Exposé de Christian Brabant

Après avoir exercé durant vingt-cinq ans dans l’industrie de l’électroménager, chez Philips puis chez Whirlpool, entreprise que j’ai présidée pendant neuf ans, j’ai travaillé deux ans dans l’industrie textile, chez Éminence. J’ai ensuite rejoint ecosystem, une société à la création de laquelle j’avais travaillé avec passion pendant mes deux dernières années chez Whirlpool. Il s’agit d’un éco-organisme de traitement des DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques), que je dirige depuis son démarrage opérationnel en novembre 2006.

Une inquiétude croissante pour lenvironnement

Nos concitoyens se montrent de plus en plus inquiets au sujet du changement climatique et de la perte de biodiversité. L’irruption de la Covid-19 a quelque peu mis ces préoccupations au second plan, mais elles ne vont pas tarder à revenir sur le devant de la scène.

En novembre 2019, 87 % d’un échantillon représentatif de 2 400 Français se disaient « préoccupés par l’environnement », et 81 % des personnes interrogées se sentaient « dans l’obligation de changer leurs habitudes et d’adopter un mode de vie plus sobre ». Bien entendu, il existe un écart entre les intentions et le passage à l’acte, mais la prise de conscience environnementale a énormément progressé depuis quelques années.

À la question : « Pour vous, est-ce essentiel, important ou secondaire de faire chacune des choses suivantes dans les prochains mois ? », l’action « recycler nos déchets et nos équipements pour réutiliser les matières qui les composent » était classée comme essentielle par 62 % de l’échantillon, et la réponse « utiliser des matières recyclées plutôt que des matières “vierges” pour fabriquer des produits neufs » l’était par 52 % des personnes interrogées.

Nous avons mené une nouvelle étude depuis la crise sanitaire, qui nous a permis de constater que l’envie d’agir reste toujours aussi forte. Ainsi, l’objectif de « donner, revendre ou faire réparer [leurs] objets et appareils plutôt que les jeter » est mentionné par 32 % des personnes ; l’intention de « louer ou emprunter plutôt qu’acheter les équipements dont on n’a pas souvent besoin » est évoquée par 27 % de l’échantillon, et celle de « privilégier les achats de produits d’occasion » par 24 %.

La pollution liée aux DEEE

Les équipements électriques et électroniques n’ont pas d’impact environnemental particulier, tant qu’ils sont en fonctionnement. En revanche, lorsqu’ils deviennent des déchets, ils peuvent avoir des effets très dangereux, car certains comprennent des composants tels que des plastiques avec retardateur de flamme, du mercure, ou encore des CFC, ces gaz à effets de serre contenus dans les anciens appareils de froid.

Or, au niveau mondial, 83 % des 53 millions de tonnes de DEEE générées chaque année ne sont pas traités. C’est d’autant plus préoccupant que leur volume augmente rapidement : depuis cinq ans, 9 millions de tonnes de DEEE supplémentaires ont été produites chaque année.

À ceci s’ajoute le fait que la réparation d’un produit électrique ou électronique devient de plus en plus difficile, car les pièces sont désormais souvent collées ou soudées au lieu d’être vissées. Même lorsque la réparation est possible, il est généralement plus rapide de commander un produit neuf que de faire réparer l’ancien. Une fois l’appareil devenu un déchet, son recyclage est également rendu plus complexe par le fait que les fabricants recourent de façon croissante à des alliages de matériaux.

La répartition des 17 % de DEEE ayant fait l’objet d’un traitement au niveau mondial est très inégale entre les continents. En Afrique, leur taux de traitement n’est que de 0,9 % ; en Océanie, il est de 8,8 % ; en Amérique, de 9,4 % ; en Asie, de 11,7 % ; et en Europe, de 42,5 %. La France se distingue avec un taux de traitement des DEEE qui atteint 52 %.

Outre la dangerosité des DEEE non traités, la non valorisation des matériaux qui les composent représente une perte de 57 milliards de dollars à l’échelle mondiale.

REP et éco-organismes

Jusqu’à très récemment, les industriels se chargeaient de concevoir, fabriquer et commercialiser leurs produits électriques et électroniques, en assurant éventuellement leur entretien et leur réparation pendant leur durée de vie, et s’en désintéressaient une fois que ces produits étaient mis au rebut.

C’est en 1992 qu’a été adopté, en France, le principe de responsabilité élargie des producteurs (REP), qui oblige ces derniers à se préoccuper de la fin de vie des objets et équipements qu’ils ont fabriqués.

Des REP ont été définies pour les producteurs d’emballages, de mobilier, de piles, ou encore d’équipements électriques et électroniques. Aujourd’hui, il existe une vingtaine de REP en France et d’autres vont être créées dans les deux prochaines années.

Pour remplir leurs responsabilités sur la fin de vie des équipements, les producteurs peuvent recourir à un système individuel ou à un système collectif. Dans le premier cas, chaque producteur récupère ses propres déchets et les traite lui-même, ce qui est sans doute l’option la plus vertueuse, car elle les incite à anticiper, dès la conception, les opérations de démontage et de recyclage, à travers ce que l’on appelle l’écoconception.

Pour les produits largement diffusés comme les téléviseurs, les machines à laver ou les grille-pains, la collecte par chacun des fabricants des équipements qu’il a produits poserait d’insolubles problèmes logistiques. Les déchets sont donc collectés et traités par des systèmes collectifs appelés éco-organismes, et les fabricants se voient affecter un bonus ou un malus en fonction du niveau d’écoconception de leurs produits.

La mission d’un éco-organisme consiste à « prendre en charge la responsabilité de gestion de la fin de vie des équipements mis sur le marché par ses adhérents-producteurs ». Les adhérents-producteurs sont les metteurs en marché, qu’il s’agisse de fabricants, d’importateurs ou de distributeurs, pour les produits sous leur propre marque.

La plupart des éco-organismes ont un statut de SAS (société par actions simplifiée), mais la loi exige qu’ils soient à but non lucratif : ils ont l’interdiction de distribuer des dividendes. Lorsque l’exploitation dégage une marge positive, celle-ci doit être mise en provision pour les charges futures et elle n’est pas imposée.

La filière DEEE

La filière des DEEE a fait l’objet d’une directive européenne en 2002 et a été mise en œuvre en France en novembre 2006. Cette directive a été révisée en 2014. Des agréments sont délivrés par les pouvoirs publics aux éco-organismes pour une durée de six ans.

La finalité du principe de la REP n’est pas le recyclage des déchets, mais la réduction de leur volume. Le meilleur des déchets étant celui qui n’est pas produit, la hiérarchie des modes de traitement des DEEE commence par la réparation, éventuellement suivie du réemploi par un nouvel utilisateur. Vient ensuite la réutilisation en détournant l’objet de sa fonction initiale (par exemple, une chambre à air usagée peut servir de bouée), puis le recyclage qui consiste à dépolluer l’objet et à récupérer la matière dont il est composé. On passe enfin à la valorisation énergétique : le produit est brûlé pour produire de l’énergie. À l’issue de ce processus, il reste un déchet final, qui comprend des matières polluantes et peut être soit détruit, soit stocké dans des conditions de stockage sécurisé quand la destruction n’est pas possible.

Lorsqu’un consommateur achète un équipement électrique ou électronique, il a souvent besoin de se débarrasser de son ancien équipement. Les éco-organismes de la filière DEEE sont chargés d’informer les consommateurs de l’existence de réseaux de réparation, de réemploi et de collecte, et de financer des activités de réemploi et de réutilisation ainsi que les dispositifs de collecte mis en œuvre par les magasins, les déchetteries et l’économie sociale et solidaire (ESS).

Ils doivent également financer, organiser (sur la base d’appels d’offres) et contrôler toutes les opérations de logistique depuis les points de collecte vers les centres de regroupement, puis vers les centres de traitement.

Ils prennent aussi en charge les opérations de traitement, incluant la dépollution et la remise en marché des matières premières recyclées.

La dernière mission des éco-organismes de la filière DEEE consiste à apporter du conseil aux industriels, afin que les différentes phases de fin de vie du produit soient prises en compte dès sa conception, et également que les matières recyclées puissent être utilisées par les producteurs dans la fabrication de nouveaux équipements.

Encadrement de la filière

En France, la filière DEEE compte trois éco-organismes. Deux d’entre eux, Ecologic et ecosystem, sont en “concurrence” et le troisième, PV Cycle, est spécialisé dans la collecte et le recyclage des panneaux photovoltaïques.

Jusqu’à présent, nous avions trois ministères de tutelle, l’Écologie, les Finances et l’Intérieur. Dans le cadre de la loi AGEC (loi anti-gaspillage pour une économie circulaire) du 10 février 2020, dont le décret est en cours d’examen, le ministère de la Transition écologique a fait savoir qu’il souhaiterait être désormais le seul signataire. Néanmoins, notre activité est étroitement liée à l’économie, d’où l’implication de la DGE (direction générale des Entreprises). Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur assure le suivi des relations avec les collectivités locales, acteurs majeurs pour toutes les filières de REP et notamment pour la filière DEEE.

Outre les tutelles ministérielles, nous sommes en lien étroit avec l’ADEME (Agence de la transition écologique), qui tient le registre des déclarations des producteurs. L’objectif est de comparer le nombre d’unités et le tonnage des équipements électriques et électroniques mis en marché avec le volume des déchets collectés, afin de mesurer notre performance. Dans la mesure où les adhérents-producteurs d’ecosystem représentent 78 % des mises en marché d’équipements électriques et électroniques, ceux que nous collectons doivent, en principe, également représenter 78 % du total de la collecte.

La commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs (CiFREP), composée de cinq collèges (producteurs, opérateurs, collectivités locales, représentants de l’État, associations de consommateurs et de protection de l’environnement) vise à harmoniser le fonctionnement des différentes filières.

Pour gérer les questions liées à l’existence d’éco-organismes en concurrence, un éco-organisme coordonnateur, OCAD3E, a été créé, composé pour moitié de représentants d’Ecologic et pour moitié de représentants d’ecosystem. OCAD3E assure la relation contractuelle et financière avec les collectivités territoriales et veille à la cohérence du fonctionnement de la filière ainsi qu’à la politique d’information et de communication. Elle gère également les mécanismes d’équilibrage entre les parts de marché et les parts de collecte.

Enfin, un comité d’orientation opérationnel (COO), qui réunit les éco-organismes et les opérateurs, permet de mettre en place des standards de contrôle des opérations de dépollution et de traitement, ainsi que d’évaluer la pertinence des indices des cours de matières qui font référence pour la profession. Cette organisation veille, sous la responsabilité d’un avocat, aux risques d’ententes entre les éco-organismes qui sont concurrents, et entre les opérateurs, également concurrents entre eux.

Les nouveautés introduites par la loi AGEC

La loi AGEC a créé de nouvelles obligations pour les éco-organismes. Jusqu’alors, ceux-ci n’étaient responsables que des quatre dernières étapes du processus de traitement des équipements électriques et électroniques (réutilisation, valorisation matière, valorisation énergétique et destruction ou stockage du déchet final). Ils sont désormais également responsables des deux premières phases (réparation et réemploi) et devront se doter de fonds pour financer ces deux activités.

Chacun des éco-organismes devra également mettre en place un comité des parties prenantes composé de quatre collèges (producteurs, opérateurs, collectivités territoriales et ONG). Ce comité devra émettre des avis consultatifs sur certaines décisions avant qu’elles ne soient mises en application par le conseil d’administration.

La nouvelle loi confie par ailleurs un nouveau rôle à l’ADEME qui, en plus de la gestion des registres, devra participer au contrôle et à l’instruction des sanctions contre les éco-organismes n’atteignant pas leurs objectifs.

Enfin, un dispositif de médiation a été créé pour gérer les éventuels conflits entre les éco-organismes, généralement en situation de monopole ou d’oligopole au sein de chaque filière, et leurs interlocuteurs, à savoir les collectivités territoriales, les producteurs, les opérateurs et les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS).

Lhistoire decosystem

Notre entreprise a été créée en 2005 sous le nom d’Eco-systèmes et se caractérise par trois grands principes fondateurs.

Le premier est d’être un projet porté en commun par des fabricants et des distributeurs, ce qui constitue un cas à peu près unique en Europe.

Le deuxième principe est notre engagement très fort dans le réemploi. Nous nous sommes inspirés du partenariat conclu, dès les années 1980, entre certains fabricants ou distributeurs et l’entreprise d’insertion Envie (Entreprise nouvelle vers l’insertion par l’économique), fondée par la communauté Emmaüs de Strasbourg1.

Notre troisième grand principe est la volonté de nous fixer des objectifs ambitieux en matière de qualité de traitement des déchets.

En 2018, Eco-systèmes a fusionné avec Récylum, un éco-organisme spécialisé dans les lampes, et a adopté le nom d’ESR. Depuis octobre 2019, l’entreprise a repris le nom d’Eco-systèmes, avec une graphie modifiée, ecosystem.

Les secteurs dactivité decosystem2

Nous sommes désormais agréés pour quatre grandes familles de produits. La principale est celle des DEEE ménagers, pour laquelle nous recueillons 232 millions d’euros de contributions auprès de 2 000 producteurs-adhérents. Nous collectons 83 millions d’équipements représentant 600 000 tonnes.

Notre deuxième secteur d’activité concerne les lampes, avec 24,5 millions d’euros de contributions recueillies auprès de 807 adhérents et 59,5 millions de lampes collectées représentant 5 000 tonnes.

Le troisième, plus récent, est celui des DEEE professionnels, à savoir les appareils d’éclairage, de climatisation, de ventilation, ou encore de sécurité équipant hôpitaux, gares, magasins, bureaux, mairies, etc. Le montant des contributions apportées par les 1 700 adhérents est de 10 millions d’euros, pour 40 000 tonnes traitées.

La dernière famille, très modeste, concerne les extincteurs de moins de 2,5 kilogrammes que l’on trouve dans les automobiles ou les bateaux. Les contributions dans ce domaine s’élèvent à 1,3 million d’euros pour 257 tonnes collectées auprès de 25 adhérents.

La collecte

La collecte de DEEE ménagers est effectuée via quatre grands canaux : les déchetteries (53 % des volumes), les gestionnaires de déchets (22 %), les distributeurs (20 %) et l’ESS (5 %). Pour les petits appareils et les lampes, nous déployons différents meubles de collecte dans 4 700 magasins.

Les DEEE que nous collectons sont répartis en quatre grands types de produits relevant de différentes unités industrielles de traitement, dont les taux de récupération sont inégaux : écrans (taux de collecte de 87 %), petits appareils en mélange (56 %), gros appareils ménagers hors froid (51 %) et appareils de froid (43 %). Ce dernier chiffre, assez bas pour le moment, est lié au fait que cette catégorie intègre désormais aussi les climatiseurs, qui se sont fortement développés en France et ont une durée de vie de quinze ans.

Dans les premières années, nos obligations de collecte étaient définies en kilogrammes par habitant : d’abord 2 kilogrammes, puis 4 kilogrammes à partir de 2009. En 2015, le mode de calcul a changé et, désormais, nos obligations de collecte s’expriment en pourcentage par rapport aux EEE mis en marché.

Ce pourcentage a régulièrement augmenté, mais, à partir de 2017, nous n’avons plus réussi à suivre le rythme d’accroissement qui nous était demandé. Une partie de l’objectif semble inatteignable du fait de l’existence de réseaux illégaux qui détournent une partie des DEEE et les traitent dans de mauvaises conditions ou les exportent, en Afrique notamment. Ces réseaux concernent en particulier les produits à contenu métallique, comme le gros électroménager.

Logistique et traitement

Les 600 000 tonnes de produits sont recueillies sur 25 000 points de collecte différents à l’occasion de 650 000 ramassages par an, puis acheminées vers 85 centres de regroupement. Elles sont ensuite transportées en camion (50 000 transports par an) jusqu’aux 90 sites de traitement.

Toutes ces opérations font l’objet d’appels d’offres auprès d’opérateurs de logistique (tournées et regroupements), d’opérateurs de transport (transferts entre centres de regroupement et centres de traitement), et enfin, d’opérateurs de traitement des déchets (électroménager hors froid, appareils de froid, écrans, lampes, autres petits équipements).

Les 90 unités industrielles sont réparties sur 72 sites à travers toute la France.

Au total, la filière emploie 7 200 personnes, uniquement sur les activités de logistique, de réemploi et de traitement, sans compter les personnels des déchetteries et ceux des magasins qui contribuent à la réalisation de la collecte.

Si nous n’atteignons pas nos objectifs en matière de collecte, nous dépassons, en revanche, ceux qui nous sont fixés pour le recyclage matière (taux atteint de 75,8 % pour un taux cible de 73,5 %) et la valorisation énergétique (taux atteint de 85,9 % pour un taux cible de 82,3 %), sauf pour les écrans, en raison de l’impossibilité de recycler ou de valoriser les écrans à tubes cathodiques, dont le verre est désormais considéré comme déchet dangereux.

Les résultats financiers

En 2019, ecosystem a collecté 646 434 tonnes de DEEE pour les quatre secteurs d’activité, ce qui lui a permis de dégager un revenu net de 350 millions d’euros, composé de 268 millions d’euros de contributions versées par les adhérents et de 83 millions d’euros de recettes issues de la vente des matières recyclées.

Les coûts se sont élevés à 322 millions d’euros, dont 246 millions de frais opérationnels liés à la logistique et au traitement des DEEE, 40 millions d’euros pour le soutien financier apporté aux collectivités locales, aux distributeurs et aux acteurs de l’économie sociale et solidaire pour le réemploi et la réutilisation, et 15 millions pour la promotion de la filière. Les frais de fonctionnement (19 millions d’euros) restent relativement limités.

Ecosystem étant une entreprise à but non lucratif, son résultat positif, de 28 millions d’euros, a été transféré en provision pour charges futures.

La R&D

Nous devons consacrer un effort important à la R&D, pour répondre à des enjeux multiples, à la fois règlementaires et technologiques.

Nous sommes en effet soumis à une réglementation foisonnante visant à développer le recyclage (Paquet économie circulaire, loi AGEC, directive européenne) et à des normes très strictes en matière de sécurité (règlement REACH, directive RoHS, convention de Stockholm, convention de Bâle), le tout dans un contexte d’accélération de l’innovation, avec sans cesse de nouvelles technologies et de nouveaux matériaux. À ceci s’ajoutent les engagements ambitieux de notre projet d’entreprise. Nous devons donc réfléchir en permanence aux meilleurs arbitrages entre toutes ces contraintes.

Nous menons aussi beaucoup de projets de recherche sur les différentes matières premières que nous recyclons, qu’il s’agisse d’analyser les substances qu’elles contiennent, d’améliorer les technologies de tri, de promouvoir l’écoconception et l’intégration de matières premières recyclées, de développer des procédés de valorisation alternatifs au recyclage mécanique, de définir des règles de traitement, de mesurer et contrôler l’efficacité des procédés et la qualité des matières, ou encore de tracer les flux de matières jusqu’aux repreneurs finaux.

En 2014, avec la Fondation ParisTech, nous avons créé la chaire Mines urbaines, qui réunit trois grandes écoles. Avec Arts et Métiers, nous travaillons sur les polymères ; avec Chimie ParisTech – PSL, sur les métaux stratégiques ; et avec Mines ParisTech – PSL, sur tout ce qui concerne l’évolution des comportements et les changements de paradigmes nécessaires à une véritable économie circulaire. Dans le cadre de la chaire, plusieurs brevets ont été déposés. Nous avons accompagné la thèse d’Helen Micheaux3, « Le retour du commun au cœur de l’action collective », et organisé différents événements avec d’autres universités pour contribuer au développement de la recherche et à sa diffusion. Ce partenariat, conclu pour une durée de cinq ans, vient d’être reconduit pour cinq années supplémentaires.

La communication

Nous menons de nombreuses campagnes de communication grand public. Nous avons, par exemple, initié un partenariat avec France 2, dont plusieurs animateurs ont expliqué leurs pratiques personnelles de recyclage lors de petits films d’une minute, afin d’encourager les citoyens à effectuer “les bons gestes”. En 2019, nous avons participé au Tour de France, en tant que partenaire responsable, en lien avec les collectivités des villes étapes. Une collecte de téléphones mobiles usagés avait été organisée en amont et, lors de chacune des étapes, nous avons remis à ces collectivités 100 téléphones reconditionnés destinés à des associations locales.

Nous avons également monté un programme intitulé Défi ecosystem, destiné à sensibiliser les élèves (du CP à la 6e) à l’importance de donner une seconde vie aux appareils électriques. Les enseignants qui s’inscrivent sur le site du Défi reçoivent gratuitement un kit pédagogique et doivent réaliser avec leur classe au moins 3 des 9 défis proposés. Ces derniers consistent, par exemple, à découvrir les composants des DEEE, la façon dont ils sont recyclés, à comprendre les clés de la réparation, à acquérir le réflexe consistant à donner plutôt que jeter, à créer une œuvre artistique “zéro déchets”, ou encore à accueillir en classe un bénévole de l’ONG Électriciens sans frontières. Une fois réalisés, les défis sont validés par nos soins et, chaque fois que 1 000 défis ont été validés, nous déclenchons le financement d’une opération de l’ONG Électriciens sans frontières dans un pays en voie de développement. En 2019, 4 500 classes se sont inscrites, ce qui représente 115 000 élèves et, pour 2020 nous avons déjà 3 240 classes qui souhaitent participer. Depuis 2013, grâce à ce programme, 28 projets ont été menés à bien par Électriciens sans frontières et ont permis d’électrifier 71 écoles réparties dans 15 pays.

Maintenir le lien avec des milliers de parties prenantes

Alors que notre chiffre d’affaires représente 365 millions d’euros, ecosystem ne compte que 135 collaborateurs, ce qui n’est pas un ratio très ordinaire. Les salariés, en majorité des femmes (56 %), ont des emplois essentiellement sous forme de CDI (91,30 %). Quelques salariés travaillent en CDD (4,35 %) ou suivent une formation en alternance (4,35 %).

En aucun cas une entreprise de cette taille ne pourrait couvrir seule l’ensemble des tâches que je viens de décrire. Il est donc vital que nous gardions un lien étroit avec nos très nombreuses parties prenantes : les 41 associés, mais également les 4 000 producteurs-adhérents, les 25 000 gérants de points de collecte et, enfin, les 650 gestionnaires ou prestataires de logistique et de traitement des déchets.

Pour assurer le lien avec tous ces interlocuteurs, mais aussi leur mobilisation active au service de nos objectifs communs, nous avons dû mettre en place un système de gouvernance assez sophistiqué.

Les associés d’ecosystem sont répartis en trois collèges, correspondant aux DEEE ménagers (avec des fabricants comme Atlantic, Brandt, BSH, LG, Magimix, Miele, Philips, Samsung, Panasonic, Whirlpool et des distributeurs comme Auchan, But, Carrefour, Casino, Conforama, Darty, HTM Boulanger, Leroy Merlin, PRO&Cie), aux DEEE professionnels (Hager, Legrand, Schneider Electric, Trilux) et aux lampes (Feilo Sylvania, Ledvance, Signify, Tungsram).

L’assemblée générale réunit l’ensemble des associés et élit un conseil d’administration. Nous cherchons à mobiliser les plus hauts dirigeants des entreprises adhérentes au sein du conseil, tout en impliquant les autres niveaux des entreprises dans le cadre des différents comités.

Quatre comités de secteur, composés d’administrateurs et d’associés, définissent l’organisation de chacune des quatre activités.

Quatre commissions sectorielles réunissent, plus largement, des adhérents, mais aussi des représentants des organisations professionnelles, des syndicats et des fédérations.

Enfin, le conseil d’administration s’appuie sur un comité Audit et Comptes, un comité Nominations et Rémunérations, un comité Stratégie et un comité de Sélection des appels d’offres.

Le processus de décision part des commissions sectorielles, qui définissent des orientations. Les comités de secteurs décident des budgets et moyens à mettre en œuvre. Le conseil d’administration valide ces orientations et vote les budgets, les barèmes et les objectifs stratégiques.

La directrice déléguée, Nathalie Yserd, a récemment été désignée par le conseil d’administration pour me succéder à partir du mois d’avril 2021.

Signature, raison dêtre, projet dentreprise et mission

En 2018, nous avons changé de signature de marque pour adopter la formule Recycler c’est protéger. Le terme recycler est entendu dans un sens large, qui recouvre la réparation et le réemploi des appareils, ainsi que la réutilisation de la matière. Le mot protéger couvre quatre domaines : la santé (des consommateurs et des personnels travaillant dans les unités de traitement), l’environnement, les ressources naturelles et l’emploi (grâce à la création d’emplois locaux et non délocalisables). Nous avons également défini notre raison d’être qui a été intégrée à nos statuts en 2019.

Dans le cadre de notre projet d’entreprise, élaboré de façon très participative, nous avons défini nos quatre valeurs : Ensemble (« Nous construisons dans l’écoute et le respect »), Engagement (« Nous nous engageons à montrer la voie »), Responsabilité (« Nous cherchons toujours à concilier les dimensions environnementale, économique et humaine »), Exigence (« Nous mettons notre expertise au service de la qualité, en essayant d’être exemplaires »).

Nous avons maintenant le projet de devenir une entreprise à mission et, pour nous y aider, nous avons recruté une optionnaire de MINES ParisTech. Ce projet devrait aboutir en juin 2021. Nous allons notamment définir nos engagements, qui seront inscrits dans les statuts, et mettre en place un comité de mission.

Les priorités pour 2021

Pour 2021, outre nos objectifs de collecte, nous avons défini une série de priorités.

Nous devons terminer notre fusion opérationnelle avec Récylum et faire vivre notre nouveau projet d’entreprise, ainsi que notre nouvelle signature de marque.

Un chantier majeur est la préparation du renouvellement de nos agréments pour la période allant de 2022 à 2027, à laquelle nous allons devoir travailler toute l’année prochaine.

Dans le cadre de la loi AGEC, nous allons également devoir mettre en place le comité des parties prenantes et, par ailleurs, nous doter d’un fonds réparation, domaine dans lequel nous ne sommes jamais intervenus jusqu’ici : les éco-organismes et les systèmes individuels des filières concernées doivent désormais participer au financement des coûts de réparation – effectuée par un réparateur labellisé – des produits détenus par des consommateurs. Cette nouvelle règle concerne les filières DEEE et ameublement, ainsi que les futures filières sur les jouets, le sport, les loisirs, les articles de bricolage et de jardin. Un cahier des charges doit préciser le dispositif, mais le montant du financement ne devrait pas être inférieur à 20 % des coûts de réparation estimés, en sorte que le fonds de réparation pourrait s’élever à une centaine de millions d’euros d’ici deux à trois ans et continuer à se développer ensuite. Nous avons commencé à élaborer un plan de développement, qui comprend la création d’un réseau de réparateurs labellisés, le fait d’inciter financièrement les fabricants à assurer une meilleure “réparabilité” de leurs produits, ou encore des mesures d’impact pour vérifier si ce fonds contribue réellement à l’allongement de la durée de vie des produits.

En ce qui concerne le réemploi, nous allons devoir développer le fonds dont nous disposons déjà. En effet, au sein de chaque éco-organisme concerné, au moins 5 % des contributions devront être dédiées à des activités de réemploi, avec, en cas de non atteinte de ces objectifs, un système de sanctions qui viendra alimenter le fonds de dotation. Le but est de faire bénéficier du réemploi les entreprises solidaires d’utilité sociale, dont Envie et Emmaüs. Quant aux collectivités locales, elles seront accompagnées financièrement pour la mise en place d’une zone de réemploi dans chaque déchetterie, rendue obligatoire à partir du 1er janvier 2022.

Enfin, dans la perspective de la création d’une filière REP pour le bâtiment, nous avons lancé un énorme projet baptisé Démoclès qui devrait aboutir à la mise en place d’une plateforme de traçabilité pour l’ensemble des déchets du bâtiment.

1. Jean-Paul Raillard, « Le réseau Envie : concilier solidarité et écologie », séminaire Économie et sens de l’École de Paris du management, séance du 7 octobre 2020.

2. Données de 2019.

3. Helen Micheaux, « La gestion des déchets et la responsabilité élargie du producteur, un modèle français qui fait référence », séminaire Économie et sens de l’École de Paris du management, séance du 1er juillet 2020.

Débat

Une complexité qui devrait être décourageante…

Un intervenant : Je suis frappé par l’extrême complexité de votre tâche, avec une diversité incroyable de partenaires et surtout un nombre de comités qui désespérerait beaucoup d’entreprises. Comment faites-vous pour maintenir une dynamique entrepreneuriale avec une comitologie qui, normalement, devrait produire une bureaucratie démotivée ?

Christian Brabant : L’organisation et l’animation de toutes ces réunions sont relativement lourdes en temps et en énergie pour nos équipes, mais nous les assurons quoi qu’il nous en coûte, car nous savons bien que sans les producteurs-adhérents et sans toutes nos parties prenantes, nous aurions beaucoup de mal à exister.

Notre plus gros effort de concertation est lié à la préparation du dossier d’agrément, pour lequel nous avons l’obligation de parvenir à un consensus avec toutes nos parties prenantes. En contrepartie, une fois que l’agrément est obtenu, nous bénéficions d’une période de cinq ou six ans pendant laquelle tout le monde avance dans le même sens, ce qui produit un effet d’entraînement très fort.

En ce qui concerne la motivation de nos équipes, elle vient essentiellement du fait que notre activité a énormément de sens compte tenu des enjeux de transition écologique auxquels nous sommes tous confrontés.

Par ailleurs, nous avons adopté une règle selon laquelle 20 % du bonus de chaque salarié, quel que soit son poste, dépendent de l’atteinte des objectifs de collecte de l’année.

Un fonctionnement exemplaire

Int. : Pourquoi créer un comité supplémentaire pour les parties prenantes, alors que celles-ci semblent déjà bien représentées dans les structures existantes ?

C. B. : Il s’agit d’une obligation qui nous est faite par la loi AGEC et qui vient formaliser un fonctionnement que nous avions déjà adopté.

Int. : Dans le cadre de la préparation de la loi, un rapport remis par Jacques Vernier, ancien président de l’ADEME, a révélé que tous les éco-organismes n’ont pas un fonctionnement aussi participatif, dynamique et proactif que celui d’ecosystem. Dans certaines filières, il existe des conflits récurrents entre producteurs, recycleurs, associations de consommateurs et ONG environnementales. L’un des objectifs de la loi AGEC était d’homogénéiser le fonctionnement des REP et d’inciter les entreprises concernées à pratiquer des modes d’organisation plus collectifs et plus ambitieux.

C. B. : Ces conflits ont jeté un certain discrédit sur les REP, car on parle toujours de ce qui ne va pas et plus rarement de ce qui va. Merci à l’École de Paris du management de me donner la chance de présenter notre fonctionnement…

Celui-ci a été cité en modèle par un rapport de la Commission européenne. Les représentants de la commission ont assisté à notre commission de filière, qui réunissait des producteurs, des distributeurs, des collectivités et des associations, et ont été impressionnés par la qualité d’écoute entre les participants.

Globalement, ce sont la France et l’Irlande qui ont les meilleures pratiques en matière de recyclage des déchets en Europe. L’image d’exemplarité dont bénéficient les Allemands dans le domaine de l’environnement repose essentiellement sur leur opposition au nucléaire, mais pour ce qui est de la gestion des déchets, leur organisation est désastreuse. Au lieu de dépolluer les produits, ils se contentent de récupérer les métaux, et le reste est stocké ou enfoui. Par ailleurs, le port de Hambourg est la plus grosse plaque tournante d’exportation illégale de DEEE vers l’Afrique…

Ramener les brebis égarées…

Int. : Une partie des équipements que vous êtes censés recycler part dans des filières illégales. Des réfrigérateurs sont éventrés pour récupérer un moteur qui sera vendu 20 euros, et les CFC qu’ils contenaient sont rejetés dans la nature. Que pouvez-vous faire face à ces trafics ?

C. B. : Il existe environ un millier de récupérateurs de métaux travaillant de façon plus ou moins illégale en France. Nous avons réussi à en faire entrer à peu près la moitié dans la filière en leur proposant un protocole comprenant quatre niveaux d’exigence, avec des financements correspondant à chacun de ces niveaux.

Par exemple, nous versons une indemnité à ceux qui acceptent d’assurer la traçabilité des déchets, ou encore à ceux qui envoient leurs DEEE vers des recycleurs agréés par la filière. Sachant que, pour économiser sur le transport, certains recourent à la compression des produits, ce qui rend toute dépollution ultérieure impossible, nous compensons le surcoût lié au fait de transporter les équipements sans les compresser.

Les ferrailleurs qui ont accepté de participer à ce protocole ont l’air d’en être très satisfaits, car cela leur a permis de se professionnaliser.

D’autres sont encore récalcitrants, mais nous allons maintenant entrer dans une deuxième phase où nous allons essayer de les convaincre à leur tour.

Un ERP de compétition

Int. : Pour gérer vos relations avec tous vos partenaires, vous devez disposer d’un système informatique très puissant !

C. B. : Nous avons fait le choix, il y a sept ans, de nous doter d’un ERP de chez SAP. Nous avons mis trois ans à le mettre en place, ce qui m’a parfois fait douter de la pertinence de cette décision, mais aujourd’hui, il est extrêmement performant. Nous bénéficions des dernières technologies de business intelligence de SAP, dont même certaines grandes entreprises ne disposent pas encore, en sorte que nous attirons des jeunes qui viennent se former chez nous dans ce domaine avant d’aller proposer leurs compétences ailleurs…

Une fierté personnelle

Int. : Qu’est-ce qui vous donne une telle énergie ?

C. B. : Pendant vingt-cinq ans, j’ai vendu des millions d’appareils de froid ou de machines à laver sans me soucier de ce qu’ils deviendraient après usage. Parvenu à l’âge de 50 ans, il était temps que je me préoccupe de leur fin de vie !

Aujourd’hui, j’ai la satisfaction d’avoir à la fois fourni aux consommateurs des équipements qui ont amélioré leur hygiène et leur confort, et agi pour protéger l’environnement. J’en suis d’autant plus fier que j’ai dû partir d’une page blanche, car, lorsque je me suis intéressé à cette question, il n’existait encore absolument rien…

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Élisabeth BOURGUINAT