Exposé d’Henriette Steinberg

La démarche qui anime l’ensemble des personnes qui font vivre le Secours populaire français (SPF) au quotidien s’ancre dans la réalité de la vie des hommes, des femmes et des enfants de notre pays qui ignorent de quoi leur lendemain sera fait. Pour le SPF, les moments d’échanges sont essentiels afin de favoriser une réflexion commune. Nous croyons aux vertus de l’échange et de la compréhension mutuelle, dès lors que l’Autre est, par nature, reconnu comme un égal, et ce, quels que soient ses interlocuteurs. Ces vertus prennent tout leur sens quand elles se traduisent concrètement dans une action dont les effets sont mesurables, non seulement par ceux qui la conduisent, mais aussi par les bénéficiaires.

Les fondamentaux

Dès que l’on s’engage au SPF, il convient en premier lieu de ne pas détourner les yeux, quelle que soit la situation rencontrée par des personnes qui la subissent sans être en mesure d’en sortir seules. Il s’agit ensuite, sans a priori et dans le respect de chacun, de trouver comment agir sur ces difficultés, sans les nier, afin de donner aux individus concernés les moyens d’en sortir. Pour cela, il est nécessaire d’échanger avec ces personnes afin d’évaluer leur situation, de déterminer ce qui est prioritaire pour elles, ce qui leur est indispensable dans l’immédiat et ce qu’il faut envisager sur la durée. Il faut ensuite apprécier les conditions de faisabilité et le rôle qui incombera aux divers intervenants, publics ou privés, susceptibles de contribuer à la résolution des problèmes. Je reprendrai ici la formule de notre fondateur, Julien Lauprêtre : « Lorsque tu vois quelqu’un qui se noie, tu ne lui demandes pas pourquoi il n’a pas appris à nager, tu plonges pour le sortir de l’eau ! »

Le SPF engage donc ses membres dans la recherche des ressources matérielles et financières susceptibles d’améliorer la situation des personnes en difficulté par un soutien adéquat, qu’il soit ponctuel ou à inscrire dans une durée déterminée. C’est ce que nous appelons l’appel à la solidarité populaire.

D’autres approches sont pertinentes, mais elles ne se confondent pas pour autant avec la nôtre. Certaines choisissent de s’interroger sur les causes d’un drame afin qu’il ne se reproduise plus. Au SPF, nous préférons agir prioritairement sur ses conséquences. Ainsi, une personne qui, en tant qu’animateur-collecteur, souhaite peser sur les conséquences de tel drame afin de venir en aide aux personnes en souffrance, que ce soit à notre porte ou n’importe où sur la planète, recherchera en priorité à mobiliser les moyens les plus adéquats, non seulement auprès de toutes les strates de la population, mais aussi auprès des personnes morales ou de la puissance publique.

En revanche, une personne souhaitant agir à titre individuel sur les causes d’une telle situation en prenant en compte sa pleine complexité ne pourra le faire, en toute conscience et en toute liberté, que dans un cadre institutionnel autre que celui du SPF. Cette démarche déontologique stricte a mis du temps à être élaborée et n’est actée que depuis quelques années. Désormais, si une personne est titulaire d’un mandat au sein du SPF – président, trésorier ou autre –, elle ne pourra s’en réclamer pour briguer une fonction soumise au suffrage universel. Elle devra se mettre temporairement en retrait de sa fonction au SPF jusqu’à l’élection concernée et quitter cette fonction si elle est élue, ce qui ne l’empêchera cependant en rien de rester animateur-collecteur du SPF. Notre association se soucie prioritairement des situations concrètes que ses bénévoles rencontrent dans la vie courante et prête donc la plus grande attention à tout ce qui permet, aux uns et aux autres, de pouvoir agir sans prendre inconsidérément le risque d’être juge et partie.

Nous sommes une association dans laquelle les individus ne candidatent pas à telle ou telle fonction et où sont constituées collectivement des listes de personnes. Les responsabilités sont réparties au sein de chaque liste et c’est en fonction de ce que nous déterminons en congrès que telle ou telle liste proposée sera élue pour deux ans, période durant laquelle elle mettra en œuvre les décisions qui auront été prises collectivement et rendra compte de leur application.

Le SPF est une association reconnue d’utilité publique, complémentaire de l’enseignement public et agréée au titre de l’éducation populaire. À ce titre, elle se réclame d’une conception exigeante de ses obligations, à quelque niveau que ce soit, local, départemental, régional, national ou international. Ainsi, pour le SPF, il ne saurait être question de collecter l’argent du peuple sans être en mesure de lui rendre des comptes. L’exigence est la même lorsque nous sommes attributaires de contributions issues de fondations et d’entreprises ou de subventions de la puissance publique. Cela nous incite à continuer à collecter très largement afin d’être assurés de pouvoir continuer à agir en toute indépendance, partout où la solidarité l’exige.

Cet argent provenant de donateurs de toute nature, qui nous font confiance, nous leur rendons des comptes dans le cadre d’obligations contractuelles que nous cosignons préalablement. Nous sommes par ailleurs audités, à la fois par les instances en charge de la dimension réglementaire et par la Cour des comptes et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Nous sommes cofondateurs du comité de la charte de déontologie du Don en Confiance, ainsi que de France générosités. Bien entendu, nous sommes également contrôlés par les dispositifs idoines de l’Union européenne lorsque nous la sollicitons. Tous ces contrôles extérieurs s’ajoutent aux nôtres. Nous y sommes très attachés, malgré leur lourdeur, car ils représentent une sécurité, tant pour nos donateurs que pour nos dirigeants, et la rançon de notre volonté d’indépendance. Ils nous permettent aussi d’attirer dans nos programmes des personnes physiques ou morales qui souhaitent les soutenir en étant assurées que leur contribution parviendra bien à ses destinataires.

Nous avons choisi la quadrature du cercle en décidant, depuis la création du SPF, d’être une structure décentralisée présente dans 1 300 lieux répartis sur tout le territoire français. Notre structure est animée par plus de 10 000 personnes élues dans nos instances, qu’il s’agisse des comités locaux ou des fédérations rattachées à l’association nationale d’utilité publique. Nous avons également mis en place des antennes reliées aux comités locaux. Aujourd’hui, plus de 90 000 animateurs-collecteurs sont répartis sur l’ensemble du territoire et rattachés, selon leur lieu de résidence, à des comités ou des fédérations. Ils ont, en toute liberté, la responsabilité de collecter de l’argent pour le SPF sur la base de ses programmes et projets, dans l’urgence ou sur la durée. Nous excluons bien évidemment toutes les ressources qui seraient issues de trafics illégaux, qu’ils soient d’êtres humains ou de drogues. Les donateurs reçoivent en retour les récépissés qui, d’une part, leur sont nécessaires pour la défiscalisation de leurs dons et, d’autre part, nous sont nécessaires pour évaluer précisément les montants de la collecte et pour bien suivre l’utilisation des fonds reçus, en France, en Europe et dans le reste du monde.

Cette urgente nécessité de la paix

Au sein du SPF, chacun et chacune d’entre nous, en dépit de personnalités diverses, partage les mêmes convictions et une démarche identique. Tout n’est pas marchand. L’essentiel est que l’être humain dispose des moyens de se nourrir, de se vêtir, de construire sa vie, d’apprendre et, plus largement, de bénéficier de tout ce qui donne sens à la vie en tant que socle des générations futures. Chacun l’organise ensuite à sa guise, mais les fondamentaux sont là.

Pour autant, le SPF est lucide sur le fait que la situation de chaque enfant varie selon le lieu et les conditions de sa naissance, le passé et le présent de son entourage ainsi que les drames que vit le monde, et il œuvre partout afin de lui permettre de se construire un avenir. C’est ce que les animateurs-collecteurs bénévoles rendent possible en associant largement aux moyens propres du SPF les contributions de celles et de ceux qui ne se satisfont pas du malheur d’autrui et désirent peser sur ces situations. Il s’agit de faire en sorte que les plus fragiles puissent être soutenus et que l’ensemble de la communauté humaine se sente concernée par ce qui arrive à tout ou partie de ceux qui la constituent.

Nous n’avons aucunement l’intention de tout résoudre. En revanche, nous savons que nous avons des capacités d’action qui permettent d’infléchir les conséquences des drames, qu’ils soient le fait des hommes ou de la nature. Nous n’avons rien inventé, car ce sont nos prédécesseurs qui, au cœur de la première guerre mondiale, ont décidé de mettre en place des formes de solidarité populaire qui se sont développées dans notre pays depuis le Front populaire français jusqu’à la guerre d’Espagne et le coup d’État de Franco soutenu par Hitler. En dépit des nazis et de leurs séides, ces solidarités se sont maintenues clandestinement pendant la seconde guerre mondiale, jusqu’à ce que les successeurs des fondateurs, sortis de la Résistance, reparaissent au grand jour pour contribuer à la libération du pays. Avec les associations des familles de fusillés et de déportés, ils ont alors cocréé ce qui allait devenir le Secours populaire français dans sa forme actuelle. Nous sommes donc leurs héritiers et, à l’occasion de notre prochain congrès à Strasbourg, nous ferons paraître un ouvrage retraçant notre histoire.

Notre démarche est une approche vivante, tournée vers l’avenir. C’est dans cet esprit qu’à l’occasion de la publication de la Convention internationale des droits de l’enfant par l’ONU, le SPF a lancé son mouvement d’enfants Copain du Monde. Son objet est aussi simple qu’ambitieux : apprendre aux enfants à s’aimer plutôt qu’à se haïr, à s’écouter plutôt qu’à s’entretuer. Nous nous situons dans la démarche de ce qu’est, dans notre pays, l’éducation populaire. Nous sommes porteurs de ces valeurs à travers nos villages d’enfants Copain du Monde en France et, avec nos partenaires locaux, dans une trentaine d’autres pays. Cette démarche sociétale est efficace et contribue à faire reculer les fléaux que sont le racisme, l’antisémitisme, la violence, etc., tous maux générateurs de guerres. Nous n’avons donc pas la prétention de parvenir seuls à faire obstacle à ces fléaux, mais l’actualité nous montre combien il est urgent que, bien au-delà du SPF, il soit dit : « Halte au feu ! »

L’urgent et l’indispensable

Cette urgente nécessité de la paix va, pour le SPF, de pair avec le soutien aux populations civiles victimes des guerres, où qu’elles se déroulent. Nous soutenons les associations locales qui œuvrent dans les pays concernés, en Afrique, en Asie ou en Europe, de même que nous soutenons toutes les communautés aborigènes qui luttent contre la déforestation qui détruit leurs habitats et menace leur survie. Aux États-Unis, nous soutenons également les communautés éducatives qui luttent contre la propagation des armes et des drogues qui endeuillent de trop nombreuses familles. Le SPF est aussi présent en Europe communautaire, par exemple aux côtés de nos amis de Riace, en Calabre, dont l’ancien maire, Domenico Lucano, fait l’objet d’une chasse judiciaire et de menaces de mort de la part de la mafia locale pour avoir développé, lors de son mandat, l’accueil de réfugiés climatiques arrivés sur ses côtes. Son seul crime a été de les loger, avec l’accord des propriétaires et le soutien de sa population, dans des maisons vides, avec pour seule contrepartie l’incitation à y exercer leur ancien métier afin de recréer de la vie dans le village. Solidaires avec lui, nous avons récemment ouvert dans sa commune un village d’enfants Copain du Monde.

Nous sommes intervenus chaque fois qu’une catastrophe s’est produite, en France, bien sûr, mais aussi partout dans le monde, quels que soient les drames. Ce fut récemment le cas en Turquie, en Syrie, en Lybie et au Maroc, et aujourd’hui en Arménie, en Israël, à Gaza et au Sud-Liban. Nous prenons contact avec les associations que nous connaissons dans les pays concernés et, simultanément, nous lançons un appel à la solidarité dans le nôtre. Ensuite, avec le concours de ces associations, nous examinons sur place ce qui est urgent et indispensable, puis nous évaluons ce que nous pouvons faire. Nous sommes ainsi en mesure d’ajuster les projets et de fournir des informations précises aux médias de notre pays et à nos donateurs potentiels. Ensuite, nous conduisons l’activité dans la mesure des fonds disponibles et nous en rendons compte. Nous avons des partenaires dans plus de 60 pays et ce réseau contribue largement à notre efficacité.

Dans notre pays, nous aidons plus de 3 millions de personnes par an, dont la plupart sont des enfants, des adolescents ou de tout jeunes gens. Au-delà du strict aspect matériel, cette aide comprend un accompagnement pour effectuer les démarches administratives dans des lieux où les services publics ont disparu, au motif que la dématérialisation permet de tout gérer à distance avec un smartphone ou un ordinateur. Nous avons signalé, dès le début, à la puissance publique que de très nombreuses régions de notre pays ne sont pas couvertes par les réseaux et que la disparition des services publics de proximité a des conséquences redoutables sur les personnes âgées et, plus généralement, sur les personnes fragiles qui ne résident pas en ville. Nous n’avons été entendus que très partiellement, notamment sur la question du financement partiel d’accompagnateurs numériques dont la Première ministre a néanmoins affirmé récemment que leurs contrats seraient prolongés. Néanmoins, la fermeture de ce qui reste de services publics de proximité est toujours en cours et nous savons que cette perte sera redoutable pour la situation des personnes les plus précaires, ce dont la défenseure des droits s’est elle-même fait l’écho.

Au-delà de cette perte de lien entre la puissance publique et une part grandissante de la population, nos permanences d’accueil et de nos relais Santé nous font remonter les besoins d’un nombre croissant de personnes qui, jusque-là, ne sollicitaient pas le SPF. De plus en plus souvent, nous avons affaire à de jeunes couples qui travaillent, mais à temps partiel, et qui, de ce fait, ne disposent pas de moyens suffisants pour à la fois se loger et se nourrir. La situation s’aggrave également pour les familles monoparentales, majoritairement des mères seules avec un ou plusieurs enfants. Les informations dont nous disposons aujourd’hui, en ce qui concerne les futures obligations auxquelles seront assujettis les bénéficiaires du RSA, augurent que la situation ne fera qu’empirer. Nous avons fait part de nos inquiétudes à la puissance publique, mais nous n’avons pas le sentiment que la situation soit appréciée à la mesure du drame que nous constatons sur le terrain.

En 1988, le SPF a été la première association à mener une enquête – financée par le ministère des Affaires sociales et par la Commission des Communautés européennes – sur la pauvreté et la précarité, grâce à laquelle, pour la première fois, nous avons mis en évidence ce second point. Le constat actuel ressemble étrangement à celui d’il y a quarante ans. Nous entendons bien que l’objectif est de favoriser l’accompagnement des personnes afin de leur permettre de retrouver le chemin de l’emploi, mais nous sommes plus que sceptiques sur les hypothèses qui le sous-tendent.

En revanche, nous voyons bien le vol des vautours autour des personnes en difficulté qui prétendent les accompagner au titre de l’économie sociale et solidaire (ESS) en s’appuyant sur des financements publics. Ces subventions, largement dispensées, n’ont-elles donc pour objectif que de faire ce que la puissance publique ne fait plus dans le cadre normal de ses obligations, ce qui risque alors d’ajouter de nouvelles difficultés à celles issues de la désertification ? Le SPF sera vigilant et examinera une par une les situations qui en découleront. Notre accompagnement va toujours de pair avec la reconnaissance, voire, tout simplement, avec la connaissance des droits des personnes qui ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins essentiels, mais notre rôle ne peut en aucun cas consister à masquer ce que la puissance publique choisit de ne pas assumer et qui pourtant relève de ses responsabilités.

Faire reculer le malheur

Dans nos divers locaux, nous recevons de façon inconditionnelle les personnes en difficulté. Lorsque leur situation l’exige, nous leur apportons un soutien immédiat et nous leur fixons ensuite un nouveau rendez-vous, quelques jours plus tard, afin d’examiner avec elles leurs droits – qu’elles ne connaissent généralement pas – et d’examiner en détail leurs difficultés. En revanche, lorsque le nombre de personnes se présentant simultanément est de plus en plus important, il nous devient parfois difficile de leur consacrer tout le temps nécessaire.

En dépit de notre bonne volonté, il arrive alors que des situations s’enkystent et que des personnes ne voient aucune perspective s’offrir à elles. Il est d’autant plus important d’en prendre la mesure que se multiplient les non-réponses faites à ces personnes par les divers services publics. Le SPF est une association de solidarité et de mise en mouvement, et n’accepte aucunement d’être un supplétif de la puissance publique. L’idée que, puisque nous collectons, nous aurions les moyens de nous substituer à elle est à mettre à l’épreuve de la réalité à laquelle nous sommes confrontés.

Du fait que nous agissons sur des conséquences qui, par nature, sont indéniables, il est possible d’évaluer si nous avons, totalement ou partiellement, réussi à les corriger ou si nous avons échoué. Dans tous les cas, nous examinons et déterminons ensemble les moyens consacrés à telle ou telle action. Au SPF, il n’y a pas de place pour quiconque voudrait se servir de ses fonctions à d’autres fins que celles déterminées collectivement. Nous y prêtons une grande attention et si certains s’y sont essayés, ils ont échoué. Au SPF, toutes les générations sont concernées pour faire reculer le malheur et l’ensemble de nos partenaires, partout dans le monde, agit sur des bases comparables ou compatibles.

Débat

Le SPF au quotidien

Un intervenant : Comment choisissez-vous vos actions et comment les orientez-vous ?

Henriette Steinberg : Dans l’ordre, nos choix privilégient les enfants, les femmes, les personnes âgées, puis la population dans son ensemble, voire, tout simplement, l’Humanité. Les besoins auxquels nous répondons sont d’abord d’ordre alimentaire, puis relatifs au logement et, ensuite, à la santé. Nous ne prétendons pas tout résoudre, mais nous avons pour objectif de témoigner concrètement de notre solidarité et nous n’avons pas d’autre doctrine.

Il y a pourtant des sujets sur lesquels nous n’arrivons pas à collecter, ceux qui touchent en particulier les activités menées en dehors de nos frontières, ou certaines catastrophes singulières, tels les incendies de forêt de l’été 2022 en Bretagne, auxquelles nos fédérations locales, pas plus que quiconque d’ailleurs, ne s’étaient préparées. Heureusement, dans notre pays, des personnes trouvent que notre démarche leur convient et lèguent tout ou partie de leur patrimoine au SPF. Ces ressources sont utilisées selon les vœux des légataires, s’ils en ont formulé, ou sont librement affectées, grâce à un fonds d’urgence créé par le SPF, aux actions pour lesquelles la collecte ne suffit pas.

Int. : Comment s’organisent les tâches entre bénévoles et salariés ?

H. S. : Nous nous organisons sur le terrain. S’il s’agit pour les personnes de faire valoir leurs droits, elles ne savent généralement ni comment y parvenir ni à qui s’adresser. Notre premier travail consiste donc à les recevoir et à les informer sur ce à quoi elles ont droit et quel service public est susceptible de répondre à leur besoin. Nous les aidons ensuite à prendre un rendez-vous avec l’interlocuteur idoine en leur fournissant toutes les coordonnées nécessaires. Nous examinons également avec elles la situation dans laquelle elles se trouvent, par exemple si elles sont à la rue ou si elles ont un abri temporaire et, en fonction de cela, nous prenons les mesures d’urgence qui s’imposent. Nous avons également des personnels de santé, les médecins du Secours populaire, qui peuvent intervenir immédiatement en orientant les intéressés vers les services compétents, et un réseau de personnes susceptibles de leur proposer en urgence un hébergement temporaire.

Entre nous, la répartition des rôles est simple : c’est celui qui est de permanence dans nos locaux et qui reçoit qui doit se débrouiller pour trouver une solution ! À côté des 90 000 titulaires de la carte d’animateur-collecteur, nous ne disposons, sur la France entière, que d’un peu moins de 620 salariés pour respecter nos obligations réglementaires. Animateurs-collecteurs et salariés animent nos 1 300 lieux d’accueil. Nous sommes donc avant tout une association de bénévoles, tous capables de traiter les différents sujets auxquels ils sont confrontés, et nous ne souffrons à ce jour d’aucune crise du bénévolat.

Int. : Vous insistez sur le fait que nul ne peut jouer de rôle important au sein du SPF sans avoir fait de la collecte. Pourquoi ?

H. S. : À 12 ans, quand je suis entrée au SPF, ma première activité a été la collecte et je n’ai pas arrêté depuis. Aujourd’hui encore, chaque fois que je rencontre des gens, qu’ils soient ministres, chefs d’entreprise ou simples voisins de palier, je les sollicite afin qu’ils versent au SPF ! C’est uniquement parce que nous collectons l’argent qui nous est nécessaire que nous pouvons agir en toute indépendance. La collecte est donc au cœur de l’identité du SPF, mais si vous n’osez pas demander de l’argent sur la voie publique, vous pouvez toujours vous rendre utile autrement, en recueillant des surplus dans les magasins, en fabriquant des objets qui seront proposés dans nos braderies, etc. Néanmoins, c’est en collectant dans la rue que vous rencontrez les gens et que vous prenez conscience que ce sont souvent les moins nantis qui sont les plus généreux.

Int. : Comment se répartissent vos revenus entre collecte, legs, dons et subventions publiques ?

H. S. : La part de la collecte est largement majoritaire dans nos ressources. Nous ne sollicitons des subventions publiques – ce qui réclame de remplir beaucoup de dossiers – que sur certains projets. Nous sommes très circonspects sur la mode des appels à projets, qui sont lancés par des gens qui en attendent un bénéfice politique immédiat, mais dont personne ne sait pour combien de temps ils resteront en place, alors que nous sommes sûrs que le SPF, lui, sera toujours là dans la durée.

En tant qu’association reconnue d’utilité publique, le SPF a un conseil d’administration, un secrétariat national ainsi qu’une commission financière nationale, et peut recevoir des fonds versés par des entreprises privées ou des fondations. Ces fonds font l’objet de procédures d’acceptation, de conventions visées par le secrétariat national et votées par les membres du conseil d’administration et, enfin, de comptes rendus d’utilisation. Toutes les mesures prises par le conseil d’administration durant les deux ans de son mandat sont ensuite présentées en congrès. Les commissaires aux comptes attestent de la sincérité des comptes et les contrôleurs du Don en Confiance attestent du respect des engagements éthiques. Pour finir, nos résultats sont toujours rendus publics.

Une longue tradition de solidarité

Int. : Quels sont les liens du SPF avec le Secours rouge d’avant-guerre ?

H. S. : Le Secours rouge a été créé en 1923 en tant que branche française du Secours rouge international sous obédience communiste. Il est ensuite devenu le Secours populaire de France et des Colonies, avant d’être dissous en 1939 par le gouvernement de Paul Ramadier. Après que nombre de ses membres se sont engagés dans la Résistance, le SPF dans sa forme actuelle a été déclaré en 1946 au Journal officiel français. Le Parti communiste français (PCF) faisait alors obligation à ses adhérents de participer à des “organisations de masse” et, au sein du SPF, de nombreux militants communistes ont ainsi contribué, en tant que tels, à ses activités. Malheureusement, depuis de nombreuses années, alors que les formations politiques – dont le PCF – ne cessent de s’affaiblir, les difficultés des populations fragiles n’ont fait que croître. Face à cette situation, la population de notre pays a de plus en plus pris conscience de la nécessité de se mobiliser, sans considération d’appartenance politique, comme à l’occasion de la catastrophe du barrage de Malpasset, en 1959. Comme le SPF, stratégiquement, a choisi d’agir sur les seules conséquences en laissant à chacun le loisir de s’interroger sur les causes, ce sont désormais des personnes venant d’horizons extrêmement divers qui s’engagent dans ses activités de terrain.

Int. : Quelles sont vos relations avec les autres grandes associations tel, par exemple, le Secours catholique ?

H. S. : Elles sont excellentes, qu’il s’agisse du Secours catholique, d’ATD Quart Monde, d’Emmaüs, pour ne citer qu’elles ! Avec chacune des approches qui leur sont propres, toutes les grandes associations en sont venues aux mêmes conclusions que nous, à savoir traiter les difficultés telles qu’elles sont, là où elles sont, et voir comment il est possible d’être efficace. À de très nombreuses occasions, nos activités sont convergentes et, sur le terrain comme dans nos relations avec la puissance publique, il nous arrive fréquemment de nous épauler. Ces bonnes relations, claires et organisées, ont pris encore plus d’ampleur depuis le Covid-19 et l’aggravation de la situation d’urgence dans le champ alimentaire. Par ailleurs, avec ces associations, nous avons cocréé le dispositif Le Don en Confiance, qui contrôle l’usage des fonds que, les unes comme les autres, nous collectons. La principale différence du SPF tient à sa structure décentralisée et, entre autres, à la gestion directe par ses structures locales des fonds qu’elles collectent.

Int. : Comment la décentralisation telle que vous la pratiquez parvient-elle à fonctionner sans heurts ?

H. S. : C’est peut-être parce que chez nous, personne n’est candidat à rien. En revanche, les tâches doivent être accomplies et il faut que chacun rende compte à tous de ce qu’il a fait. Dans notre système, celui qui collecte n’est pas celui qui fait les comptes et celui qui fait les comptes n’est pas celui qui les inscrits dans les livres. Le SPF est une institution populaire, c’est-à-dire créée par des gens qui, à l’origine, ne possédaient rien et se devaient d’être solidaires en cas de difficulté. Progressivement, l’idée s’est imposée qu’il ne fallait pas demander de l’argent seulement à ceux qui n’en n’avaient pas, bien qu’ils fussent les plus nombreux, et que ce n’était pas parce que des gens en avaient qu’ils devaient obligatoirement le garder pour eux. Fallait-il alors les solliciter ? Après de longues discussions, finalement convaincu que cet argent, d’où qu’il vienne, serait utilement employé pour aller plus vite et plus loin, le SPF s’y est résolu. Que ce qui est collecté soit inscrit et contrôlable au centime près par tous fait que chacun s’honore de respecter ces contraintes. Pour nous, la décentralisation est le moyen d’être le plus efficace sur le terrain et nous l’avons vérifié sous toutes les latitudes.

Tout n’est pas marchand

Int. : Quelles sont vos relations avec les collectivités locales ?

H. S. : Nos secrétaires généraux, de fédérations ou de comités, entretiennent évidemment des échanges constants avec les édiles locaux et tous se connaissent. Sans pour autant prétendre se substituer aux services sociaux, ils les informent des situations problématiques auxquelles ils sont confrontés sur leurs territoires. Ces relations de proximité avec les collectivités territoriales existent depuis des décennies et, bien souvent, les municipalités mettent à notre disposition, gracieusement et parfois de façon pérenne, une salle ou différents locaux pour contribuer à telle ou telle initiative du SPF. Quand les projets de ces collectivités, à quelque niveau que ce soit, touchent la vie des personnes en difficulté avec qui nous sommes en contact, ces bonnes relations nous permettent d’attirer leur attention sur les points qui nous paraissent problématiques et, le cas échéant, d’agir, en concertation avec elles, pour répondre à un problème donné.

Contester sur le fond les projets de ces acteurs politiques ne relève que de la responsabilité de chaque citoyen. Cependant, lorsque les conséquences de certains projets nous semblent aller à l’encontre des intérêts des personnes, nous intervenons, non seulement auprès des élus locaux concernés, mais également lors des réunions interministérielles auxquelles le SPF participe régulièrement. Ainsi, dès l’origine de ce projet, nous avons alerté le Gouvernement sur les conséquences sociales terribles qu’aurait la dématérialisation des services publics, car nous avons constaté, en particulier lors de la pandémie de Covid-19, le désarroi profond des familles dont les enfants ne disposaient, dans le meilleur des cas, que d’un smartphone pour suivre leurs cours en distanciel.

Désormais, à chaque fois que se pose un problème majeur de cet ordre, nous invitons les représentants de la puissance publique à sortir de leurs bureaux et à nous rejoindre sur le terrain pour constater de visu les effets de leurs décisions sur les personnes impactées. Nous sommes la voix de ceux qui ne peuvent se faire entendre et nous nous définissons comme les aiguillons de la puissance publique. Les gouvernants changent, les exécutifs changent, les personnes changent, mais les problèmes ne changent pas et, comme nous n’avons aucun mandat à défendre, nous ne lâchons pas prise.

Int. : Quelle incidence le financement des “vautours de l’ESS” par la puissance publique peut-il avoir sur le risque d’une marchandisation de la fragilité que vous évoquez ?

H. S. : Au début, nous ne nous étions pas posé de question particulière, considérant qu’il s’agissait de dispositifs décentralisés et que le modèle coopératif pourrait alors être pertinent. Or, nous nous sommes vite rendu compte que ce dispositif législatif se traduisait par l’apparition d’une forme marchande inédite, se déployant sur un nouveau marché, mais ne s’affichant pas comme telle. Ainsi, les épiceries sociales et solidaires, qui sont reliées aux centres communaux d’aide sociale (CCAS), ne sont accessibles aux éventuels bénéficiaires que sur le seul critère de leur situation économique, évaluée par les CCAS. Ce fonctionnement va à l’encontre des principes du SPF, qui offre gratuitement un accueil inconditionnel et prend en compte la situation globale des intéressés. Alors, quand nous avons réalisé que ce dispositif biaisé conditionnait l’accès à des droits divers et variés et que l’on mélangeait ce qui relevait du soutien avec ce qui relevait de l’économie, cela nous a posé un vrai problème. En outre, au regard des montants conséquents versés par la puissance publique et de l’afflux de postulants qui, sous couvert d’ESS, cherchent à en bénéficier, notre méfiance a été renforcée face à ce qui nous semble être un risque de cannibalisation de l’action des associations. Cela nous inquiète sérieusement.

Int. : Le SPF est-il confronté, comme le sont d’autres associations, à des difficultés de financement ?

H. S. : Chaque association gère sa propre situation à sa façon. Néanmoins, à la suite de la pandémie de Covid-19, il a été décidé, au niveau européen, d’allouer des fonds aux pays fortement concernés par la précarité alimentaire. À ce titre, il a été proposé, par le commissaire européen en charge de ces questions, d’attribuer 60 millions d’euros à la France en précisant que, si elle n’en demandait pas le versement avant le 31 décembre 2023, l’argent resterait dans les caisses de l’Union européenne. Cette proposition a été votée par le Parlement européen. Or, depuis des mois, les quatre associations françaises qui seraient attributaires, dont le SPF, demandent en vain, au président de la République comme à la Première ministre, pourquoi cet argent n’a toujours pas été demandé. Tous nos secrétaires généraux sont désormais mandatés pour intervenir en urgence auprès des députés de leurs circonscriptions afin que soit mis fin à cette situation sidérante au plus tôt. Le bien-fondé de l’interrogation constitutive du SPF sur le rapport au réel des acteurs de la puissance publique n’en est, à nouveau et malheureusement, que renforcé.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Pascal LEFEBVRE