protonthérapie, la dosimétrie, la médecine nucléaire et les applications industrielles.

La protonthérapie

La protonthérapie représente 50 % de notre chiffre d’affaires. L’équipement que nous proposons comprend un accélérateur de particules, ou cyclotron, une salle de préparation dans laquelle un robot positionne le patient afin que la dose de protons puisse atteindre la tumeur, des outils d’imagerie permettant de détecter très précisément l’emplacement de cette dernière, et enfin la salle de traitement proprement dite.

Dans la radiothérapie conventionnelle, les rayons affectent non seulement la tumeur, mais les tissus voisins, pour lesquels ils sont toxiques. Par exemple, en cas de tumeur au sein gauche, une radiothérapie classique peut entraîner des complications cardiaques. Grâce à la propriété physique dite “du pic de Bragg”, la protonthérapie permet d’appliquer le faisceau de protons sur l’emplacement exact de la tumeur, défini de façon très précise et en trois dimensions. Cette technologie est ainsi particulièrement indiquée lorsque la tumeur se situe dans des zones sensibles comme le cerveau, le sein gauche, les poumons, ou encore la prostate.

La dosimétrie

La technologie de la dosimétrie permet de s’assurer que la dose de rayon est bien délivrée à l’endroit ciblé, en tenant compte des plus infimes mouvements du patient, liés, par exemple, à sa respiration. C’est un outil d’assurance qualité qui peut être utilisé en protonthérapie aussi bien qu’en radiothérapie conventionnelle ou en imagerie médicale. Cette activité représente 10 % de notre chiffre d’affaires.

La médecine nucléaire

IBA fabrique aussi des accélérateurs de particules destinés à produire des radioisotopes via une réaction chimique opérée en dehors du corps du patient. Ces radioisotopes sont ensuite attachés à des molécules et injectés dans le corps du patient. Ils sont programmés pour aller se positionner dans la tumeur et envoyer un signal à une caméra qui permet de diagnostiquer le cancer, mais aussi d’évaluer si le traitement fonctionne. En effet, l’un des indices de la présence d’une tumeur est une forte consommation de sucre ; lorsque le traitement est efficace, cette consommation diminue fortement. Les radioisotopes peuvent également être utilisés pour des diagnostics neurologiques et cardiaques.

Les applications industrielles

Enfin, les faisceaux d’électrons issus de nos accélérateurs peuvent également servir à stériliser le matériel chirurgical (gants, seringues, etc.) par palettes entières.

L’origine d’IBA

L’histoire d’IBA est intimement liée à celle de la Belgique et, en particulier, à l’affaire de Louvain, une crise politique qui a conduit à la fermeture de la section francophone de l’université catholique de Louvain, située dans la partie néerlandophone de la province de Brabant. Cette crise a entraîné la création d’une nouvelle université, Louvain-la-Neuve, dont les bâtiments ont été construits au milieu des champs. Le premier édifice à sortir de terre, en 1972, a été le centre de recherche sur le cyclotron, alors dirigé par Yves Jongen, qui est ainsi devenu, en quelque sorte, le premier habitant de Louvain-la-Neuve.

Au cours d’une année sabbatique à l’université américaine de Berkeley, il a imaginé un type d’accélérateur révolutionnaire, qui consommait moins d’énergie, offrait un meilleur rendement d’extraction et était plus propre. Yves Jongen a proposé à plusieurs entreprises de développer son innovation – ce que ses collègues chercheurs considéraient comme de la “prostitution” –, mais, bien que très compétitif, ce nouveau type d’accélérateur n’intéressait pas les industriels. Il a donc décidé de créer sa propre société grâce à ses économies, à un peu d’argent prêté par son père et à des fonds apportés par des investisseurs institutionnels. IBA a vu le jour le 28 mars 1986.

Le démarrage

L’objectif d’Yves Jongen était de vendre et de construire un accélérateur par an. Dès la première année, compte tenu des très grandes qualités de son produit, il en a vendu quatre, s’emparant ainsi de la totalité du marché mondial.

En 1992, il a remporté, contre Siemens, un appel d’offres de l’hôpital de Harvard pour un accélérateur destiné à la protonthérapie. La mise au point de cette application clinique a duré environ dix ans et le premier patient a été traité au début des années 2000. C’est à partir de ce premier succès qu’IBA a développé cette activité, jusqu’alors cantonnée aux départements de recherche.

En parallèle, IBA avait acquis la technologie du Rhodotron, une innovation du CEA qui n’avait fait l’objet d’aucune application industrielle. Cette machine révolutionnaire, dédiée à l’irradiation industrielle, a mis vingt ans à trouver son marché. Désormais, nous la vendons un peu partout dans le monde.

L’évolution du capital

Au milieu des années 1990, IBA réalisait déjà un chiffre d’affaires de 15 à 20 millions d’euros. C’est alors que j’ai rejoint l’entreprise, en 1996, juste avant l’OPA hostile d’une société canadienne, Nordion. Cette entreprise avait identifié le Rhodotron comme présentant un risque pour son cœur de métier, qui consistait à stériliser les produits industriels grâce à des sources de cobalt. Nos investisseurs de l’époque, des fonds institutionnels qui soutenaient IBA depuis une dizaine d’années, étaient tentés par une sortie du capital.

En nous inspirant du leveraged management buy-out, nous avons inventé le concept de leveraged employee buy-out. La quasi-totalité de la cinquantaine de salariés d’IBA de l’époque ont souhaité participer à l’aventure et nous avons racheté le capital au même prix que celui proposé par Nordion à nos investisseurs.

Cette nouvelle configuration du capital a permis d’activer l’esprit entrepreneurial des coéquipiers d’IBA. Nous avons ainsi pu contrôler notre destin et élaborer une stratégie de long terme, tout en adoptant un modèle dont l’objectif n’était plus seulement de servir l’intérêt des actionnaires, mais aussi de créer de la valeur pour toutes les parties prenantes, à savoir les coéquipiers d’IBA, ses clients, les patients auxquels sont destinés nos équipements et la société en général, sans oublier l’environnement.

Pour limiter l’endettement des collaborateurs et financer la croissance externe d’IBA, nous avons procédé, en 1998, à une introduction en Bourse qui a été un grand succès. L’action a été sursouscrite 32 fois et la valeur de l’entreprise s’est envolée. La société qui gère les parts des salariés s’est d’abord appelée Le Faisceau belge, puis Belgian Anchorage, et s’intitule aujourd’hui Sustainable Anchorage. Cette société détient 20 % du capital et 30 % des droits de vote.

La course à la croissance externe

À nos yeux, la seule façon de répondre à la survalorisation d’IBA était de développer l’entreprise de manière exponentielle. La période de 2000 à 2012 a donc été marquée par une véritable course à la croissance externe. Aujourd’hui, peut-être procéderions-nous différemment.

L’une de nos réussites a été l’acquisition d’une société suédoise et d’une société allemande dans le secteur de la dosimétrie. Grâce à une bonne synergie entre IBA et ces deux nouvelles filiales, nous avons intégré la dosimétrie à notre métier cœur, la protonthérapie, tout en continuant à utiliser leur expertise en radiothérapie conventionnelle.

Nous avons également racheté les deux plus grosses sociétés de stérilisation de produits médicaux, ce qui a fait d’IBA, pour un temps, le leader des sociétés de service dans ce domaine. Grâce à ces acquisitions, notre chiffre d’affaires a bondi de 15 millions d’euros en 1998 à 200 millions en 2000. Cette situation n’a pas été simple à gérer et nous avons finalement été contraints de revendre cette activité en 2004, en raison de l’explosion de la bulle Internet, qui a conduit nos banquiers à nous demander de rembourser la dette de manière anticipée.

Nous avons suivi un peu le même chemin en médecine moléculaire. En 2004, nous avons démarré une société de production et de distribution d’injectables radiopharmaceutiques, puis nous l’avons consolidée par l’acquisition d’une société américaine et d’une ancienne filiale du CEA. En 2012, nous nous sommes retrouvés devant un dilemme, continuer à investir dans notre cœur de métier ou poursuivre la consolidation de ce nouveau marché, et nous avons décidé de céder notre activité en médecine moléculaire. Dans les années qui ont suivi, notre concurrent Curium a poursuivi la consolidation. Sa capitalisation boursière s’élève aujourd’hui à 6 milliards d’euros…

Compte tenu du potentiel fantastique d’IBA pour créer de nouveaux marchés en stérilisation ou dans la médecine nucléaire, sans doute n’avons-nous pas capté toute la valeur à laquelle nous aurions pu légitimement prétendre. L’un des facteurs qui ont pesé dans cette décision a été notre volonté de conserver le contrôle du Groupe. Quand on écarte par principe toute augmentation de capital, la seule façon de financer la croissance est de se tourner vers les banques, et nous avons assumé ce choix.

La croissance organique

Entre 2012 et 2024, IBA a renoué avec la croissance organique en se focalisant sur les quatre secteurs d’activité dans lesquels elle avait un avantage compétitif durable, au premier chef desquels la protonthérapie.

Le recours à la supraconductivité a permis de réduire encore drastiquement la taille des accélérateurs destinés à ce marché, leur diamètre passant de 8 mètres à 3 mètres. Les nouveaux modèles ont connu un grand succès commercial, ce qui a fait des jaloux. En 2017, nous avons été confrontés à une guerre des prix menée par Varian, un concurrent américain. Nous avons résisté en sachant qu’à chaque vente, nous gagnions de l’argent, alors que Varian, qui gagnait de l’argent en radiothérapie conventionnelle, en perdait en protonthérapie. Cela a cependant été une période difficile pour moi. Le conseil d’administration me suivait, mais certaines de nos parties prenantes avaient du mal à croire que Varian finirait par renoncer. En définitive, Siemens a racheté cette entreprise en 2022 et a décidé de mettre fin à l’activité de protonthérapie. Nous avons ainsi gagné la guerre des prix.

Notre activité de médecine nucléaire a continué à bien se développer en ce qui concerne le diagnostic. L’utilisation de radioisotopes en thérapie, une technologie que nous essayons de promouvoir depuis vingt ans, commence à se répandre.

La stérilisation a également connu un bel essor avec l’adoption de notre technologie par de grands opérateurs de services.

Les raisons du succès

Si je me retourne sur les quarante dernières années, le succès – perfectible – d’IBA me semble s’expliquer par quatre grandes raisons.

La première est que nous avons réussi à développer une culture différenciante caractérisée par l’esprit entrepreneurial et la dimension collective, mais aussi par notre préoccupation pour le développement durable. Nous avons obtenu le label B Corp, qui reconnaît les bonnes pratiques des entreprises en matière d’impact social, sociétal et environnemental, et notre insertion dans l’écosystème créé par Sustainable Anchorage nous permet, bien qu’IBA soit coté en Bourse, d’adopter une stratégie de long terme. Lorsque j’évoque cette dimension, mes interlocuteurs me reprochent souvent d’être “fleur bleue”. Je suis cependant certain que cet écosystème attire vers IBA les meilleurs talents et suscite un grand engagement de leur part, ce qui nous permet de proposer les meilleurs produits sur le marché, de réduire les risques et de construire une société plus robuste.

La deuxième raison de notre succès est notre frénésie d’innovation. Nous cherchons en permanence à développer la “technologie d’après”, celle qui nous permettra de continuer à mettre sur le marché des produits très supérieurs à ceux de la concurrence. Si nous nous contentions de proposer des produits similaires, ou même légèrement supérieurs à ceux de nos grands compétiteurs, nous serions rapidement évincés du marché compte tenu de leur présence mondiale et de leur image de marque.

Notre succès est également lié à notre aptitude à cultiver des “accélérateurs de croissance”, c’est-à-dire à nous développer en aval de notre chaîne de valeur. Nous l’avons fait avec succès en ce qui concerne la dosimétrie, mais aussi dans le domaine de la stérilisation, même si, comme je l’ai indiqué, nous n’avons sans doute pas capté, à l’époque, toute la valeur à laquelle nous pouvions prétendre.

Enfin, notre quatrième force est notre capacité à exécuter nos plans stratégiques avec rigueur, et ce, même dans l’environnement plutôt favorable que nous nous sommes créé. Nous nous sommes organisés en trois pôles : d’une part, les applications cliniques, la protonthérapie et la dosimétrie ; d’autre part, les technologies, la médecine nucléaire et la stérilisation ; et enfin, une holding stratégique qui explore la création de valeur à travers les accélérateurs de croissance et grâce à laquelle nous espérons pouvoir capter une plus grande partie de la valeur créée.

Pour construire notre avenir, nous devons continuer à nous appuyer sur ces quatre forces, qui doivent devenir des obsessions.

Les perspectives de création de valeur

Accroître l’adoption de la protonthérapie

La création de valeur pour IBA dans les années qui viennent passera, tout d’abord, par le développement de la protonthérapie. Le principal frein à son adoption est son coût, compris entre 50 et 100 millions d’euros. Nous avons probablement épuisé les possibilités de miniaturisation, car on ne négocie pas avec la physique, mais nous pouvons certainement imaginer des solutions pour traiter beaucoup plus de patients avec le même équipement. Plus le nombre de traitements réalisés pendant la durée de vie de l’équipement augmentera, plus le coût de la protonthérapie diminuera.

Nous pouvons également mettre en avant la rentabilité de l’investissement dans la radiothérapie en général. En Europe, le traitement du cancer représente 5 % des dépenses de santé et, au sein de ce budget, 7,8 % correspondent à la radiothérapie (dont une part marginale pour la protonthérapie), alors que la moitié des patients sont traités par radiothérapie. La radiothérapie n’est donc pas rémunérée de façon proportionnelle à sa contribution. C’est encore pire aux États-Unis, où la radiothérapie, également utilisée pour traiter la moitié des patients, représente une dépense de 12 milliards de dollars, contre 40 milliards de dollars pour les médicaments – qui, en moyenne, n’augmentent que de trois mois l’espérance de vie des patients.

En ce qui concerne la protonthérapie plus particulièrement, elle est utilisée pour moins de 1 % des patients traités en radiothérapie, alors que les analyses pharmaco-économiques démontrent qu’il serait justifié d’y recourir pour 20 % d’entre eux. En d’autres termes, il existe environ 200 salles de protonthérapie dans le monde actuellement et, pour répondre aux besoins, il en faudrait plutôt 2 500.

Pour assurer la promotion de la protonthérapie, nous allons bientôt pouvoir nous appuyer sur la publication d’une première étude clinique. Celle-ci démontre ce que nous présumions, à savoir que non seulement les effets secondaires de la protonthérapie sont beaucoup plus faibles que ceux de la radiothérapie conventionnelle, mais que, pour le cancer sur lequel porte l’étude, le taux de survie des patients à cinq ans est bien supérieur. Comme me le faisait observer récemment un médecin d’un des trois centres de protonthérapie français : « Si ces résultats se confirment, l’éthique exigera de traiter l’ensemble des patients en protonthérapie. »

Accélérer l’adoption de l’utilisation des rayons X pour la stérilisation

Dans les années qui viennent, une deuxième piste de création de valeur pour IBA consistera à accroître l’utilisation des rayons X dans la stérilisation. Il existe deux autres technologies, l’une basée sur l’oxyde d’éthylène, efficace et bon marché, mais cancérigène et explosif, et l’autre fondée sur les sources de cobalt, un matériau qui peut être utilisé pour fabriquer des bombes sales, c’est-à-dire des bombes contenant des explosifs conventionnels, mais aussi des matières radioactives. Pour cette raison, cette deuxième technologie fait l’objet d’une réglementation contraignante. Par rapport à ces deux technologies, la stérilisation par les rayons X présente l’avantage de permettre de traiter d’énormes quantités de matériel et d’être inoffensive.

Investir dans les accélérateurs de croissance

Enfin, nous comptons créer et capter de la valeur en investissant dans divers accélérateurs de croissance, à commencer par le théranostic. Ce néologisme, construit à partir des termes thérapie et diagnostic, désigne une nouvelle approche médicale visant à privilégier le développement simultané des aspects diagnostic et thérapeutique en médecine nucléaire, en utilisant des radioisotopes pour attaquer non seulement la tumeur principale, mais ses métastases.

Si le théranostic se développe, son marché pourrait représenter plusieurs milliards d’euros. Plutôt que de vendre quelques accélérateurs de particules supplémentaires, nous avons décidé d’investir nous-mêmes aux côtés de différents partenaires produisant des radioisotopes. Le premier est le SCK CEN (Studiecentrum voor kernenergie, ou Centre d’étude de l’énergie nucléaire), un gros opérateur étatique belge dans le nucléaire qui dispose à la fois des savoir-faire et des matériaux dont nous avons besoin pour produire des radioisotopes en quantité et avec la pureté nécessaire. Le radioisotope en question, appelé Astatine 225, comportera un émetteur alpha pour le diagnostic et un vecteur permettant de traiter le cancer.

Nous avons développé un partenariat similaire avec Framatome pour le développement d’un réseau de distribution d’Astatine 211, un autre isotope émetteur d’alpha et utilisable en théranostic.

Par ailleurs, nous avons signé un accord public-privé avec la région Normandie pour le développement d’un nouveau type de traitement du cancer à base d’utilisation d’ions lourds. Un prototype est en construction à Caen et permettra de traiter le premier patient en 2027.

Enfin, une start-up allemande a mis au point un procédé révolutionnaire mobilisant un accélérateur de particules IBA pour doper les semi-conducteurs. À nouveau, plutôt que de nous contenter de lui vendre des accélérateurs, nous allons investir dans cette start-up et la laisser dérouler son plan stratégique.

La transmission

La société qui est devenue Sustainable Anchorage a été fondée en 1997. Les personnes qui ont participé à sa création commencent à vieillir et la question se pose de savoir à qui doivent revenir les 30 % des droits de vote correspondants : aux héritiers de ces personnes ou aux salariés d’IBA, “entrepreneurs de demain”, qui porteront son projet ? Nous penchons plutôt pour la deuxième option et, en janvier 2025, pour nous assurer que ces futurs entrepreneurs d’IBA puissent exercer un contrôle sur l’entreprise, nous avons accordé à une cinquantaine d’entre eux une représentation au sein de Sustainable Anchorage.

Cependant, encore faut-il résoudre l’équation économique. Je trouve très intéressante, de ce point de vue, la notion de steward-ownership développée par des entreprises comme Patagonia, Bosch, ou encore Novo Nordisk. Il s’agit de séparer les droits de vote des intérêts économiques. Les droits de vote peuvent être, par exemple, confiés à une fondation dont le conseil d’administration est composé de “sages” qui doivent à tout moment s’assurer que les décisions prises sont compatibles avec les valeurs des fondateurs, tandis que les dividendes continuent à être versés aux héritiers.

Débat

Vers un vaccin contre le cancer ?

Un intervenant : Si jamais un vaccin contre le cancer voyait le jour, avez-vous réfléchi à la façon dont vous pourriez réorienter votre activité ?

Olivier Legrain : Malheureusement, je ne crois pas qu’un vaccin contre “le” cancer soit envisageable, car nous n’avons pas affaire à “un” cancer, mais à une multitude de maladies regroupées sous le nom de cancer. Je suis convaincu que, dans les années qui viennent, on continuera à conjuguer différentes approches pour lutter contre ces maladies : radiothérapie, immunothérapie, chimiothérapie, chirurgie, etc.

Raccourcir la durée de la protonthérapie

Int. : J’ai eu la grande chance, il y a une dizaine d’années, de bénéficier d’un traitement par protonthérapie. Les préparatifs ont duré environ une demi-heure, et le traitement proprement dit, trois secondes. Comment raccourcir la durée des préparatifs ?

O. L. : Le temps utile est effectivement ridiculement court. L’un des grands enjeux, pour développer l’accès à la protonthérapie, est de réduire le temps de positionnement du patient. Actuellement, ces préparatifs durent environ vingt minutes, mais nous pensons pouvoir les abréger encore. La technologie va y contribuer de plus en plus. Dans les futurs modèles, la machine se règlera elle-même, sera capable de positionner le patient et, le cas échéant, de corriger sa position.

Une autre piste d’amélioration est l’hypofractionnement. À l’époque où les médecins ont défini le protocole d’utilisation de la protonthérapie, ils se sont inspirés de celui de la radiothérapie conventionnelle. Compte tenu des effets secondaires de cette dernière, le protocole divisait le traitement en trente doses, et les médecins en ont fait de même pour la protonthérapie. Or, les effets secondaires de la protonthérapie sont bien moindres et ne justifient pas un tel fractionnement. En délivrant le traitement en dix doses au lieu de trente, on multiplierait par trois la capacité de chaque équipement.

Certains vont plus loin encore et préconisent une “flash thérapie” qui consisterait à délivrer l’ensemble du traitement en une seule fois, ce qui serait véritablement révolutionnaire. La capacité des équipements serait multipliée par trente et le coût du traitement unitaire serait réduit d’autant.

Prendre en compte l’économie de la santé

Int. : Existe-t-il des pays où, pour adopter une nouvelle thérapie, on se base sur des études en économie de la santé ?

O. L. : En Europe, c’est aux Pays-Bas que le taux d’adoption de la protonthérapie est le plus élevé. Or, ce pays a mis en place un système reposant sur des analyses d’économie de la santé.

Il s’agit d’un modèle statistique qui prend en compte les risques de complications liés à la radiothérapie conventionnelle et à la protonthérapie. À partir d’un certain nombre de doses de radiothérapie conventionnelle susceptibles d’affecter les tissus sains (ce qui peut engendrer des frais de soin très élevés), le système arbitre en faveur de la protonthérapie. C’est pourquoi, alors qu’il existe un seul centre de protonthérapie en Belgique, pays qui compte 12 millions d’habitants, on en trouve 8 aux Pays-Bas, pour 18 millions d’habitants.

Financer la croissance

Int. : Vous dites que, pour répondre aux besoins en protonthérapie, il faudrait passer de 200 installations à 2 500. Si les commandes affluaient, pourriez-vous y faire face ?

O. L. : Notre modèle est très agile dans la mesure où nous n’assurons pas la production des accélérateurs, mais seulement leur assemblage et la réalisation des tests. Par ailleurs, ce sont nos clients qui financent la construction des équipements, au point que notre besoin en fonds de roulement est négatif.

L’investissement dans le théranostic

Int. : Par le passé, vous avez abandonné à Curium la production et la distribution d’injectables radiopharmaceutiques. Vous souhaitez désormais investir à nouveau dans la fabrication de produits porteurs de charges radioactives. Comment justifiez-vous ce revirement ?

O. L. : En radiopharmacie, l’avantage compétitif d’IBA était marginal. Cette activité n’avait de sens que dans le cadre d’une stratégie de réduction des coûts, et donc de massification des volumes, d’où la nécessité de la consolider, ce que Curium a parfaitement su faire.

Il en va différemment pour le théranostic, domaine dans lequel les deux partenaires que nous avons choisis, le SCK CEN pour l’Astatine 225 et Framatome pour l’Astatine 211, bénéficient d’un véritable avantage compétitif.

Int. : Ne risquez-vous pas de rencontrer des difficultés à vous procurer du radium en quantité suffisante ?

O. L. : Le radium est effectivement un matériau rare, mais il se trouve que, pour des raisons dont nous ne sommes pas fiers, à savoir la colonisation du Congo, le SCK CEN en détient des quantités considérables et d’une grande pureté.

L’investissement des “entrepreneurs de demain”

Int. : Comment sélectionnez-vous les salariés que vous appelez les entrepreneurs de demain et souhaitez associer à la gouvernance ?

O. L. : Ma définition de l’entrepreneur est celle que m’avait confiée, il y a longtemps, l’ancien président du conseil d’administration d’IBA, Philippe de Woot : « Un entrepreneur est quelqu’un qui a une vision pour un meilleur futur, le courage de prendre des risques et la capacité à convaincre d’autres personnes de le rejoindre dans cette aventure. » Pour le moment, nous avons proposé à l’ensemble des managers de rejoindre une structure qui a investi 20 % du capital de Sustainable Anchorage. Dans un deuxième temps, je voudrais ouvrir cette possibilité aux 2 500 salariés, ce qui est plus complexe à mettre en place, en raison des différences de règlementation d’un pays à l’autre.

Int. : Ces entrepreneurs de demain doivent donc investir une certaine somme ?

O. L. : Tout à fait. Cela fait partie du « courage de prendre des risques ». Chez IBA, nous avons déconnecté l’évaluation de la rémunération. Une bonne évaluation se traduit par une promotion, mais pas par une augmentation de la rémunération. En revanche, elle peut donner droit à une participation au capital.

La concurrence chinoise

Int. : Vous avez indiqué qu’IBA est présente en Chine. Ne craignez-vous pas, à brève échéance, de voir une entreprise chinoise produire des accélérateurs similaires aux vôtres ?

O. L. : C’est un risque, bien sûr. Il y a vingt ans, les Chinois nous copiaient. Il y a dix ans, ils faisaient les mêmes choses que nous. Désormais, ils nous devancent. La société chinoise United Imaging, qui existe depuis moins de dix ans, emploie d’ores et déjà 10 000 personnes et concurrence Siemens, Philips et General Electric. Heureusement, elle n’opère pas exactement dans le même champ qu’IBA.

Face à ce risque, nous avons adopté une stratégie un peu particulière. Plutôt que de voir émerger un concurrent chinois, nous avons préféré être proactifs et, en 2021, nous avons vendu une licence de notre technologie de protonthérapie à un géant du nucléaire en Chine, CGL, qui emploie 400 000 salariés. Nous avons choisi une entreprise de cette taille pour être sûrs d’être payés, d’autant qu’elle a une réputation à tenir en dehors de la Chine. Nous n’avions pas vraiment le choix. La Chine est actuellement le premier marché au monde en protonthérapie, car le développement de cette technologie a été planifié par l’État. Dans les années qui viennent, une quarantaine de centres de protonthérapie vont ouvrir là-bas.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Élisabeth BOURGUINAT