Exposé d’Olivier François

J’ai suivi une formation d’ingénieur chimiste à l’Escom Chimie et j’ai soutenu ma thèse d’État en mécanique des fluides, sur les solides en suspension dans les liquides. À partir du début des années 1990, j’ai travaillé pour la société Générale des eaux à la valorisation énergétique des déchets et au traitement des fumées. Depuis 2000, je travaille dans l’entreprise Galloo. Je suis également président de la commission internationale de la Fédération française des entreprises du recyclage (Federec) et vice-président d’EuRIC, la confédération européenne qui représente les intérêts des industries du recyclage (plus de 5 000 entreprises dans 20 pays), créée voici sept ans.

Fondée en 1939, Galloo est une entreprise familiale spécialisée dans le recyclage des appareils manufacturés et des métaux. Elle est installée en Belgique (15 implantations), dans le Nord de la France (25 implantations) et aux Pays-Bas (2 implantations). Notre principal centre de traitement s’étend sur 25 hectares à 20 kilomètres de Lille, dans l’agglomération de Menin-Halluin, qui est traversée par la frontière franco-belge. L’entreprise a un chiffre d’affaires de 600 millions d’euros, emploie 720 personnes et produit 1 250 000 tonnes de métaux ferreux, 100 000 tonnes de métaux non-ferreux et 50 000 tonnes de plastiques, essentiellement du polypropylène et du polystyrène.

Qu’entend-on par recyclage ?

On peut qualifier de recyclage toute opération de valorisation par laquelle les déchets sont traités et transformés en substances, matières ou produits destinés à leur fonction initiale ou à d’autres fins. Quant au déchet, matière première du recyclage, c’est le résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, plus généralement un bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon.

En 2017, la production de déchets en France était estimée à 326 millions de tonnes, parmi lesquelles les déchets ménagers ne comptaient que pour 31,7 millions de tonnes, soit environ 10 %.

Le traitement des déchets repose sur deux métiers bien distincts : celui de l’élimination, où l’apporteur de déchets paie pour en être débarrassé (valeur négative), et celui de la production de matières premières par des entreprises qui transforment les déchets collectés et qui, généralement, achètent la matière (valeur positive). Galloo exerce ce second métier.

Sur les 31 millions de tonnes de déchets ménagers, les emballages ne représentent que 5,1 millions de tonnes, dont 3,6 millions sont recyclées, soit 1 % de la masse totale des déchets produits. Les métaux sont pratiquement absents des emballages recyclés, dont une grosse moitié provient du verre.

En France, 16,8 millions de tonnes d’aciers neufs sont produites chaque année et, simultanément, 12,2 millions de tonnes sont issues du recyclage ; 5 millions de tonnes de plastiques neufs sont consommées, incluant seulement 0,4 million de tonnes d’origine recyclée.

L’industrie du recyclage consiste d’abord à concentrer les déchets qui ont été dispersés par les activités de distribution – à les “massifier”, comme on dit dans la profession. Une fois cette opération réalisée, il faut les “démélanger” et parvenir à en extraire des monomatériaux, dont le prix et la qualité doivent concurrencer celui des matières premières issues de sources primaires.

Prenons l’exemple des appareils manufacturés : l’ADEME estime que l’âge moyen des automobiles recyclées est d’environ 20 ans – celui des équipements électriques et électroniques serait deux fois moindre. Les objets que nous recyclons aujourd’hui n’ont donc pas été “écoconçus” : le collage est le procédé le plus commun dans l’assemblage des objets manufacturés, car il demeure le moins onéreux – cette technique est notamment utilisée pour le pare-brise des automobiles. Or il est presque impossible de décoller les composants de ces objets. Aussi, lors de leur broyage, qui est destiné à libérer la matière, n’obtient-on qu’une faible part de monomatériaux et une masse importante de matériaux collés les uns aux autres : plastiques, polymères divers, etc. Les objets qui ne peuvent être démélangés, et qui sont donc non recyclables, sont incinérés – c’est la valorisation énergétique –ou enfouis.

Le poids des métaux dans le recyclage

Dans l’Union européenne à 27, le chiffre d’affaires du recyclage, si l’on se concentre sur les quatre principales familles de matières premières, est d’environ 90 milliards d’euros, dont 40 pour les métaux ferreux, une part équivalente pour les métaux non ferreux, 7 pour les papiers et 3 pour les plastiques. En France, le poids économique du recyclage est d’environ 10 % de ce qu’il représente pour l’Europe tout entière, soit 9 milliards d’euros, et les proportions par matières sont similaires. Les métaux constituent, de très loin, le principal “carburant” économique du recyclage. L’Europe se trouve prise entre les tenailles d’une alternative cruelle : elle entend faire la course en tête dans la nouvelle économie verte en affirmant vouloir garder ses ressources, mais si elle renonce à exporter ses matériaux recyclés, qu’en fera-t-elle ? Elle ne peut les consommer, car elle n’a plus de capacités de production. Il est impératif, si l’on veut préserver une activité de recyclage, que nous puissions réinjecter les métaux, cartons et plastiques que nous avons traités dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, notamment vers la Chine. L’économie circulaire existe : les objets sont fabriqués en Asie et consommés dans l’Union européenne, puis les matières premières recyclées de ces objets doivent retourner en Asie et redevenir des objets. Ainsi, la boucle est bouclée.

Des voitures qui parlent…

L’automobile est le plus gros des objets manufacturés et c’est l’un des premiers champs d’expérience de l’évolution technologique : l’internet des objets y trouve ses applications les plus simples à mettre en œuvre, tant dans la construction des véhicules neufs que dans la gestion de ceux qui circulent.

À Genève, lors de la vingtième édition du Congrès international du recyclage automobile (IARC), au mois de juin 2021, le groupe Renault a communiqué ses avancées et ses projets en matière de véhicules connectés : ils disposent d’une carte SIM leur permettant d’échanger, en passant par l’internet, des informations avec d’autres véhicules, avec les infrastructures de transport et d’approvisionnement et, bien entendu, avec le constructeur. Tous les véhicules neufs sont d’ores et déjà connectés. Les flux d’informations permanents entre un véhicule connecté et son constructeur, d’un volume moyen de 2,5 gigaoctets par heure, suivent l’état d’usage du véhicule et permettent des interventions de maintenance préventive.

… et qu’on n’abandonnera plus

Dans ces conditions, qui a intérêt à abandonner un véhicule, c’est-à-dire à le confier aux soins d’un industriel du recyclage ? Son constructeur investit massivement dans les outils de connexion, qui lui permettent, stricto sensu, d’en maintenir plus longtemps la valeur. N’a-t-il pas intérêt à en conserver, au moins en partie, la propriété, notamment celle de la batterie, qui, avec ses métaux rares – cobalt, nickel, lithium –, compte pour la moitié du prix d’une automobile électrique ? A-t-il même intérêt à le vendre, son nouveau bijou technologique, comme il le faisait autrefois des autos à moteur thermique ? La location, si elle se substituait à la vente, permettrait d’aliéner uniquement l’usage des matériaux précieux entrant désormais dans la construction des nouveaux instruments de mobilité (sans parler du cuivre, beaucoup plus présent dans les motorisations électriques) et d’en conserver la propriété. Ce serait une évolution majeure de tout le modèle économique de la construction automobile d’autant plus probable qu’un moteur électrique ne s’use pour ainsi dire pas. Ce serait aussi une bonne partie de l’industrie du recyclage qui se trouverait remise en question : les déchets automobiles ne pourraient plus constituer une matière première à part entière. La propriété des véhicules usagés, que leurs conducteurs, ex-propriétaires devenus locataires, n’abandonneraient plus, devrait être négociée avec les constructeurs.

La plastronique et l’internet des objets

Étant donné le volume d’une automobile, il n’est pas très compliqué d’y loger de l’électronique. Le problème est en revanche différent pour les équipements plus petits. L’internet des objets doit passer par une autre voie que celle des circuits imprimés, trop encombrants. La plastronique est le nouveau procédé qui permettra ces réalisations. Le terme anglais de molded interconnect devices (MID) est peut-être plus parlant, puisqu’il s’agit d’intégrer les circuits électroniques et logiciels aux pièces plastiques par des procédés de moulage et de gravure avec dépôt de composants et de couches minces de métaux conducteurs. Les économies liées à la plastronique sont considérables, car ce mode d’introduction de l’électronique dans la production d’objets manufacturés ne nécessite ni câbles, ni soudures, ni intervention manuelle pour le montage. Dotés d’une antenne et d’une cellule photovoltaïque pour leur alimentation en énergie, les appareils intégrant cette technologie se connectent facilement au réseau Internet et pourraient devenir aussi “intelligents qu’un smartphone. Du point de vue du recyclage, c’est la même logique qu’avec l’automobile, mais les conséquences sont différentes : le MID étant plus petit et plus compact, la difficulté sera de démélanger ses composants.

Les données, nouvelle matière première

Les évolutions portées aujourd’hui par le secteur automobile vont bientôt faire leur apparition massive dans les équipements électriques et électroniques. Les fabricants vont ainsi s’affirmer comme des fournisseurs de services à part entière, en accumulant des données de masse fournies directement par leurs produits, ces derniers devenant les extracteurs de la nouvelle matière première que sont, justement, les données. Votre voiture vous donne déjà des indications sur votre itinéraire ou sur la localisation et la disponibilité des bornes électriques susceptibles de la recharger ; vos appareils communicants vous fourniront moult informations utilisables dans toutes sortes de services quotidiens. Leur fin de vie deviendra, comme celle des automobiles, plus difficile à déterminer : si l’un de leurs constituants est usé ou bien s’il se rompt, leur “cerveau” communicant demeure, qui peut d’ailleurs programmer une réparation de l’élément défaillant – l’objet acquiert ainsi une capacité à intervenir lui-même dans son maintien en état, en “vie”. Comme pour l’industrie automobile, la notion de déchet s’en trouvera fragilisée, avec des conséquences juridiques et réglementaires prévisibles, et les matières vont tendre à demeurer, tout au long d’un cycle reproductible de type fabrication-recyclage-fabrication, entre les mains d’un même propriétaire, le fabricant.

La cinquième génération de normes et de capacités de la téléphonie mobile, la 5G, servira de fluide conducteur à l’internet des objets. Elle permettra de connecter 1 million d’objets par kilomètre carré et les smartphones fourniront les écrans d’interface, en utilisant les applications proposées par les constructeurs.

Vers une société de la fonctionnalité

La plastronique inclut la chimie comme la physique des solides, le design comme l’information, et l’on pourrait dire la fonction comme l’organe. De très nombreux travaux sont en cours. En fonction des coûts de mise en œuvre et des gains que l’on peut espérer, des solutions vont voir le jour dans presque tous les domaines de l’industrie manufacturière, ouvrant la voie, dans bien des cas, à une fusion avec celle des services. Les progrès sont très rapides. Ce que l’on appelle aujourd’hui plastique est en train de changer de nature, puisqu’il sera demain inextricablement mêlé aux composants, aux circuits, aux antennes et capteurs de toutes sortes, y compris photovoltaïques, qui permettront aux objets de se mouvoir, d’effectuer une action dans un système – ouvrir ou fermer une porte, accélérer ou ralentir une vitesse… –, d’évoluer dans l’espace ou de communiquer.

La miniaturisation extrême permise par la plastronique aura des conséquences dans les soins de santé (administration et suivi des traitements médicamenteux) comme dans l’agriculture (nutriments, produits actifs, photosynthèse) ou dans la structure des chaînes d’approvisionnement (il ne sera plus nécessaire, par exemple, de faire fabriquer par des assembleurs en Asie des circuits imprimés devenus obsolètes). C’est la fin de la société de consommation telle que nous la connaissons et l’avènement d’une société de la fonctionnalité, celle de chaque objet accomplissant sa propre fonction dans le système global. Les systèmes communs de gestion des obsolescences, comme aujourd’hui la responsabilité élargie des producteurs (REP), sont voués à de profondes transformations.

Débat

N’exporter que des matériaux purs : pas si simple

Un intervenant : La Commission européenne souhaite interdire l’exportation des déchets mal triés ou dont le contenu n’est pas tracé. Le secteur des déchets est un des secteurs économiques qui génèrent le plus de trafics illégaux, après la prostitution, les armes et la drogue. Il paraît donc normal de mettre en place une réglementation qui assure notamment la traçabilité des flux.

Olivier François : La refonte de la réglementation européenne concerne l’exportation des déchets et, en effet, vise à rendre très difficile toute exportation. Le Parlement européen risque d’ailleurs de durcir encore le projet. Or, en raison de la structure de l’économie mondiale, évoquée précédemment, nous avons un excédent de matières premières issues de déchets. Cela dit, les autres pays de l’OCDE ne seraient pas compris dans les zones interdites d’exportation. C’est important, car la Turquie, pays membre de l’OCDE, est notre premier consommateur d’acier recyclé. Par ailleurs, on ne peut pas confondre des ordures ménagères brutes avec de l’acier trié ou avec des granulats de cuivre – qui sont, par exemple, expédiés en Inde. Les niveaux exigés en Europe pour qu’une matière obtenue à partir de rebuts ne soit plus considérée comme un déchet (SSD : sortie du statut de déchet) sont très élevés : la quantité d’impuretés ne doit pas être supérieure à 2 %. Aux États-Unis, ce débat n’existe plus depuis vingt ans : les matières premières issues des déchets deviennent des produits aussitôt qu’elles répondent à des standards commerciaux, et peuvent donc faire l’objet de tout échange international.

Trop de plastiques, pas assez de métaux rares

Int. : Les impacts environnementaux les plus graves concernent les pollutions diffuses, les plastiques, par exemple, alors même que leurs volumes et les chiffres d’affaires générés sont faibles. L’action publique semble aujourd’hui, à juste titre, vouloir y répondre en incitant à trier et à recycler mieux, voire à réduire les usages et la production.

O. F. : Les plus gros pollueurs ne sont pas européens, et encore moins français. Six ou sept grands fleuves dans le monde charrient l’essentiel des plastiques polluant les océans. Il faut une action au niveau mondial, pour équiper d’un système de collecte et de gestion des déchets les pays qui n’en ont pas.

Int. : On ne sait pas toujours comment séparer les composants des déchets ; en somme, on ne peut pas tout recycler. Les métaux rares contenus dans les aimants des téléphones mobiles semblent particulièrement difficiles à extraire.

O. F. : Les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) ne contiennent des terres rares qu’en très faibles quantités. La plupart des aimants, par exemple, sont constitués de ferrites, hormis ceux des disques durs, dans la composition desquels entrent des terres rares. Les gisements de terres rares contenus dans les DEEE semblent donc bien pauvres. En revanche, dans les moteurs d’éoliennes (composés d’aimants énormes), on retrouve des terres rares en quantité non négligeable.

Int. : Ce sont surtout les batteries qui contiennent des métaux ou des terres rares…

O. F. : Mais les batteries de puissance importante, telles que celles des automobiles, font l’objet de beaucoup plus d’attention de la part des fabricants que le reste des composants.

Int. : Les réglementations récentes imposent aux industriels d’incorporer de la matière recyclée dans leurs produits neufs, par exemple pour les batteries de véhicules électriques, qui ne seront certes recyclées, comme vous l’avez souligné, qu’après un certain nombre d’années. Un acteur comme Saft investit massivement dans des usines de recyclage des batteries, en Europe et en Chine, parce que la réglementation crée le marché. Il est probable que ce type d’évolution engendrera des boucles fermées, avec une économie du recyclage de qualité.

O. F. : Effectivement, lorsqu’elle impose l’incorporation de matières recyclées dans les objets neufs, la réglementation crée le marché, mais elle peut aussi le détruire si elle ne permet plus aux recycleurs d’exporter leurs excédents hors de l’Europe. En effet, cela entraînerait successivement un excès d’offre dans l’Union européenne, un effondrement des prix ici et, enfin, l’arrêt du recyclage, alors même que le reste du monde souffrirait d’un déficit de matières premières recyclées. Pour le dire autrement, tout dépend de la taille de la boucle : si elle est trop courte, elle s’asphyxie.

Recyclage programmé

Int. : La pratique des opérateurs de téléphonie mobile, qui remplacent les appareils tous les deux ans, pour des prix modiques, en échange d’un contrat d’abonnement pour la même période, équivaut de fait à une location… et fait très bon ménage, semble-t-il, avec l’obsolescence programmée.

O. F. : Cela équivaut aussi à faire peser la charge économique de l’obsolescence ou de l’évolution du produit non plus sur le consommateur ou l’usager, mais sur le constructeur. On peut penser que les délais d’obsolescence vont s’allonger et que la notion même d’obsolescence va évoluer.

Int. : L’entreprise WEEECycling1 ne rachète plus de déchets, elle met ses compétences au service de fabricants qui, tout au long du cycle – au terme duquel les rebuts reprennent la forme de métaux purs –, en demeurent les propriétaires. Ce modèle pourrait aussi s’appliquer pour les traitements des composants ou des éléments d’un véhicule automobile.

O. F. : C’est vers cela même que tendent nos efforts et notre action auprès de nos adhérents de la Federec ou de EuRIC. La directive sur le recyclage des véhicules hors d’usage est en cours de réaménagement. La nouvelle réglementation alignera les critères d’homologation des véhicules sur ceux du recyclage. Les constructeurs automobiles devront prouver, pour mettre sur le marché de nouveaux produits, qu’ils sont recyclables. Les techniques de fabrication et de recyclage formeront ainsi un tout cohérent. Tous les acteurs de la chaîne seront concernés.

Des rôles partagés

Int. : Les industriels qui explorent les nouvelles technologies dialoguent-ils avec vous ? Récupérera-t-on de la valeur, dans ces métaux déposés, même en couches très fines ? Le coût en vaudra-t-il la chandelle ?

O. F. : Les quantités de matières déposées pour la fabrication de ces objets sur les plastiques sont infinitésimales. C’est d’ailleurs un des éléments porteurs de cette nouvelle technologie : elle est économe en matières premières ! Les industriels du recyclage des plastiques, notamment Galloo, espèrent que les parties relevant de la plastronique occuperont de faibles surfaces. Ainsi, lorsque nous continuerons à broyer les objets manufacturés pour libérer les matières qui les constituent, pourrions-nous obtenir des plastiques exempts de dépôts métalliques.

Int. : Comment votre industrie se prépare-t-elle au virage technologique qui se dessine et qui va vous priver d’une part de vos ressources ? Les acteurs de votre secteur sont-ils conscients de la montée en performance qu’exige cette évolution ?

O. F. : Nous menons avec les constructeurs automobiles des discussions intenses. Ils souhaitent conserver la propriété de la batterie, du moteur électrique (qui contient des aimants aux terres rares, du cuivre, etc.) et d’une part de l’électronique. Nous leur proposons de nous charger du démontage, ce que nous savons faire, contre une rémunération. Il nous reste la carcasse : acier, aluminium, quelques câbles de cuivre, le plastique. Le partage est assez simple. Charge à nous de ne pas devenir des sous-traitants à la merci du donneur d’ordre. Néanmoins, la relation est relativement équilibrée, car nous sommes à la fois clients et fournisseurs : clients pour les véhicules usagés – produits, je le rappelle, voici vingt ans en moyenne – que nous achetons aux garages des constructeurs lorsqu’ils reprennent l’ancien modèle d’un client qui en achète un neuf ; fournisseurs pour ce qui concerne le plastique recyclé incorporé dans les voitures.

Int. : L’ADEME a lancé une étude sur les aimants renfermant des terres rares utilisées dans les DEEE, et notamment dans les nouveaux équipements de mobilité électrique, afin de déterminer les coûts de la logistique et du démantèlement.

O. F. : De fait, il est possible que les petits équipements de mobilité électrique soient un gisement d’aimants à terres rares plus riche que celui des DEEE traditionnels.

La responsabilité collective en question

Int. : Le nouveau rôle de l’utilisateur dans la création des données va-t-il bouleverser la façon dont il est intégré dans la chaîne de valeur ?

O. F. : Effectivement, l’utilisateur fournit des données, qui sont les nouveaux gisements de l’économie de l’information. Si nous en voyons bien le côté négatif, qui est la surveillance permanente, il est impossible aujourd’hui de connaître le profit qui en sera tiré. Quand le téléphone portable est apparu, qui aurait pensé qu’il allait devenir indissociable de notre vie quotidienne par tous les services qu’il apporte ?

Int. : Est-ce la fin de dispositifs comme ecosytem, qui jouent un rôle majeur dans le recyclage des déchets ?

O. F. : Ils ne disparaîtront pas du jour au lendemain, car il reste de vieilles choses à recycler, à commencer par les 250 millions d’automobiles à moteur thermique qui roulent encore dans l’Union européenne ! Même pour les DEEE, dont les cycles d’utilisation sont nettement plus courts, la période de latence est loin d’être négligeable.

Int. : Les systèmes de responsabilité élargie des producteurs (REP) sont apparus, voici une trentaine d’années, en commençant par le sujet des emballages. Ils ont été conçus pour que le taux de recyclage ne dépende pas de la ressource fournie par les déchets, dont les matières, chères à extraire, n’offraient pas la compensation de l’effort fourni. Puis l’écoconception est entrée dans la pratique individuelle du metteur en marché, déjà mis à contribution financièrement pour la collecte, le tri et le recyclage, mais à qui l’on demande aussi d’utiliser les matériaux secondaires pour compenser la rareté ou les éventuelles ruptures d’approvisionnement de la ressource primaire. Le fabricant d’une moto sophistiquée cherchera peut-être à en demeurer propriétaire, mais celui d’un pot de yaourt n’y aura pas plus d’intérêt qu’aujourd’hui ! C’est l’une des raisons probables de la pérennité des systèmes de REP collectifs…

O. F. : Je suis absolument d’accord. Ce sont les objets manufacturés à forte valeur ajoutée qui intégreront les données de masse à leur fonctionnement et peut-être à leur régime de propriété, lequel permettrait aux systèmes de responsabilité collective d’évoluer vers la responsabilité individuelle du fabricant.

Int. : La fin de l’assemblage signifie aussi celle des procédés mécaniques de triage et de valorisation des déchets. En effet, avec la plastronique, on devra recourir à des procédés chimiques pour extraire les produits recyclables. Nous aurons besoin de recherches et de développements pour trouver des solutions. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles la mutualisation du recyclage ne perdra pas nécessairement tout intérêt… à ceci près que les données demeureront confidentielles, ou du moins propriétaires. Même le textile sera connecté. Ces questions se poseront à toutes les filières, et les discussions sont d’ores et déjà engagées sur ces sujets entre les acteurs de la REP.

O. F. : La raison pour laquelle un constructeur basculerait du système collectif à un système individuel ou individualisé tient au fait que le premier lui coûte de l’argent alors que le second, qui lui permet d’exploiter le gisement de données, lui en rapporte. En 2006, lorsque les filières DEEE ont été mises en place en France, une entreprise comme Hewlett Packard rechignait à instaurer un système collectif de suivi des déchets, car elle souhaitait récupérer une partie de la valeur, en reprenant par exemple les matériels usagés. Les constructeurs automobiles voudront récupérer les métaux rares – et précieux – qui seront contenus dans leurs véhicules, plutôt que de les abandonner à une industrie lointaine du déchet. Il en ira probablement de même pour les autres fabricants d’objets connectés. En revanche, ces évolutions prendront du temps, et des travaux de recherche collectifs peuvent avoir toute leur place dans cet intervalle.

Peu de gisements d’emplois

Int. : Le plan France 2030 aura-t-il une influence sur votre activité ? Cette dernière recèle-t-elle des gisements d’emplois ?

O. F. : L’industrie du recyclage s’automatise à grande vitesse et la tendance est déjà ancienne. Depuis quelques années, elle se numérise : voici cinq ans, une machine de tri pouvait identifier une centaine d’objets par seconde défilant sur un tapis ; aujourd’hui, elle en identifie 1 million par seconde. Les principes des installations ont peu changé, mais leurs capacités sont passées des kilogrammes aux tonnes. Nous avons besoin de techniciens de pointe, en électronique, en magnétique, en automatisme, en électricité de puissance, etc., ainsi que, dans une moindre mesure, d’ingénieurs. Notre industrie ne crée cependant pas d’emplois, alors même qu’elle produit de plus en plus.

La France pourrait, si elle se lançait dans la plastronique, localiser sur son territoire une part de la production et modifier certains flux des chaînes d’approvisionnement, notamment de celles qui viennent d’Asie. Or, aujourd’hui, c’est plutôt l’Allemagne qui relève ce défi, avec ses compétences de premier plan en chimie – tant dans la recherche que dans l’industrie –, qui s’appuient sur un écosystème indispensable à l’innovation et à la production.

Informer et réinventer l’extraction

Int. : Que connaissent les ONG de votre activité ? Les informez-vous ? Le ministère de l’Environnement est-il attentif à ces questions ?

O. F. : Les politiques et les médias grand public se préoccupent surtout du recyclage des emballages et du scandale des pollutions diffuses. Ces problèmes spectaculaires – et réels – n’occupent qu’une part relativement faible de la question beaucoup plus vaste posée par la gestion des déchets, tant pour ce qui concerne les matériaux et leur traitement que pour la circulation des produits recyclés. En revanche, nous travaillons parfois étroitement avec des ONG, qui sont souvent des interlocuteurs compétents. Zero Waste France est une organisation difficile à approcher, mais Zero Waste Europe, à Bruxelles, est un interlocuteur constructif. Nous allons jusqu’à émettre des communications communes ! Les grandes ONG disposent de moyens supérieurs aux nôtres et de personnels compétents.

Int. : Aujourd’hui, certains industriels investissent massivement dans la fin de vie de leur production – trading de matières, démontage, remanufacturing et, bientôt peut-être, du recyclage. Le métier historique de SUEZ et de Veolia était le traitement de déchets par valorisation thermique, une activité condamnée à terme ; ils rachètent aujourd’hui des unités de recyclage et empiètent sur vos métiers.

O. F. : L’enfouissement ou la valorisation énergétique sont des métiers absolument différents de celui de la production de matières premières à partir de déchets. Veolia est extrêmement performante pour les contrats de long terme, généralement passés avec des collectivités, qu’il s’agisse de l’eau ou de l’élimination des déchets. Leurs incursions dans le recyclage n’ont jamais connu de fin heureuse, surtout dans le domaine des métaux. Recycler, c’est mettre des produits sur le marché international des matières premières. Pour notre acier recyclé, nous devons être compétitifs avec de l’oxyde de fer produit en Australie dans des mines à ciel ouvert ! C’est un métier de place de marché.

1. Serge Kimbel, « Aider les entreprises à recycler les métaux rares », séminaire Économie et sens, cycle L’Économie circulaire, séance du 27 octobre 2021.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

François BOISIVON