Exposé de Delphine Vandevoorde

Une fondation territoriale d’utilité publique

À la fin des années 1980, Pierre Mauroy, ancien Premier ministre, alors maire de Lille, crée une association de préfiguration réunissant des acteurs de la société civile, afin de mener des actions d’intérêt général dans la région du Nord-Pas-de-Calais et de réunir une dotation statutaire de 500 000 euros, éxigée à l’époque pour la création d’une fondation reconnue d’utilité publique. Ce capital est d’abord constitué par sept banques locales, puis complété par des legs et des donations. Après un examen approfondi du ministère de l’Intérieur et un avis favorable du Conseil d’État, l’utilité publique de la fondation est reconnue en 1997, par décret du Premier ministre.

Le projet de Pierre Mauroy était proche des community foundations, qui, dans tout le monde anglo-saxon, du Royaume-Uni aux États-Unis en passant par le Canada, et désormais dans de nombreux pays européens, permettent de canaliser legs et donations privées au service de l’intérêt général. De fait, en France, La Fondation de Lille sera non seulement la première fondation à porter le nom d’une ville, mais la première fondation territoriale – si l’on excepte le cas particulier de la Fondation de France, qui s’inspire du modèle des community foundations et a été créée en 1969, à l’initiative du général de Gaulle et de son ministre de la Culture, André Malraux. On peut donc dire que la Fondation de Lille a montré l’exemple et que Pierre Mauroy fut un visionnaire dans sa volonté de faire contribuer ensemble au bien commun, au niveau local, les pouvoirs publics et les bonnes volontés privées. Il avait l’habitude de dire que « l’intérêt général est l’affaire de tous ». Après quelques évolutions statutaires, on notera qu’il n’y a pas d’élus dans la gouvernance de la Fondation de Lille, bien qu’elle soit soutenue financièrement par quatre collectivités territoriales, dont la ville de Lille, principale partenaire historique. La Fondation de Lille a toujours agi en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques.

En 2008, la Fondation de Lille obtient la capacité juridique de fondation abritante, une nomenclature ajoutée à celle de l’utilité publique. La Fondation peut donc accueillir d’autres fondations en son sein ou gérer des fonds pour le compte d’œuvres d’intérêt général.

Depuis décembre 2011, notre président est Didier Delmotte, ancien directeur du centre hospitalier universitaire de Lille. Notre capital s’élève aujourd’hui à 800 000 euros.

Nos statuts respectent le modèle de statuts types fixés par le Conseil d’État. Notre conseil d’administration souverain est constitué de collèges représentant les fondateurs (quatre membres), les personnalités qualifiées (cinq membres), les partenaires institutionnels (quatre membres) et les salariés (un membre). Un commissaire du gouvernement, garant de l’intérêt général, y dispose d’une voix consultative. Trois comités consultatifs assistent le conseil d’administration dans la gouvernance de la Fondation : un comité d’éthique et d’arbitrage, composé de personnalités de la société civile, qui étudie les projets et les fonds qui leur sont affectés ; un comité d’audit et stratégique, issu lui aussi de la société civile, mais avec des compétences techniques, juridiques et comptables ; et enfin, un comité de mécènes.

Un catalyseur

Les fonds que nous collectons pour nos actions philanthropiques sont gérés et défiscalisés par la Fondation de Lille, outil juridique sécurisé. Nous servons de trait d’union entre donateurs et bénéficiaires, en lien avec les associations et les acteurs socio-éducatifs. Nous sommes attentifs à ce que nos projets soient menés avec différents acteurs, auprès desquels nous jouons le rôle de tiers de confiance. Nous pouvons intervenir dans de nombreux domaines de l’intérêt général, car nous sommes au service de l’ensemble des acteurs et donateurs du territoire. Enfin, nous portons haut l’image de Lille et de notre région en France et dans le monde, en favorisant l’échange, le respect des cultures et le dialogue des territoires.

Une pluralité de missions

Une fondation territoriale intervient, par vocation, dans de nombreux domaines de l’intérêt général ; elle répond aux nécessités du territoire comme aux demandes de ses donateurs. Elle travaille toujours en lien avec de nombreux partenaires du territoire en favorisant la coconstruction.

Dès sa création, la Fondation de Lille a porté une mission sociale, qu’il s’agisse d’actions d’urgence auprès des personnes précaires en lien avec les services sociaux ou de promotion de l’égalité des chances par l’accès à l’éducation et à la formation. Les Bourses de l’Espoir sont l’action phare de la Fondation de Lille. Elles ont été créées en 2007, à l’initiative de Pierre Mauroy et du PDG, à l’époque, de la Banque Scalbert-Dupont (aujourd’hui CIC Nord Ouest), en lien avec six autres banques du territoire. Ces bourses s’adressent à des étudiants rencontrant des difficultés financières pour la poursuite ou la finalisation de leurs études, à des personnes en reprise de formation, ainsi qu’à des projets associatifs de lutte contre l’illettrisme, de réinsertion et de promotion de la citoyenneté. Le financement est assuré par du mécénat d’entreprise, avec un budget qui oscille entre 60 000 et 80 000 euros par an, voire plus. Pour cela, la Fondation de Lille travaille en lien très étroit avec les acteurs socio-éducatifs (CROUS, missions locales, agences Pôle emploi, services sociaux des écoles…). En 2020 et 2021, ces bourses ont beaucoup contribué à aider les étudiants fragilisés par la crise sanitaire. En 2020, nous avons reçu 120 dossiers, dont 64 ont été sélectionnés pour l’année scolaire 2021-2022, avec une dotation de plus de 120 000 euros au total. Les sommes versées aux étudiants constituent un coup de pouce financier à un moment crucial de leur parcours d’étude, permettant, ajouté à d’autres aides, de le mener à terme. Par leur action, animée par des bénévoles qui instruisent les dossiers, les Bourses de l’Espoir ont permis d’attribuer près de 900 000 euros à plus de 700 lauréats.

À l’issue de la sélection des lauréats, une cérémonie de remise des bourses a lieu, en présence des mécènes et des partenaires, dans un lieu prestigieux lillois. C’est là l’occasion pour nos mécènes et partenaires de rencontrer les lauréats, et pour les étudiants d’être mis à l’honneur.

Nous organisons également un prix littéraire francophone, créé par Pierre Mauroy et longtemps parrainé par l’académicien lillois, ancien ministre de la Francophonie, Alain Decaux. Ce prix, ouvert à tout auteur amateur de langue française âgé de plus de 15 ans, récompense tous les deux ans une dizaine de nouvelles, qui font alors l’objet d’une publication. Son grand lauréat reçoit une bourse de 600 euros et est invité à Lille. C’est l’écrivain lillois Michel Quint qui le parraine aujourd’hui. Lors de la septième édition, 830 nouvelles ont été reçues, issues de 58 pays, et lues par plus de 250 bénévoles passionnés de lecture et membres du jury.

La Fondation de Lille est aussi présente lorsque surviennent des catastrophes humanitaires ; elle lance alors des appels à la générosité et mutualise les fonds privés et publics sur son territoire. Les habitants du Nord peuvent ainsi témoigner de leur générosité en versant leurs dons à une organisation de confiance, puisque nous travaillons sur le terrain avec les ONG compétentes dans le ciblage des besoins. Depuis trente ans, nous sommes intervenus partout dans le monde : au Népal, après les séismes d’avril et de mai 2015 ; en Haïti, après le passage de l’ouragan Matthew, en octobre 2016 ; au Soudan du Sud, lors de la famine du printemps 2017 ; la même année, aux Antilles, frappées par l’ouragan Irma ; ou encore au Liban, en 2020.

Enfin, nous avons créé, en 2013, le Fonds Solidarité Climat, le premier fonds territorial dédié au climat en France, qui s’inspire de la démarche de compensation carbone. Un calculateur en ligne permet de compenser les émissions de gaz à effet de serre dégagées par les déplacements en avion effectués par les contributeurs, le prix de la tonne carbone ayant été fixé à 22 euros. Les dons collectés permettent de financer des projets d’associations en faveur du climat.

Abriter d’autres fondations

La capacité juridique d’abriter d’autres fondations est au cœur de notre développement stratégique. Il existe environ une centaine de fondations abritantes dans notre pays, dont la plus connue est la Fondation de France, qui abrite plusieurs centaines de fondations. Nous sommes plus modestes ! Nous proposons à des porteurs de projet – philanthropes, familles, associations, entreprises, collectivités territoriales – de gérer les fonds de leur action au sein d’un outil juridique sécurisé.

Les fondations que nous abritons bénéficient, par capillarité juridique, des avantages de la reconnaissance d’utilité publique. Une fondation abritée n’a pas de personnalité morale, puisque son action est menée sous l’égide juridique – régie par une convention de droit privé – de la fondation abritante. La fondation abritante est rémunérée pour l’abri qu’elle offre. Les fondations abritées mènent, elles aussi, des actions d’intérêt général dont l’objet social correspond à celui de la fondation abritante – cette dernière disposant, dans le comité exécutif de la fondation abritée, d’une voix consultative et d’un droit de veto.

Ainsi se crée un écosystème. La Fondation de Lille abrite, par exemple, la Fondation Toyota Valenciennes, dédiée à l’éducation, à la réinsertion et à l’environnement, mais aussi la Fondation du Temple du Quartier des Arts de Roubaix, qui a pour objet principal la préservation d’un patrimoine historique exceptionnel et mène des actions en faveur du lien social pour faire revivre un quartier défavorisé. Nous gérons aussi des fonds pour le compte d’organismes d’intérêt général à but non lucratif.

Enfin, nous abritons d’autres fondations territoriales en dehors de la région des Hauts-de-France. Notre objectif est d’encourager la création de ce type de fondations trop peu développé en France, avec l’espoir de créer un réseau de bonnes pratiques, d’acculturation au mécénat, de dialogue et de retours d’expérience.

Des fonds privés alimentant des partenariats public-privé

Le partenariat public-privé est très naturel pour la Fondation de Lille : dès le départ, il a été souhaité, car l’intérêt général est l’affaire de tous. Non seulement notre dotation statutaire est constituée de fonds privés, mais le financement de nos actions repose sur des partenariats entre public et privé.

Notre budget de fonctionnement est modeste puisqu’il s’élève à 141 000 euros pour l’exercice 2020, avec deux salariés en CDI, un apprenti pour la communication, un siège mis gracieusement à notre disposition par la ville de Lille, le concours de mécénats de compétences et, bien sûr, le bénévolat, cheville ouvrière de nos actions diverses. Les ressources de ce budget proviennent pour moitié de fonds publics attribués par quatre collectivités territoriales et pour moitié de fonds privés – dont la rémunération de la dotation –, de prestations de services et de dons.

Le montant affecté aux actions est, quant à lui, bien plus élevé, entre 500 000 et 700 000 euros chaque année. Prises dans leur globalité, nos actions sont financées, comme notre budget, à égalité entre contributeurs publics et privés. Les Bourses de l’Espoir dépendent du mécénat privé, tout comme notre fonds social d’urgence. Nos actions de solidarité internationale, comme le prix littéraire (auquel participent quelques dotations privées), sont majoritairement financées par des fonds publics.


Débat

Une nouveauté en France

Un intervenant : Pourquoi les fondations territoriales se sont-elles développées plus tardivement en France que dans le monde anglo-saxon ? N’est-ce pas dû à la prééminence de la puissance publique lorsqu’il s’agit d’intérêt général ?

Delphine Vandevoorde : En France, l’État a longtemps été l’unique garant de l’intérêt général. Depuis 1987, la loi encadre le statut des fondations reconnues d’utilité publique, qui ne dépend plus de la seule jurisprudence du Conseil d’État. Il existe aujourd’hui huit types de fondations. Traditionnellement, la France est un pays d’associations plus que de fondations. Sur les quelque 4 000 fondations françaises – en comptant les fonds de dotation, qui n’ont pas le droit de collecter des fonds publics –, environ 600 sont reconnues d’utilité publique. Sans doute les pouvoirs publics ont-ils longtemps conçu une certaine méfiance à l’égard des fondations. La notion de “fondation territoriale”, qui n’est pas un statut juridique, n’est pas naturellement inscrite dans la culture française, comme c’est le cas dans le monde anglo-saxon. La fondation territoriale nécessite de faire travailler ensemble des acteurs divers, de jouer un rôle de catalyseur et de collecter des ressources pour répondre aux besoins du territoire. Je pense que le contexte est désormais favorable au déploiement de ce type de fondation. Pour faire face aux crises actuelles, il est absolument nécessaire de s’allier et d’apporter des réponses pensées collectivement pour lutter contre les fragilités sociales et environnementales, au plus près des habitants.

Int. : Toutes sortes d’acteurs investissent localement les territoires, collectivités publiques – département, région, commune –, associations, entreprises… La Fondation des Territoires, validée par le cabinet du président de la République, sera lancée en juin. Elle permettra aux acteurs nationaux d’écouter la diversité des territoires…

D. V. : Nous sommes passés d’un devoir d’alliance entre les différents acteurs à une envie d’alliance et, très récemment, la crise sanitaire a constitué un accélérateur. La création de la Fondation des Territoires est un bon indicateur d’un changement de culture qui s’opère dans notre pays depuis quelques années. Il s’agit de donner de la visibilité aux actions menées à l’échelle locale, qui ne sont pas ou si peu valorisées. Selon moi, c’est un enjeu majeur pour affronter les différentes crises sociales et environnementales, mais également pour freiner la défiance des citoyens vis-à-vis des politiques.

En même temps, le travail d’alliance nécessite d’apprendre à travailler ensemble et de dépasser nos structures pour le bien commun. Il s’agit également de créer un langage commun en surpassant nos différences culturelles. Une association, une fondation, une entreprise ou une collectivité locale ne pensent pas l’action forcément de la même façon. Les référentiels ne sont pas toujours les mêmes. Par exemple, pour la notion d’intérêt général, en tant que dirigeante d’une fondation privée, je retiens la définition de l’administration fiscale, car elle implique une déduction fiscale. Si je représentais une collectivité territoriale, ma définition de l’intérêt général serait sans doute beaucoup plus large. Apprenons donc à faire ensemble.

Communauté et territoire : un lien mouvant

Int. : Quelle influence ont eu sur la Fondation la création de la nouvelle région, son agrandissement, la migration de certains services vers Amiens ?

D. V. : La région des Hauts-de-France est très grande, réunissant désormais cinq départements. Il est important de noter que la notion de territorialité n’est pas inscrite dans l’objet social de la Fondation de Lille. Il est certain qu’elle ne peut pas agir de la même façon sur l’ensemble de la région tout en restant dans la proximité. Nous avons pu adapter certaines de nos actions, comme celle des Bourses de l’Espoir, par exemple. Par contre, le problème ne se pose pas lorsqu’il s’agit d’abriter des fondations dépassant les frontières de la région.

Int. : Votre fondation collabore-t-elle avec les Maisons de services au public, déployées dans les cantons afin de faciliter l’accès des citoyens aux ressources administratives ?

D. V. : Non, pas directement, car il s’agit d’une démarche de l’État. Néanmoins, nous pouvons soutenir des microprojets qui facilitent l’accès aux droits. Nous avons, par exemple, financé un projet de “triporteur numérique” mis en place dans un quartier de Lille très défavorisé. Ce projet, porté par une maison de quartier, a impliqué des jeunes des quartiers et des étudiants de l’école d’ingénieurs Polytech. Ces jeunes, originaires de milieux divers, se sont unis pour créer un outil au service des publics les plus précaires afin de favoriser leur accès aux droits. Il s’agit là d’aller vers les gens, dans les cités, sur les marchés…

Int. : Des jeunes de moins de 25 ans sont-ils présents dans l’organisation de la Fondation ?

D. V. : Nous avons quelques jeunes gens parmi nos bénévoles, dont d’anciens lauréats des Bourses de l’Espoir, mais il est évidemment beaucoup plus difficile pour eux de dégager du temps que pour de jeunes retraités – dont les compétences nous sont par ailleurs d’une aide précieuse. Des étudiants, dans le cadre de projets d’étude, nous ont aidés de façon ponctuelle à mener certaines actions. Cela ne veut pas pour autant dire que les jeunes ne s’impliquent pas. C’est à nous d’essayer de les impliquer.

En 2020, lors de la crise sanitaire, des ateliers solidaires ont été mis en place par l’École de la Deuxième Chance de l’Artois, qui accompagne des jeunes de 16 à 27 ans : fabrication de masques, de blouses pédiatriques, création de prothèses en 3D… Les jeunes en formation en ont formé d’autres – enfant handicapés, jeunes des villages… D’aidés, ils sont devenus aidants. La Fondation de Lille s’est engagée financièrement auprès de ces ateliers pour l’année 2022.

Renforcer l’intérêt général dans l’écologie des entreprises

Int. : Des entreprises prennent-elles contact avec vous pour établir leur stratégie RSE ? Avez-vous des relations avec les grandes fondations d’entreprise ?

D. V. : C’est une tendance qui se développe. Nous avons ainsi passé des conventions avec des entreprises donatrices – notre reconnaissance d’utilité publique et l’aspect multi-causes de la Fondation sont à cet égard des points forts – pour des actions climatiques et environnementales, pour les Bourses de l’Espoir, pour notre Fonds de Solidarité Étudiant… La Fondation de Lille n’a jamais organisé de collectes professionnelles avec des sociétés spécialisées dans la levée de fonds, mais notre notoriété s’est aujourd’hui renforcée et des entreprises viennent spontanément vers nous.

Nous pouvons collaborer ponctuellement avec une fondation d’entreprise, dans le cofinancement d’une action, ou nous pouvons en recevoir des fonds – la Fondation d’entreprise Caisse d’Épargne Hauts-de-France participe au financement des Bourses de l’Espoir, par exemple. Les entreprises qui veulent faire participer activement leurs salariés à leur politique RSE cherchent des actions de proximité.

Int. : Organisez-vous des rencontres entre demandeurs dans le territoire et porteurs des projets que vous supportez ?

D. V. : Vous venez de me donner une bonne idée ! Nous y avons déjà pensé collectivement avec d’autres structures, mais cela n’a pas abouti. Il n’y a donc pas de réunions formelles et nous fonctionnons plus par réseaux, ces derniers ayant un effet levier du fait de notre identité et de notre notoriété. Un premier financement de la Fondation de Lille est une bonne carte de visite.

Int. : Avez-vous réalisé une cartographie de vos porteurs de projets, des jeunes, des primo-accédants à la vie active, des personnes qui cherchent à se reconvertir ou à se dégager d’une vie professionnelle contraignante ?

D. V. : Nous essayons de suivre les parcours des lauréats des Bourses de l’Espoir, mais c’est une tâche compliquée, car ces parcours sont extrêmement variés et les anciens étudiants, qui ont fréquenté toutes sortes d’établissements, se sont disséminés dans toutes les branches d’activité. Par manque de ressources humaines, nous n’avons pas réalisé de cartographie au vrai sens du terme. Cela nous serait pourtant très utile pour valoriser l’impact de nos actions.

Valoriser et financer l’expertise

Int. : Le trait principal d’une fondation territoriale me semble être sa capacité à fédérer et à créer du lien. Quelles en sont les conséquences sur vos choix stratégiques de développement ?

D. V. : Il est très difficile d’obtenir des fonds pour le financement de l’ingénierie et la mise en œuvre de l’interconnaissance. Les bailleurs de fonds préfèrent souvent financer des actions. Je pense que cela a également été un frein au développement des fondations territoriales en France.

C’est pourtant une activité non négligeable à la Fondation. Le tissu associatif de nos territoires est très dense, ce qui crée une certaine concurrence, notamment pour la collecte des fonds. Le développement de la Fondation passera par la valorisation de notre capacité de médiation et de mise en réseau, mais aussi de la qualité de notre expertise, de notre fonction de conseil, par ailleurs largement reconnue.

Int. : On indique généralement aux donateurs le ratio de frais administratifs sur leurs dons. C’est une idée redoutable, car elle laisse entendre que la structure qui prend en charge l’ingénierie de l’action constituerait une évasion nuisible des fonds des donateurs… Certaines associations en sont mortes…

D. V. : Les frais de gestion des fondations ou associations sont inévitables et ne doivent en aucun cas constituer un tabou. Nous devons assumer des charges et gérer les dons de manière professionnelle – ce qui exige les compétences professionnelles adéquates. Nous pouvons rendre compte de chaque centime utilisé, que les fonds soient publics ou privés !

Lors de la crise sanitaire, les collectes ont été très nombreuses dans la métropole lilloise, mais certaines associations n’ont pas toujours rendu compte de l’utilisation des fonds – ce qui ne signifie nullement qu’elles n’en ont pas fait bon usage ! La Fondation de Lille, en tant que fondation territoriale reconnue d’utilité publique et abritante, peut jouer un rôle de plateforme de gestion et de redistribution des fonds. Elle peut aussi libérer les associations du travail de collecte.

Int. : Le statut de fondation abritante vous permet-il d’améliorer vos financements ?

D. V. : Nous avons reçu l’habilitation en 2008 et avons pris le temps de nous former à ce métier, car nous avons la responsabilité juridique et morale des fondations que nous abritons. Nous ne souhaitons pas que des frais de gestion trop élevés soient un frein à la création de fondations sous notre égide. Par exemple, la Fondation Toyota Valenciennes – créée par l’usine de production locale – ne disposait au départ que d’un budget modeste, auquel nous avons adapté nos frais de gestion. Grâce à cela, cette fondation a pu démarrer et augmenter progressivement son budget. Notre but demeure de faire émerger des projets qui pourront, éventuellement, prendre de l’ampleur. Nous ne cherchons pas à nous rémunérer par notre fonction abritante. Ce ne serait pas sain. Il s’agit de faire payer au juste prix les services rendus par la Fondation de Lille. Toutefois, comme nous souhaitons nous développer, il faudra trouver un juste équilibre et réfléchir à un modèle économique adapté.

Int. : Comment valoriser l’action des bénévoles, qui crée un fort effet de levier ?

D. V. : Beaucoup de bénévoles, aux profils variés, interviennent à nos côtés, à différents niveaux de nos actions et pour le fonctionnement de notre Fondation. À côté de la valorisation comptable, nous travaillons à les impliquer, à leur donner des responsabilités. Ils sont une vraie force de la Fondation.

Lorsque nous nous sommes rendus au Canada francophone pour visiter des fondations communautaires, dont la Fondation du Grand Montréal, nous y avons constaté le rôle primordial des bénévoles qualifiés. Ces fondations communautaires gèrent parfois plusieurs centaines de fondations et parviennent à le faire avec seulement cinq ou six salariés, de nombreux bénévoles et des outils informatiques. Elles peuvent représenter un exemple du “juste équilibre” que nous cherchons.

Tiers de confiance et médiateur

Int. : Vous abritez la Fondation Territoire de Falaise – Cœur de Normandie, dont le territoire est celui d’une ville beaucoup moins importante. Quel est son projet ? En somme, quel est le rapport d’une fondation territoriale avec la taille de son territoire, et de celle-ci avec les fonds dont ce territoire dispose en dehors de ceux que peut rassembler une telle fondation, notamment les fonds détenus – et employés – par les pouvoirs publics ?

D. V. : Lorsque nous accueillons une fondation territoriale, nous veillons à différentes choses. Il est nécessaire que son action territoriale ne soit pas trop restreinte géographiquement (la Fondation Territoire de Falaise – Cœur de Normandie dépasse la seule ville de Falaise) et que ses objectifs ne soient pas redondants avec ceux des structures existantes. La fondation Territoire de Falaise – Cœur de Normandie a été créée par la municipalité, mais aucun élu n’a de voix délibérative au sein de son comité exécutif. Son objectif était d’apporter une aide à des projets liés au rayonnement de la ville, dont le patrimoine historique, avec le château de Guillaume le Conquérant, est important, mais insuffisamment valorisé au niveau national. Les actions consistent, pour le moment, à soutenir des microprojets principalement autour du vivre-ensemble – des jardins partagés, par exemple – et menés en collaboration étroite avec des associations et les habitants. C’est aussi une façon d’organiser une sociabilité forte, dans un contexte où les intervenants traditionnels sont parfois rivaux, de constituer un tiers de confiance, un terrain neutre et de rencontre de ces intervenants.

Int. : La question du tiers de confiance revient aussi dans celle de la sécurisation des dons défiscalisés…

D. V. : La reconnaissance d’utilité publique nous permet de défiscaliser les dons reçus et nous oblige à une gestion rigoureuse des fonds. Les associations ne sont pas toujours très à l’aise avec les règles de défiscalisation. Cela fait partie de notre rôle de vérifier que les actions financées grâce aux fonds privés sont bien à but non lucratif et entrent dans la définition fiscale de l’intérêt général. C’est un confort et une sécurité pour les fondations abritées comme pour les associations partenaires, qui, par nous, accèdent à une culture du mécénat.

Int. : Vous menez probablement de nombreuses actions de lutte contre la pauvreté et la précarité dans une région que n’ont pas épargnée les crises sociales. Avez-vous des actions en direction des réfugiés ? Collaborer avec vous intéresserait probablement une association comme each One, par exemple1.

D. V. : La Fondation de Lille est effectivement fortement engagée dans les actions sociales en faveur des personnes en situation précaire ou modeste – avec notre fonds social, l’action des Bourses de l’Espoir, le Fonds de Solidarité Étudiant. Même si notre région se réinvente et est très dynamique, il existe de très grandes disparités géographiques. Dans l’ancien bassin minier, par exemple, la population vit sous le seuil de pauvreté, les jeunes ont plus de mal que dans le reste de la France à entrer dans le monde du travail et le nombre de boursiers est au-dessus de la moyenne nationale. De nombreuses associations d’aide à la personne, comme le Secours populaire français ou les Restos du cœur, sont présentes à leurs côtés et font un travail essentiel et remarquable.

La Fondation a ponctuellement mené des actions vis-à-vis de réfugiés ou de migrants. En août 2021, la maire de Lille, Martine Aubry, s’est beaucoup investie dans l’accueil de réfugiés afghans. Une cinquantaine de familles ont ainsi été hébergées à Lille, et Martine Aubry nous a proposé de nous associer à cette opération. Dans ce cadre, nous avons lancé une collecte de fonds.

Quelques années plus tôt, en 2016, après le démantèlement du camp de migrants du jardin des Olieux, nous avions tenu le rôle de médiateur, dans un contexte plus tendu. Nous avions mobilisé les commerçants pour apporter de l’aide alimentaire en lien avec le Secours Populaire Français. Notre président, Didier Delmotte – qui est un spécialiste de la médiation dans le secteur de la santé –, avait alors permis de réunir des acteurs aux voix discordantes et d’organiser des collectes.

Int. : Votre expertise vous permet aussi d’être un tiers de confiance pour des questions financières ou de gestion. La confiance dont jouit la Fondation de Lille s’est ainsi traduite dans le domaine du logement social…

D. V. : Aux côtés de la ville de Lille, de la Métropole Européenne de Lille et de la Fédération des promoteurs immobiliers, la Fondation a participé à la création du premier organisme de foncier solidaire (OFS) créé dans la métropole lilloise, permettant l’accession abordable et durable à la propriété. Le principe de l’OFS repose sur la dissociation du bâti et du terrain. L’OFS est propriétaire du terrain et les bénéficiaires sont propriétaires du bâti. Ces derniers sont sélectionnés sur des critères de ressources. Pour certaines opérations immobilières, ce système permet de diviser par deux le prix des appartements en plein centre de Lille. Grâce à l’OFS, la mixité sociale et l’égalité territoriale dans l’accès à la propriété sont favorisés et la valeur du foncier est sanctuarisée, évitant ainsi les plus-values participant à la flambée des prix. C’est une collaboration public-privé, avec les collectivités territoriales et les promoteurs, dans laquelle nous avons joué le rôle de tiers de confiance neutre. L’OFS de la métropole lilloise a pris la forme d’une association dont la présidence a été confiée à la Fondation de Lille jusqu’en juillet 2021, représentée par Charles Proy, son secrétaire général.

Charles Proy : La présidence de l’OFS a ensuite été confiée à Michel Bonord, président de la fondation Renaissance du Lille ancien, abritée par la Fondation de Lille, qui perpétue l’esprit de neutralité bienveillante.

1. Théo Scubla « Comment each One mobilise pour intégrer les réfugiés », séminaire Économie et sens, séance du 6 janvier 2021.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

François BOISIVON