Le Journal de l'École de Paris - septembre/octobre 2012

Périlleuses quêtes de nouveaux mondes

septembre/octobre 2012

L'édito de Thomas PARIS

L’herbe est plus verte ailleurs. Le mythe d’un pays porteur de mille promesses semble être une constante des civilisations humaines. Qu’ils fassent référence à un lieu accessible ou non, la Terre promise ou le Jardin d’Eden, l’Atlantide ou le Jardin des Hespérides, l’Eldorado ou le Pays de Cocagne ont tous incarné ce mythe. Le monde du business n’échappe pas à la règle, qui s’est inventé l’Océan bleu : un monde où les règles sont remises à plat, où l’on est à l’abri de la férocité de la concurrence et où l’on peut faire des profits considérables. Si ces mondes rêvés partagent les mêmes attributs - harmonie et fertilité -, la réalité montre que ceux-là ne sont pas facilement conciliables. Le Nouveau monde pouvait incarner l’idée d’un monde à reconstruire sur des bases harmonieuses ; l’image qu’il renvoie aujourd’hui est plutôt celle du conquistador Lope de Aguirre, tel que l’a montré le cinéaste Werner Herzog, rendu fou par sa quête de l’or. La base de la pyramide et le social business sont un Nouveau monde pour les entreprises. En conciliant logique marchande et lutte contre la pauvreté, ils doivent allier harmonie et fertilité, mais Laurent Guérin et Yves Le Yaouanq montrent toutes les difficultés à rendre ces entreprises rentables. La croyance et l’appât du gain peuvent faire du Nouveau monde un Eldorado : François Valérian décrit ainsi les mécanismes qui ont amené la crise financière. L’or s’appelait titrisation ; la croyance, la vitesse et le pouvoir ont conduit à des emballements collectifs. Pour les éviter à l’avenir, il s’agirait de comprendre les mécanismes qui favorisent les croyances collectives. Mais ces croyances ne sont-elles pas structurelles, et les crises qu’elles amènent inévitables ? C’est un autre Eldorado qui a conduit, en dix ans, à la faillite de Nortel, entreprise centenaire, leader mondial des élécommunications. Le témoignage de Jules Meunier est celui d’un Canadien qui a fui l’entreprise pendant la ruée vers l’or de la nouvelle économie pour prendre en charge la réorganisation d’un centre de R&D d’Alcatel-Lucent en France... et découvrir les règles étonnantes de l’Ancien monde. Au sein d’Alcatel-Lucent, les Bell Labs ont toujours su explorer des territoires nouveaux, et en ramener d’importantes richesses : ils sont à l’origine de la plupart des technologies de base des télécoms, et s’attaquent aujourd’hui à réduire la consommation énergétique des réseaux de télécom... d’un facteur 1000 en cinq ans. Les conquistadors des Bell Labs, explique Jean-Luc Beylat, ne sont pourtant pas motivés par l’appât de l’or. Thierry Moysset débarque aussi dans un nouveau monde. Après avoir travaillé pendant vingt ans dans des multinationales, il découvre, en reprenant la Forge de Laguiole, tout le potentiel des PME de métiers installées en milieu rural. À peine arrivé, il réunit le personnel et fait brûler l’ensemble de la documentation technique du site, affirmant ainsi que les hommes sont sa plus grande richesse. Puis il s’efforce de valoriser l’unicité du savoir-faire de l’entreprise. L’herbe est plus verte ailleurs ? Lui fait le choix de cultiver son jardin. La vie des entreprises est plus que jamais quête permanente de nouveaux mondes. Ce numéro montre le chemin étroit qui sépare un jardin harmonieux... des images du film Aguirre, la colère de Dieu ou du tableau La Nef des fous de Jérôme Bosch.
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