Une nouvelle pierre philosophale

Le mot phosphore vient du grec phosphoros, “qui apporte la lumière”, composé à partir de phôs (lumière) et de phoros (qui porte). Dans la mythologie grecque, ce nom désigne l’étoile qui annonce le jour, c’est-à-dire la planète Vénus, souvent encore visible un peu avant l’aurore.

C’est en cherchant la pierre philosophale que l’alchimiste allemand Henning Brand a découvert le phosphore, en 1669. En calcinant, en présence de charbon, des sels issus de l’évaporation d’urine, il a obtenu un matériau blanc qui luisait dans l’obscurité et produisait en brûlant une lumière éclatante.

Le phosphore est indispensable à la vie, en particulier parce qu’il est essentiel à la fabrication des acides nucléiques ARN et ADN, ainsi qu’à la formation des os. Pratiquement tout le phosphore, en milieu terrestre, provient de l’altération des phosphates de calcium des roches de surface, et 70 % des réserves mondiales de phosphate se trouvent au Maroc, où OCP a l’exclusivité de leur exploitation. Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui s’est traduite par des craintes sur la sécurité alimentaire et par la flambée des prix du gaz, les prix de vente des engrais ont explosé. Le phosphore, qui ne peut pas être produit artificiellement, est ainsi en passe de devenir une nouvelle pierre philosophale, capable de convertir la terre en or, celle des carrières de phosphate aussi bien que celle des champs fertilisés.

OCP ne borne pas ses ambitions à une augmentation massive de sa production d’engrais et de roches phosphatées pour répondre aux besoins alimentaires d’une population mondiale qui ne cesse de s’accroître. Il prévoit également de verdir considérablement ses processus de fabrication afin de lutter contre le dérèglement climatique. Le quasi doublement de sa production entre 2021 et 2027 doit ainsi s’accompagner de la création d’une capacité de 5 gigawatts d’énergies renouvelables, d’une réorientation massive de la consommation d’eau vers des source non conventionnelles (notamment le dessalement de l’eau de mer), ainsi que d’une montée en puissance de la production d’ammoniac et d’hydrogène verts.

Grâce à ses efforts en faveur d’une croissance préservant l’environnement, OCP a notamment l’ambition de conquérir le gigantesque marché africain. Dans un entretien accordé à CNBC en 2023, Ilias El Fali, directeur des opérations, expliquait que 60 % des terres arables du monde se trouvent en Afrique, que les rendements sur ce continent représentent un quart de la moyenne mondiale et que l’Afrique utilise un dixième des engrais vendus dans le monde, car ces produits sont hors de la portée de la plupart des petits agriculteurs. En conséquence, selon Ilias El Fali : « L’Afrique n'a pas seulement le potentiel pour garantir sa sécurité alimentaire, mais aussi pour nourrir le monde entier. »

Conquérir ce nouveau marché suppose, cependant, de réduire le coût d’achat des engrais. Selon les propos du PDG d’OCP, Mostafa Terrab, recueillis dans un article du Financial Times, ceci passe par le développement « d’engrais personnalisés, adaptés aux spécificités des sols africains », et par le fait de « ne pas obliger les agriculteurs à acheter ce dont ils n’ont pas besoin ».

Entre ces deux visions stratégiques, la vision d’une Afrique ayant vocation à nourrir le monde entier et la réorientation de l’activité d’OCP vers un usage raisonné et durable des fertilisants, on se demande laquelle est la plus stupéfiante.

Si OCP relève le défi de passer d’une culture productiviste à une culture du “juste ce qu’il faut” tout en préservant son modèle économique et l’environnement, il pourra se vanter d’avoir trouvé une pierre philosophale qui non seulement transmute les vils métaux en or, mais réalise la seconde propriété prêtée à la lapis philosophorum, à savoir permettre de prolonger la vie humaine au-delà de ses bornes naturelles, ou du moins au-delà des bornes que notre folie semble avoir assignées à la survie de notre propre espèce.