Quand les mammouths font des entrechats

Le présent Journal évoque les grandes entreprises qui stimulent les innovations, souvent distantes de leur objet principal : en amont, en aval ou dans des directions éloignées. C’est l’image du pachyderme (un mammouth) qui s’engage dans des activités vives et rapides.

Du côté des entreprises, il est question de Sanofi, du Groupe Ippolito et de L’Oréal, et dans d’autres domaines, de la ville de Marseille et de l’informatisation du système de santé sur le thème de la vaccination contre le Covid-19. L’accélération de la vie des affaires, la multiplication des aventures de start-up posent aux entreprises des dilemmes éventuellement coûteux.

Un chef d’entreprise m’a récemment expliqué sa stratégie face à ces occasions d’innovation. À chaque proposition intéressante d’une start-up, il apporte un soutien modéré. Si c’est un échec, les dégâts sont modestes. Mais si c’est un succès, il la rachète. De cette manière, il ne passe pas à côté d’une bonne idée, mais il ne bouleverse pas son organisation avec le risque de tomber dans une impasse. Quant au patron de la start-up, il sait que son entreprise a peu de chances de survivre plus de trois ans, mais il lui reste l’intérêt de l’expérience.

L’image du mammouth va de soi dans le cas des entreprises, mais elle est moins évidente dans le cas de la vaccination. Quand on connaît l’extrême complexité des données dans le domaine de la santé, on ne peut qu’approuver la prudence de l’opérateur devant la multitude des initiatives de taille modeste.

Quant à la ville de Marseille, l’évocation des 900 projets suggère de très nombreuses aventures de petite taille évocatrices des entrechats. Il est clair que la pesante bureaucratie de la deuxième ville de France n’a pas vocation à gérer une multitude de petites initiatives, et qu’il convient de leur laisser un maximum de liberté tout en leur garantissant un minimum de sécurité.

Il résulte de cette vision un double visage de la vie économique : d’une part, de solides organisations produisant les biens et services les moins exposés aux caprices des innovations et des modes, et d’autre part, une abondance de structures légères, engagées dans des aventures peut-être sans succès garanti, mais éventuellement porteuses d’un avenir triomphant. Tout l’art des stratèges des mammouths est d’accorder aux courageux aventuriers le minimum de sécurité qui rend leur expérience probante dans le succès comme dans l’échec.

Il n’est pas sans intérêt de jeter sur ce tableau un regard d’ethnologue. Il est clair que les entrepreneurs d’aventures légères sont en majorité des jeunes diplômés qui pensent qu’ils ont intérêt à prendre des risques à un âge où ils ne ruineront guère leur carrière ultérieure. En revanche, à l’âge où ils seront le plus souvent chef de famille, ils choisiront des situations pérennes. Toutefois, la vie économique est aujourd’hui si internationale, si inventive, qu’aucun mammouth n’est assuré d’être à l’abri d’une invasion de son domaine par d’habiles innovateurs. Aussi doit-il veiller à entretenir des liens avec des germes de concurrence éventuellement menaçants. Les mammouths doivent surveiller les entrechats. Les activités industrielles liées au traitement des images, des sons, des automatismes, des transports abondent en exemples de brutales mutations techniques. Les mammouths ne sont jamais à l’abri d’invasions par de souples danseurs. Pérennité et vivacité sont deux impératifs contradictoires, mais complémentaires.