Exposé de Michael Restier

Je dirige l’Association nationale des pôles territoriaux et des pays (ANPP) depuis six ans, après y avoir occupé le poste de chargé de mission durant quatre ans. J’ai, par ailleurs, un mastère en droit public et un mastère en aménagement du territoire.

La démarche Pays

La législation attribue des compétences aux collectivités locales suivant leur niveau – région, département, commune. En l’occurrence, la stratégie (économie, aménagement, mobilité) relève de la région, le département a en charge les solidarités et l’équilibre rural/urbain, et les communes se voient confier des compétences en matière de développement économique, d’énergie, d’environnement et de services de proximité notamment.

Les autres niveaux, comme la communauté de communes, le Pays ou le pôle d’équilibre territorial et rural (PETR), ne sont pas inscrits dans la Constitution et sont qualifiés de collectivités territoriales. Cette diversité fait la richesse du développement local à la française.

Pour organiser la gestion des flux, l’éclairage public ou le traitement des déchets, les communes se regroupent en intercommunalités. L’intercommunalité agit pour la mise en œuvre mutualisée des compétences. Le Pays, qui réunit en moyenne de 3 à 4 EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), ne porte pas des compétences, mais des missions. Ces missions sont inscrites dans un projet de territoire stratégique, intégré et partagé, pour coordonner et mettre en cohérence les politiques publiques locales.

Aux origines de la démarche Pays

Le statut de Pays a été expérimenté en 1995, dans le cadre de la loi d’orientation pour l’aménagement du territoire (LOADT), dite loi Pasqua, puis généralisé en 1999 par la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT), dite loi Voynet. Ce faisant, le législateur a souhaité insuffler la démarche de projet de territoire dans les politiques publiques locales.

À l’origine, et pour schématiser, la démarche Pays était une sorte de label décerné par l’État aux structures porteuses d’actions pour le développement local, indépendamment de leur forme juridique – association, groupement d’intérêt public (GIP), syndicat mixte fermé ou ouvert, convention – et sous réserve de constituer un conseil de développement.

Puis, en 2010, la loi de réforme des collectivités territoriales a abrogé l’article “Pays”. Les Pays existants demeuraient, mais il n’était plus possible d’en créer de nouveaux. S’est ensuivie une période d’incertitude juridique pour le portage des missions des territoires, jusqu’à la réintroduction de l’outil juridique du PETR, en 2014, dans le cadre de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM). En effet, cette maille et cette agilité ont rapidement manqué dans l’organisation territoriale.

Le PETR : statut et fonctionnement juridique

Le PETR a pour objectif de mener des actions d’intérêt commun sur la base d’un projet de territoire définissant les conditions du développement économique, écologique, culturel et social. Ce faisant, il incarne une vision ambitieuse du développement local.

Le PETR porte des missions et non des compétences. Il est le plus souvent régi par un syndicat mixte fermé – au sens de l’article L5741-1 et des suivants du Code général des collectivités territoriales – composé exclusivement d’EPCI. Ces derniers doivent être au moins deux, d’un seul tenant et sans enclave, sur la base d’un projet de territoire partagé, œuvrant pour un développement économique, écologique, culturel et social. Le PETR peut également être régi par un syndicat ouvert, par exemple lorsque le conseil départemental siège au comité syndical.

Les sièges sont répartis en fonction du poids démographique de chacun des membres, étant entendu qu’un EPCI ne peut détenir plus de 50 % des sièges. Par ailleurs, deux instances de concertation sont institutionnalisées par la loi MAPTAM : le Conseil de développement et la Conférence des maires.

Entre les Pays et les PETR, seule l’assise juridique diffère, car l’esprit et la méthodologie sont identiques. Définition d’une stratégie, évaluation, concertation, participation : la philosophie prime sur la forme juridique. En outre, la démarche est nécessairement volontariste et portée collectivement par des élus.

Panorama 2022

Il existe actuellement 268 Territoires de projet (Pays ou PETR), qui couvrent 62 % du territoire et 47 % de la population totale. En moyenne, chaque Territoire compte 90 000 habitants, 88 communes et 3 EPCI, sur une surface de 1 300 kilomètres carrés. En 2022, on dénombre 51 % de pôles territoriaux (PETR), 32 % de syndicats mixtes, ouverts ou fermés, 9 % d’associations (contre 40 % en 2015), 7 % de structures informelles ou conventionnées et 1 % de GIP.

Les Territoires de projet

Les thématiques de travail des Territoires de projet s’articulent autour de cinq grandes missions.

Transition écologique

La première mission des Territoires de projet est la transition écologique. Elle consiste à accompagner les acteurs locaux dans l’instauration d’une trajectoire écologique plus responsable et ambitieuse, au travers notamment des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), de l’Agenda 21 ou du Plan climat.

Dans le cadre de cette mission, par exemple, le Pays de Morlaix conduit des actions de sensibilisation sur l’eau, dans les écoles et au travers de la Fête de l’eau qui se tient annuellement.

Attractivité économique

La deuxième mission concerne l’attractivité économique : animation des réseaux (clusters, notamment), la GTEC (gestion territoriale des emplois et des compétences) et le tourisme par exemple.

À ce titre, le Pays de Morlaix porte plusieurs actions innovantes, parmi lesquelles l’accompagnement d’une université rurale à Roscoff, antenne du CNRS. Il a également instauré des réunions mensuelles avec des chefs d’entreprise, en présence d’intervenants comme des dirigeants ou des experts en RSE. L’objectif est de développer des réseaux et des synergies locales entre les différents acteurs économiques.

Services à la population

La mission des services à la population couvre un large périmètre intégrant la mobilité, le numérique, l’alimentation, la santé ou la politique de l’âge.

Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont un bel exemple d’action déclinée dans ce cadre. À l’origine conçus comme des outils de structuration des filières agricoles et agroalimentaires, pour accompagner les producteurs locaux à se structurer, ils sont ensuite devenus transversaux pour traiter l’alimentation en lien avec la santé, la mobilité ou le traitement des déchets, par exemple. La troisième génération, qui commence à émerger, est celle de PAT inclusifs, qui associent l’ensemble des acteurs depuis la création du produit jusqu’au traitement de ses déchets résiduels.

Un autre exemple d’action est celui du contrat local de santé (CLS), dans le cadre de la politique de l’âge en milieu rural. L’objectif est d’animer le réseau des professionnels de santé locaux pour développer le maintien à domicile.

Cadre de vie

Le cadre de vie constitue la quatrième mission. Son champ d’action couvre l’architecture, le patrimoine et le paysage.

Le Schéma de cohérence territoriale (SCoT) permet d’analyser finement la manière dont les habitants consomment et utilisent l’espace, notamment sous l’angle de la mobilité. Les territoires sont ainsi mieux équipés pour répondre aux véritables besoins des habitants sans créer de nouvelles problématiques de flux.

Contractualisation

La cinquième mission est la contractualisation : CRTE, contractualisation régionale, programme LEADER (Liaison entre actions de développement de l’économie rurale), etc.

L’ANPP : missions et actions

Présidée par Josiane Corneloup, députée de Saône-et-Loire, ANPP – Territoires de projet est animée par une équipe de cinq personnes. Ses trois missions principales consistent à : représenter les territoires auprès des instances et des institutions nationales, régionales et locales ; animer le réseau des Territoires de projet ; accompagner ses adhérents dans leurs actions et leurs projets.

L’association, qui compte aussi de nombreux partenaires, bénéficie de l’adhésion de 254 des 268 Territoires de projet.

Un accompagnement et des valeurs

Le volet politique est central. Nous avons, par exemple, signé un accord de partenariat avec Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, et Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, dans le cadre des CRTE. Nous avons aussi sollicité les candidats aux élections régionales de 2021 pour connaître leur vision en matière d’aménagement et de ruralité.

Nous soutenons la publication de vade-mecum et de différents supports, sur la définition du projet de territoire et, pour les derniers, de l’ingénierie de projet.

Nous avons également lancé le programme OPTER télétravail, pour accompagner les collectivités dans l’élaboration d’une stratégie de développement du télétravail et d’une politique d’accueil des néo-télétravailleurs. Même si l’exode urbain annoncé pendant la pandémie de Covid-19 n’a pas eu lieu, un transfert d’urbains s’observe malgré tout. Nous avons conçu un guide qui identifie les secteurs dans lesquels cette politique d’accueil mériterait d’être déployée, en favorisant le développement du numérique, des tiers-lieux, de l’accessibilité, des services et de la mobilité.

Nous sommes également la première association d’élus avec un conseil d’administration respectant la parité hommes-femmes, et la première à avoir réalisé un bilan carbone, au terme duquel nous avons compensé notre empreinte carbone. La principale action emblématique issue de ce bilan est le passage au télétravail à 100 %, qui vise à réduire de 25 % de notre empreinte carbone.

Nous portons aussi le programme AcoTE, pour la promotion du covoiturage en milieu rural.

Le projet de territoire

Notre matière est le projet de territoire, qui traduit la stratégie territoriale pensée par les élus et les acteurs locaux. Il est stratégique, intégré et partagé.

Ce document stratégique s’inscrit dans le temps long. En cela, il se différencie d’une feuille de route applicable dans l’intervalle court d’un mandat électoral.

Élaboré par le territoire, avec le territoire et pour le territoire, il a pour ambition de coordonner les politiques publiques pour tendre vers les objectifs identifiés. De nombreux projets de territoire visent l’objectif zéro émission de gaz à effet de serre. L’accessibilité des bâtiments publics et des commerces est une autre thématique largement partagée.

Ce projet intégré a également pour objectif de redonner du sens et de créer du lien entre les acteurs – publics et privés, urbains et ruraux – qui contribuent à l’animation du territoire. Des coopérations avec d’autres territoires doivent aussi être envisagées.

La dimension de partage entre les acteurs est fondamentale, en particulier pour rendre les enjeux du SCoT ou du Plan climat appropriables par les habitants. Il s’agit de démocratiser le discours, de mieux connaître l’écosystème et d’identifier la meilleure façon d’intervenir et d’interagir dans la prise de décision, pour développer le sentiment d’appartenance au territoire. Avoir un Territoire de projet consiste, pour ainsi dire, à réenchanter les politiques publiques par la pédagogie.

L’ingénierie du développement local et des transitions

La publication, l’an dernier, du vade-mecum « Faire territoire : osons avec et pour tous ! » s’est inscrite dans le cadre de la définition des futurs CRTE. Ce document met en avant le travail des animateurs du développement local et des transitions, ingénierie sans laquelle aucun développement local n’est réellement possible.

Or, si l’Europe finance l’ingénierie, notamment au travers du programme LEADER, tel n’est pas le cas de la France. Aussi avons-nous voulu démontrer la plus-value de l’ingénierie du développement local et des transitions, aussi essentielle que peu visible. Nous avons relevé le pari. Reste à le traduire en financements !

La première caractéristique de cette ingénierie est sa vision transverse et de long terme du territoire. Ainsi que je l’ai mentionné, la thématique de l’alimentation touche à bien d’autres sujets, comme la santé, la mobilité ou la gestion des déchets. En France, nous avons cependant encore trop tendance à raisonner en silos.

Une autre caractéristique est la diversité des profils (juristes, responsables RH, managers, conseillers politiques et stratégiques…) et la polyvalence des équipes – d’ailleurs souvent qualifiées de “couteaux suisses”. Or, dans la fonction publique territoriale, rares sont les agents qui cumulent ces compétences. Ces équipes ont aussi une grande capacité à expérimenter et à innover, laquelle n’est pas toujours admise.

En amont de la publication du vade-mecum, nous avions proposé une pétition aux élus locaux. Le résultat a dépassé nos espérances, puisque nous avons récolté plus de 11 500 signataires en faveur du financement de l’ingénierie du développement local et des transitions ! Cela témoigne de l’importance du sujet que nous avons identifié.

Depuis, 42 associations d’élus ont souhaité rejoindre la démarche et ont cosigné la tribune dans laquelle nous prônons un “1 % ingénierie”. Concrètement, nous demandons la sanctuarisation de 1 % des volumes financiers dédiés à l’investissement, et ce au bénéfice de l’ingénierie du développement local et des transitions – pour une plus grande sobriété écologique et une meilleure concertation.

Coopération et articulation des échelles : les contrats de réciprocité

En 2015, le Comité interministériel aux ruralités (CIR) a souhaité déployer les contrats de réciprocité, d’abord dans le cadre d’une expérimentation avec quatre binômes : le Pays Centre Ouest Bretagne et Brest Métropole ; le Pays d’Aurillac et la métropole de Lyon ; le Pays Portes de Gascogne et Toulouse Métropole ; le parc naturel régional du Morvan et la communauté urbaine de Creusot Montceau.

L’objectif était d’analyser la façon dont l’urbain et le rural pouvaient travailler ensemble.

L’initiative est venue d’Alain Calmette, alors maire d’Aurillac, qui se sentait éloigné du centre de gravité de la région Auvergne-Rhône-Alpes, déporté de Clermont-Ferrand à Lyon avec la fusion des régions. Il souhaitait donc renforcer ses interactions avec le territoire, dans le cadre d’un contrat de réciprocité.

Le premier contrat de réciprocité a été signé entre le Pays Centre Ouest Bretagne et Brest Métropole, notamment en matière de santé, pour répondre à l’un des sujets centraux, partagé par tous les territoires ruraux : la désertification médicale. Ce contrat a notamment permis de déployer un dispositif itinérant, en partenariat avec le CHU de Brest.

Le deuxième a été signé entre Toulouse Métropole et le Pays Portes de Gascogne, d’abord autour du PAT. L’objectif était la restructuration de la filière d’approvisionnement, pour que la cuisine centrale de Toulouse – qui sert 76 000 repas par jour – cesse de se fournir en viande bovine argentine plutôt qu’auprès des producteurs locaux. Cette démarche a également contribué à l’ouverture d’un rayon gersois au sein du marché d’intérêt national de Toulouse.

Un autre axe de ce contrat de réciprocité était celui de la mobilité, pour résoudre les difficultés de déplacement liées, d’une part, au fait que la ville de Blagnac concentre l’aéroport ainsi que le centre spatial et aéronautique, d’autre part, au fait que les nouveaux arrivants s’installent plutôt du côté du Gers que du côté toulousain, où le foncier est saturé et inabordable financièrement. La réflexion a donc porté sur le déploiement de tiers-lieux et l’accompagnement des entreprises dans l’instauration du télétravail.

Depuis l’expérimentation, d’autres contrats de réciprocité ont été signés ou sont en passe de l’être. Les suivants ont été signés entre Nantes et le Pays de Retz, entre Tours et les intercommunalités du département d’Indre-et-Loire, et enfin, entre l’Eurométropole de Strasbourg et la communauté d’agglomération de Saint-Dié-des-Vosges.

En conclusion

Il est important qu’un territoire ait une bonne connaissance de son écosystème avant d’envisager des interactions avec ses voisins dans le cadre d’un projet de territoire. De surcroît, ces actions ne sont rendues possibles que par la volonté politique et l’ingénierie d’animation et de projets, qui favorisent le développement local au-delà d’une simple vision comptable.

Débat

L’ANPP et les projets de territoire

Intervenant : D’où vient l’ANPP ? Qui est votre mandant et quel est votre mandat ? Vous donnez le sentiment d’une grande liberté d’initiative.

Michael Restier : Nous fêtons nos 25 ans ! L’association a été créée par plusieurs personnalités, parmi lesquelles Jean-Pierre Balligand, alors député de l’Aisne, et Jean Glavany, alors ministre de l’Agriculture.

Le conseil d’administration est présidé par Josiane Corneloup, députée de Saône-et-Loire, qui a succédé au sénateur Raymond Vall il y a deux ans. Cette présidence est historiquement confiée à un parlementaire, avec une alternance gauche-droite en lien avec le caractère apolitique de l’association.

Nous tirons notre légitimité de nos 254 adhérents, avec qui je me sens très en phase. J’ai conscience de la confiance que m’adressent nos administrateurs, qui me permet d’explorer et d’expérimenter. Nous accolons désormais Territoires de projet à ANPP pour illustrer notre conception du développement local pour une orchestration optimisée de grands sujets comme la transition écologique ou la concertation. Cela explique aussi notre discours engagé et militant pour le développement local, qui n’est pas celui qu’on attend spontanément d’une association d’élus.

Int. : Quel est le coût de l’adhésion ?

M. R. : L’adhésion coûte 620 euros par an et par territoire. Ce n’est rien au regard des services que nous offrons.

Int. : Comment votre équipe est-elle financée ?

M. R. : Notre budget de fonctionnement annuel se chiffre à un peu plus de 300 000 euros. Nous sommes financés à 60 % par nos adhérents et, pour le reste, nous avons signé des conventions avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), la Caisse des Dépôts et d’autres partenaires.

Int. : Votre équipe semble très réduite au regard de l’ampleur de vos missions.

M. R. : Tout est question de conviction, d’organisation et d’implication ! J’ai la chance d’avoir une équipe correspondant à 4,6 équivalents temps plein. Le concours de ces personnes est indispensable, chacune contribuant grandement à la réussite de notre activité, et je tiens à leur exprimer ma reconnaissance. Nous avons optimisé nos outils et nous échangeons régulièrement avec nos adhérents, auprès de qui nous diffusons des informations par mail deux fois par jour. Le fait de bien connaître ses interlocuteurs procure un gain de temps considérable.

Int. : Quel est votre rôle exact ? Celui d’un initiateur, d’un catalyseur ou d’un informateur ?

M. R. : Nous avons trois missions.

La première est la représentation auprès des ministères, des parlementaires et des opérateurs publics et privés. Ce lobbying vise à favoriser la prise en compte, dans les politiques publiques nationales, de la ruralité et de l’ingénierie. Nous mettons aussi l’accent sur l’importance de l’évaluation. Depuis dix ans, j’ai le sentiment de toujours rappeler que l’exigence est indispensable dans le déploiement de politiques publiques responsables et méthodiques. Voici un exemple de notre activité : dans la perspective du lancement du second acte de l’Agenda rural, la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales a confié la présidence de la commission Attractivité à notre association.

Notre deuxième mission est l’animation de réseaux, au travers de commissions et de diverses instances, comme le Club des directeurs de Pays dont nous réunissons les délégués tous les deux mois pour évoquer l’actualité du terrain. Ces réunions permettent de tester nos propositions d’un point de vue opérationnel. Quatre fois par an, nous réunissons aussi tous les présidents de Pays pour décrypter un sujet particulier, par exemple le rôle des collectivités locales face à la hausse du prix de l’énergie. Récemment, avec le club Territoires et parlementaires, nous avons abordé les conséquences de la guerre en Ukraine pour les collectivités locales en présence de 80 parlementaires. Tous les ans, nous organisons en alternance une réunion des adhérents en présentiel, sous la forme soit d’états généraux – avec une approche politique –, soit de rencontres techniques – avec une approche compétences. Les dernières, à Figeac, ont réuni plus de 350 participants. Pour les prochains états généraux, nous attendons plus de 600 personnes.

Enfin, dans le cadre de notre troisième mission d’accompagnement, nous publions plusieurs études et enquêtes par an. Les dernières touchaient à la santé, aux réciprocités, à l’adaptabilité et à l’habitabilité des territoires, en réponse à l’épisode de canicule de cet été dont les médias ont minoré l’incidence sur l’écologie et la mortalité. D’autres publications portent aussi sur la mobilité, les CRTE et les conseils de développement.

Int. : Êtes-vous sollicités lorsqu’un projet démarre, par exemple pour un brainstorming initial ?

M. R. : Je suis régulièrement sollicité, mais en tant qu’expert ponctuel. Notre équipe ne peut se démultiplier et atteindre ce degré d’accompagnement. Nous jouons principalement un rôle de représentation nationale et assurons les fonctions de centre de ressources et de centre juridique. Par ailleurs, les adhérents ont moins besoin qu’auparavant que le directeur de l’ANPP se déplace et les interventions sont plus régulièrement organisées en visioconférence.

Int. : Cette moindre présence sur le territoire ne risque-t-elle pas de changer la manière dont vous êtes perçu ? Intervenez-vous en présentiel à Morlaix, qui est votre lieu de résidence ?

M. R. : Je n’ai pas observé de différence entre les interventions à distance ou en présentiel, d’autant que nous connaissons bien nos 250 adhérents. Et pour Morlaix, cela m’arrive en effet d’y intervenir. Quand une ressource est sur place, autant en profiter !

Charles-Benoît Heidsieck : L’ANPP est aux territoires ce que le Centre des jeunes dirigeants est aux entreprises. Tous deux ont pour objectif l’éclairage et la mise en valeur de la réalité de terrain. En France, plus que partout ailleurs, la bipolarisation est très forte entre les grandes et les petites organisations, de même qu’entre la logique économique et la logique de gestion de l’intérêt général.

Avec 35 800 communes, la France possède la moitié des collectivités territoriales de toute l’Europe ! Alors qu’elles représentent 70 % de nos territoires et 40 % de nos concitoyens, il est essentiel d’être à leur écoute. Contrairement aux grandes métropoles dans lesquelles les acteurs ne sont pas tenus de dialoguer entre eux, les petits territoires n’ont d’autre choix que de “penser systémique”. Cette vision transversale de l’écosystème est une réelle richesse.

Quant à la gestion de l’intérêt général, son activation relève de trois leviers : la gestion régulatrice, la vision partagée et la capacité d’actions collectives. L’Institut pour la recherche vient de publier sa première étude d’impact de l’objectif de développement durable n°17, portant sur la coopération, à l’échelle d’un Pays. Il en ressort que ce sont principalement les petites et moyennes organisations qui pensent l’action, les systèmes politiques de décision et les systèmes juridiques, administratifs et financiers de la gestion.

En tout état de cause, les petites organisations étant contraintes de coopérer et de mutualiser leurs forces, le rôle d’accompagnement de l’ANPP est majeur, aux côtés des 500 000 bénévoles de nos communes qui consacrent du temps à régler des problèmes locaux et constituent une ressource formidable dont certains n’imaginent pas l’importance.

M. R. : Je suis d’accord ! Il est urgent de redonner confiance aux élus impliqués dans la vie locale, en dépit des difficultés. Récemment, une directrice de Pays et maire d’un petit village m’indiquait qu’elle avait passé tout le week-end à nettoyer le cimetière de sa collectivité. En France, nous avons une approche comptable des choses, mais nombre de sujets ne sont pas évaluables – c’est le cas de l’animation de la cohésion territoriale. Cela explique aussi le discours quant à la nécessaire réduction du nombre de parlementaires. J’estime scandaleuse l’idée de faire des économies sur la démocratie, d’autant que les territoires ruraux seront sacrifiés au principe du seuil démographique.

Les conditions de réussite d’un projet

Int. : Comment faire tenir des projets sur le long terme ? Comment identifier des “entreprenants” à même de voir plus loin que les échéances électorales et réunissant légitimité et envie ?

M. R. : Au sein des comités syndicaux, les décisions sont prises à l’unanimité de manière quasi systématique lorsqu’il s’agit d’une instance Pays, car l’intérêt territorial et le bon sens local priment sur l’intérêt politique. À cette échelle stratégique, le propos est dépolitisé au sens politicien, et politisé au sens de la cité.

Int. : Faut-il commencer par de petits projets visant à atténuer les irritants du quotidien, et/ou accompagner des projets plus importants comme la création de filières ? Avez-vous identifié de bonnes méthodes et pratiques que vous actualisez et partagez avec vos adhérents ?

M. R. : Nous nous refusons à définir un profil type de bon fonctionnement. Chaque territoire a ses spécificités. Certains commencent avec un PAT, puis leur ambition progresse avec l’avancée du projet. D’autres, comme le Pays de Soissons qui structure actuellement son PETR, ont d’emblée la volonté de porter des sujets structurants au travers d’un SCoT et d’un programme LEADER. En général, c’est le degré de portage et de participation des acteurs locaux qui donne le curseur de la pérennité d’une démarche.

Dans tous les cas, nous devons prendre le temps de la concertation, ce qui peut être perçu par certains élus comme une perte de temps ou une remise en cause de la démocratie représentative. La capacité à animer les réseaux est la clé de la réussite d’un projet sur le long terme. L’ingénierie d’animation est là pour accompagner stratégiquement les élus. La concertation est certes compliquée, mais le développement local aussi ! Dès le début, il faut avoir le courage d’exprimer des avis et des intérêts divergents. Les échanges se fluidifient avec la pratique. Une fois les oppositions dépassées, il est possible de se rencontrer et de faire corps.

L’importance de la communication

Int. : Les acronymes, très nombreux, renvoient à la complexité du sujet et participent du “millefeuille territorial”. Comment communiquez-vous, pour mobiliser, mais aussi intéresser les médias ? Comment les projets peuvent-ils faire rêver et faire parler d’eux ?

M. R. : La vie est compliquée, pourquoi le développement local ne le serait-il pas ? La complexité concerne tous les sujets. Dans la mesure où l’aménagement du territoire et le développement local ne parlent de rien d’autre que de la vie des territoires, c’est normal qu’ils soient compliqués. Pour autant, je m’évertue à essayer de démocratiser le sujet.

Je rejette l’expression de “millefeuille administratif”. Si certaines structures comme les PETR ou les PNR existent, c’est qu’elles sont nées d’un besoin. Par ailleurs, notre seule préoccupation est la mutualisation. Nous sommes dans une volonté d’optimisation, de rationalisation, de simplification et d’économie.

Il est vrai que le sujet intéresse peu les médias, qui préfèrent traiter de l’immédiateté sans déceler les synergies en marche au niveau local. Nous les invitons à nos réunions, mais ils ne se déplacent que lorsqu’un élu coupe un ruban.

Les partenariats et la coopération

Int. : Comment articulez-vous votre action avec les grands opérateurs privés ou parapublics qui comptent parmi vos adhérents, pour les projets qui correspondent à une activité économique ? Coopérez-vous avec d’autres entités pour les projets dont la mise en œuvre est plus originale ?

M. R. : Notre partenariat avec le privé est assez récent. Cette évolution tient compte du fait qu’il s’agit d’un acteur incontournable pour le développement local. La cotisation annuelle est modeste, car notre politique associative nous impose une totale indépendance. Nous refusons aussi l’adhésion d’acteurs dont l’image ne correspond pas à notre philosophie, même si nous pouvons échanger avec eux.

L’apport des grands opérateurs tient essentiellement à leur expertise en matière de responsabilité territoriale des entreprises (RTE) et à leur contribution à la réflexion sur de nombreux sujets dont ils ont des retours d’expérience. Ces échanges nous permettent d’avoir une lecture plus précise du fonctionnement de l’écosystème et favorisent une meilleure connexion entre les agents du privé et nos adhérents.

Int. : Que pensez-vous du projet Territoires zéro chômeur de longue durée ?

M. R. : L’initiative est louable, mais survendue dans sa communication comparée à la traduction opérationnelle sur le terrain. Si ce dispositif a incontestablement permis d’actionner certains leviers, il n’a pas encore réussi à résorber le chômage en milieu rural. En somme, il a le mérite d’exister.

Perspectives : le nécessaire rééquilibrage

Int. : Faut-il regrouper les services en ville, afin de mutualiser les compétences sur des sujets toujours plus complexes, et laisser les usines à la ruralité ? Voyez-vous émerger une nouvelle géographie des territoires ?

M. R. : Il est hors de question de considérer les territoires ruraux comme des zones de production et des zones récréatives ! En allant à l’encontre des hôpitaux de proximité, par exemple, la politique actuelle éloigne encore le service du territoire. Dans le Pays Portes de Gascogne, deux ans après son installation à Fleurance, un service de radiologie a été contraint de migrer à Auch, par souci d’économie d’échelle. On ne peut faire d’économies au détriment du bien-vivre des habitants.

Int. : L’hôpital de Nevers manquant de médecins, le maire a eu l’idée de rétablir une ligne aérienne permettant aux professionnels de Dijon de venir en seulement trente-cinq minutes. Cela démontre que les médecins ne souhaitent pas exercer en milieu isolé.

M. R. : À l’heure de l’urgence écologique, je doute qu’il s’agisse d’une bonne idée. Le trajet pour aller de Dijon à Nevers en train dure deux heures trente et à peine davantage en voiture. Il est néanmoins vrai que l’accès aux soins en milieu rural est problématique : par exemple, à Morlaix, je dois faire plus d’une heure de route pour aller chez un ophtalmologue. L’itinérance pourrait être une solution, comme la e-médecine. Peut-être faudrait-il revoir cette liberté d’implantation chère aux médecins – au moins durant les premières années –, afin de constituer un maillage équilibré de médecins généralistes sur tout le territoire, à l’image de celui des pharmaciens. Cette solution nous paraît viable, mais il faudrait l’accompagner d’un certain courage politique. Par ailleurs, un réajustement des pratiques médicales pouvant être réalisées par des aidants ou des infirmières, après formation, serait bénéfique.

Int. : Y a-t-il un partage d’expérience entre les directeurs de projets ?

M. R. : Oui, et cela fait partie de nos missions. En 2022, les trois thématiques principales sont l’alimentation, la mobilité et la santé. Ensuite, viennent le numérique et la politique de l’âge. Nos webinaires permettent un échange de bonnes pratiques par le biais d’observatoires, de magazines et de fiches résumant les actions innovantes pour ceux qui souhaitent se lancer.