Exposés

Introduction

Julie Dautriche : Après avoir connu un important développement pendant la période des trente glorieuses, un certain nombre de sites industriels sont devenus des friches ou ont été employés à d’autres fonctions. Or, la crise sanitaire de la Covid-19 a mis en évidence la fragilité des chaînes de valeur mondialisées et des sources d’approvisionnement, ce qui a fait émerger des enjeux de souveraineté industrielle. C’est dans ce contexte qu’en 2020, le Gouvernement a créé le label Sites industriels de demain, accordé à 127 sites, dont 94 se trouvaient dans des territoires couverts par le programme Territoires d’industrie.

La particularité des Sites industriels de demain est de bénéficier de délais d’implantation réduits (entre six et douze mois) grâce à l’anticipation des procédures administratives, environnementales, archéologiques, ou encore urbanistiques, ce qui constitue un facteur important d’attractivité dans la perspective de maintenir ou de relocaliser des activités industrielles en France. Or, l’aménagement de ces sites clés en main doit également tenir compte des enjeux de transition écologique et numérique, de l’évolution des modes de vie, ou encore des contraintes du ZAN (zéro artificialisation nette).

C’est avec cette ambition que le pôle Prospective de l’ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires) et le programme Territoires d’industrie ont lancé, en février 2021, la Fabrique Prospective Sites industriels de demain pour accompagner 8 EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), grâce à un cofinancement de la Banque des Territoires, et en partenariat avec Intercommunalités de France et le CEREMA (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement).

Benoît Mangenot : Compte tenu de l’objectif ZAN, le foncier productif devient de plus en plus rare et il faut donc envisager non seulement de recycler les friches industrielles, mais aussi de réinventer les zones d’activité en les densifiant, en intensifiant leurs usages et en y développant de nouvelles activités.

Par ailleurs, ces zones d’activité doivent désormais proposer toute une gamme de nouveaux services pour mieux répondre aux besoins des industriels (par exemple, avec des démarches d’économie circulaire), mais aussi à ceux des salariés, car un des enjeux de la réindustrialisation est d’attirer les jeunes et les moins jeunes vers les métiers de l’industrie.

Ces deux aspects, que nous avons approfondis pendant un an et demi avec les différents partenaires de la Fabrique Prospective Sites industriels de demain, nous ont fait prendre conscience que les sites industriels sont vraiment à la croisée des défis : réindustrialisation, sobriété foncière, transition écologique, attractivité de l’industrie française à l’international et attractivité des métiers de l’industrie dans notre pays. En retour, ce travail enrichit notre réflexion sur la suite à donner au programme Territoires d’industrie.

François Blouvac : La Banque des Territoires a accompagné cet exercice très riche avec la conviction, étayée par les contacts que nous avons avec les industriels, les collectivités territoriales et les gestionnaires de sites, que, si nous voulons continuer à réindustrialiser notre pays, nous devons, dans un contexte de rareté du foncier, trouver des solutions pour renforcer l’attractivité des zones industrielles tout en respectant les ambitions de non-artificialisation.

Pour cela, outre l’effort de création de sites industriels clés en main, il est nécessaire de mieux renseigner les investisseurs sur le foncier existant et disponible, ce qui nous a conduits à mettre en place l’outil DataViz Territoires d’industrie, en lien avec Business France, agence chargée de commercialiser les sites clés en main à l’étranger. Nous souhaiterions désormais élargir cette cartographie à d’autres sites industriels, en nous appuyant sur les EPCI et les régions. Aujourd’hui, l’attractivité ne peut plus reposer uniquement sur la géographie (« Notre zone industrielle est située au carrefour de l’Europe… »). Elle dépend de la façon dont l’écosystème est mobilisé (partenaires industriels, fournisseurs permettant de diversifier la chaîne d’approvisionnement, disponibilité des compétences, services permettant d’améliorer les process industriels, etc.).

Un deuxième axe, au cœur de la Fabrique Prospective, est l’amélioration qualitative des services proposés en matière d’aménités (conciergerie, restauration collective, services à la personne…), mais aussi d’utilités (fourniture d’énergie propre, gestion des déchets, 5G, data centers à l’échelle des zones industrielles, solutions de mobilité pour éviter que le foncier soit trop largement occupé par des parkings…), ainsi que l’élaboration d’un modèle économique, à terme, pour ces différentes offres.

Les thèmes de travail de la Fabrique Prospective

Julie Dautriche : Le dispositif des Fabriques Prospectives, créé en 2018, a pour objectif d’accompagner individuellement et collectivement entre 4 et 8 territoires sur un sujet de transition (écologique, économique, démographique, concernant les modes de vie, etc.).

La Fabrique Prospective Sites industriels de demain a assuré l’accompagnement de 8 intercommunalités (déjà couvertes par le programme Territoires d’industrie) de façon à la fois individuelle et collective, dans l’identification de pistes d’aménagement et de gestion de leurs sites clés en main. Ces intercommunalités sont la CC (communauté de communes) du pays du Coquelicot pour le site Henry Potez, la CA (communauté d’agglomération) Melun Val de Seine pour le site Tertre de Montereau, la CC Vierzon-Sologne-Berry pour le Parc technologique de Sologne, la CA Provence Alpes Agglomération pour la plateforme Arkema, la CA du Gard Rhodanien pour l’OZE (Occitanie zones économiques) Marcel Boiteux, la CA du Niortais pour le site Les Pierrailleuses, la CC de Vie et Boulogne pour l’Espace Vie Atlantique, la CA Lannion-Trégor Communauté pour l’Orange Labs Nord.

Chacune des intercommunalités était représentée par un binôme référent composé d’un élu et d’un technicien. Il s’agissait du vice-président du développement économique et du directeur du développement économique ou du directeur de l’aménagement du territoire. Chaque référent élu a constitué un groupe de travail local composé d’au moins un tiers d’industriels, mais aussi de représentants des services de l’État, des chambres de commerce et de l’industrie, d’associations environnementales, etc. Le prestataire sélectionné pour l’animation de cette démarche, Ramboll, a accompagné ces groupes de travail à la fois sur leur vision à long terme pour les quatre enjeux identifiés (mutabilité et réversibilité des sites, évolution et conciliation des usages, transition écologique, gouvernance et animation des sites) et sur l’élaboration d’une feuille de route opérationnelle avec des actions à mener à court et moyen terme pour mettre en œuvre cette vision.

Par exemple, pour la CC du pays du Coquelicot, où le secteur de l’aéronautique est dominant et qui, pour cette raison, a été très touchée par la crise de la Covid-19, l’enjeu était de définir des orientations d’aménagement pour le site (notamment l’insertion paysagère), de le reconnecter avec le centre-ville et de l’animer. Pour la CA du Niortais, dont le site Les Pierrailleuses, implanté dans une zone Natura 2000, implique le respect de nombreuses réglementations, le programme de travail a porté essentiellement sur la création d’une association de site afin de traiter les questions de mobilité et de gestion des déchets. Pour la CA Melun Val de Seine, dont le site Tertre de Montereau est un peu excentré, il s’agissait de développer des services, d’améliorer l’accès et de créer des espaces de convivialité. Le Groupe Orange ayant progressivement cédé l’Orange Labs Nord à la CA Lannion-Trégor Communauté, cette dernière devait élaborer une vision pour une reconversion du bâti qui soit exemplaire sur le plan esthétique, sur celui du cadre de vie, mais aussi sur le plan écologique, et fasse le lien avec le futur campus prévu sur la zone. Pour la plateforme Arkema, située dans la CA Provence Alpes Agglomération et dédiée à la chimie, le travail a porté sur la formation et le recrutement, mais aussi sur l’optimisation du foncier pour accueillir des activités économiques correspondant aux réglementations sécuritaires. Pour la CA du Gard Rhodanien, l’enjeu était de clarifier les conditions d’implantation des entreprises sur l’OZE Marcel Boiteux, accolée au site nucléaire de Marcoule et dont une partie est sous bail emphytéotique du CEA, ainsi que de renforcer l’attractivité et l’accessibilité du site.

Je laisserai Antoine Poupelin et Boris René présenter respectivement les thèmes de travail de la CC Vie et Boulogne et de la CC Vierzon-Sologne-Berry.

Quelques enseignements sur les principaux axes de travail

La question de la mutabilité et de la réversibilité du bâti et du foncier a été traitée essentiellement du point de vue de la reconversion du bâti vacant, et beaucoup moins dans une approche proactive consistant à éviter l’enfrichement et à anticiper les vies futures des bâtiments dans une gestion dynamique. Clairement, il s’agit de la thématique dont les intercommunalités ont eu le plus de mal à s’emparer, à l’exception de la CC Vierzon-Sologne-Berry.

Le thème de l’évolution et de la conciliation des usages a été traité, tout d’abord, du point de vue des fonctions économiques avec, notamment, la question de la spécialisation ou, au contraire, de la diversification des activités, ainsi que des conflits d’usages potentiels, en particulier dans le cas de l’OZE Marcel Boiteux et de la plateforme Arkema. Ce thème a également été abordé du point de vue du développement d’une offre de services en complémentarité avec l’offre existant en centre-ville, avec la volonté d’améliorer le cadre de travail des salariés du site industriel, sans pour autant faire concurrence aux commerçants déjà présents.

Dans de nombreux sites, la question de la transition écologique a été abordée à la fois sur le plan de la qualité paysagère et environnementale, sur le plan de la biodiversité, mais aussi avec une approche de gestion économe du foncier, avec une optimisation du site par l’organisation des activités économiques et industrielles. Ont également été abordées les questions de production locale d’énergie et de décarbonation, ou encore de gestion collective des déchets pour tendre vers une démarche d’économie circulaire.

En ce qui concerne le thème de la gouvernance et de l’animation des sites, l’expérience de la Fabrique Prospective a représenté, en elle-même, une contribution à la réflexion, dans la mesure où elle réunissait des acteurs à la fois publics et privés, des aménageurs et des utilisateurs, avec notamment des entreprises pionnières qui ont lancé de nouveaux types de services (par exemple, des colocations pour les salariés ou des livraisons mutualisées). Dans certains cas, la démarche a abouti à la création formelle d’une association de zone, ou à des modes de gouvernance plus informels, motivés par les bénéfices de la mutualisation, qui ont permis de redynamiser l’animation des sites.

L’expérience de la CC Vierzon-Sologne-Berry

Boris René : Vierzon, située à 1 h 45 de Paris, bénéficie d’un positionnement géographique idéal, grâce à la proximité immédiate des échangeurs autoroutiers de l’A71, l’A20 et l’A85, ainsi que du carrefour ferroviaire entre la ligne Paris-Toulouse et l’axe transeuropéen Nantes-Vierzon-Lyon-Turin. Malgré ces atouts, les industries du transport et de la logistique ont délaissé Vierzon pendant des années et, après un passé glorieux dans l’industrie métallurgique agricole, cette ville s’est retrouvée démunie lorsque cette activité a été délocalisée. Les zones d’activité industrielle de Vierzon comprennent désormais des friches assez conséquentes. Dans un contexte de raréfaction du foncier, les entreprises du transport et de la logistique sont en train de s’intéresser à nouveau à Vierzon, en raison de la présence de terrains disponibles et du fait que nous sommes « près de tout et loin de rien ».

L’un des enjeux majeurs de la communauté de communes Vierzon-Sologne-Berry, qui comprend 16 communes représentant 39 000 habitants, est de se réapproprier les bâtiments industriels en friche pour les remettre à niveau et les recommercialiser en leur trouvant de nouvelles destinations. Ayant tiré les leçons du passé et d’une trop grande spécialisation dans un seul secteur, nous nous efforçons de diversifier notre offre, aussi bien en matière de terrains que de bâtiments.

La CC a décidé d’appliquer la démarche de la Fabrique Prospective au Parc technologique de Sologne, créé en 2008, qui s’étend sur 87 hectares et qui est bordé, au sud, par l’autoroute A71 et, au nord, par la forêt domaniale de Vierzon, d’une surface de 4 700 hectares.

Le Parc a été divisé en six zones correspondant à des phases successives d’aménagement. Il est aujourd’hui presque entièrement commercialisé, avec deux entreprises importantes déjà implantées, la licorne Ledger, spécialisée dans la sécurisation des cryptoactifs, et la société Virtuo, qui porte un gros projet de centrale logistricielle. La société Jacobi, qui souhaite réinternaliser une activité qu’elle sous-traitait, envisage également de s’y implanter. Ces projets très différents vont nous apporter à la fois de la sérénité en matière d’emplois et une visibilité sur le long terme. Les trois industriels concernés se sont fortement engagés dans la démarche de la Fabrique Prospective.

La première zone d’aménagement du parc, d’une surface de 10 hectares, a été commercialisée à partir de 2013 et comprend un complexe hôtelier et de restauration dédié aux entreprises, mais aussi aux usagers de l’autoroute, grâce à l’échangeur tout proche. La zone 2 correspond à des services annexes à la logistique, dédiés aux poids lourds (lavage de camions, station gaz et hydrogène…). Les zones 3 et 6 sont occupées par Virtuo, et la zone 4 est réservée à Jacobi. La zone 5 est destinée à compenser l’artificialisation des sols par un espace qui sera sacralisé en tant que “pont vert” et sera confié à une société chargée d’en assurer la gestion et de redonner vie à ce terrain.

Victor Teixeira : Les quatre séminaires organisés localement ont réuni entre 20 et 25 participants, dont un bon tiers de chefs d’entreprise, la sous-préfète de Vierzon, le service Urbanisme de la collectivité, ou encore les directeurs d’établissements scolaires.

Trois grandes priorités se sont dégagées de ces travaux. La première, « Renforcer l’accès au centre-ville, notamment à travers des solutions de mobilités plus vertueuses », se décline en plusieurs propositions, dont certaines vont pouvoir être réalisées rapidement et d’autres prendront plus de temps pour des raisons budgétaires : installer des box de stockage pour vélos et trottinettes, prolonger la ligne de bus pour faire le lien avec la gare, mettre en place des mécanismes incitatifs en faveur des modes de transport propres, sécuriser et éclairer les voies avec un balisage adapté aux cyclistes.

Pour la deuxième priorité, « Renforcer la qualité du cadre de vie », les propositions consistent à améliorer les espaces extérieurs existants, mettre en place une crèche interentreprise (ce sujet avait déjà été évoqué il y a quelques années, mais le nombre de salariés n’était alors pas suffisant pour l’envisager), mutualiser certaines fonctions entre entreprises, se servir d’applications (par exemple un groupe WhatsApp) pour favoriser le partage d’informations, mettre en place une offre de restauration, proposer une vente de paniers de légumes aux salariés de la zone.

La troisième priorité, « Prendre en compte la mutabilité dans la gestion du foncier et de l’immobilier », passe par le fait d’étudier les besoins en matière de foncier et d’immobilier, d’inclure le principe de mutabilité dans l’évaluation des offres des porteurs de projet et de sensibiliser les entreprises à la qualité des bâtiments, y compris par des prescriptions architecturales et paysagères dans le cahier des charges annexé au permis de construire et, enfin, de “renaturer” certains espaces du Parc technologique de Sologne.

L’expérience de la CC Vie et Boulogne

Antoine Poupelin : La communauté de commune Vie et Boulogne, située en Vendée, rassemble 15 communes et environ 45 000 habitants, avec une progression démographique, à la fois endogène et exogène, d’environ 500 habitants par an. La zone industrielle Espace Vie Atlantique (EVA) se trouve en périphérie d’Aizenay, sur l’axe La Rochelle – Saint-Nazaire. Elle a été créée en 2004 sur une surface de 40 hectares, et elle est dédiée à diverses activités : transport, logistique, artisans, pépinière d’entreprises. Nous avons identifié trois actions à y mener en priorité.

Développer une offre de service pour EVA

La première action consiste à développer une offre de services, à commencer par la restauration, car, actuellement, il n’existe aucun restaurant sur la zone d’activité, et les restaurants ou traiteurs présents sur la commune sont très peu à proposer la livraison des repas. Un groupe composé de plus d’un tiers d’entreprises, d’un peu moins d’un tiers d’élus ainsi que de quelques techniciens et partenaires a travaillé sur cette question avec l’aide du cabinet Ramboll. Au départ, les élus étaient plutôt enclins à renforcer l’offre de restauration du centre-ville et à créer, sur la zone, deux espaces de pique-nique abrités et sécurisés, avec un cheminement piétonnier le long d’une trame verte végétalisée. Ces aménagements seront réalisés d’ici l’été prochain. Au fil des discussions, nous avons également commencé à travailler sur un projet de brasserie sur la zone.

La deuxième offre de services concerne les loisirs et le sport, sous la forme de tournois interentreprises avec utilisation d’une salle multisport située à proximité, et de challenges sportifs comme l’Indus’Run, une course à vocation caritative qui regroupe les entreprises volontaires. Nous allons également créer et valoriser un circuit pédestre traversant la partie sud de la zone, qui pourra être utilisé par les salariés durant la pause de midi.

Nous avons envisagé de mutualiser les visites médicales obligatoires de la médecine du travail en les organisant sur une même période et dans un même lieu pour les salariés des entreprises de la zone, afin de leur éviter de se déplacer à La Roche-sur-Yon. Nous nous sommes heurtés à un refus en raison de la pénurie de médecins du travail, mais nous étudions désormais la possibilité de recourir à des infirmières pour certaines de ces visites médicales.

Toujours dans l’offre de service, nous avons pris conscience que la qualité paysagère et le cadre naturel comptent parmi les grands atouts du pôle EVA. Sachant que la biodiversité a chuté de 40 % en trente ans pour les espèces des milieux agricoles, qu’une grande partie des haies bocagères a disparu et que la qualité des cours d’eau se dégrade rapidement, nous avons décidé d’améliorer les aménagements et la gestion des espaces verts au sein de la zone. Nous avons contractualisé avec la LPO (Ligue de protection des oiseaux) pour accompagner le réaménagement de tous les espaces verts publics de la communauté de communes et nous avons proposé un accompagnement individuel aux entreprises pour une meilleure gestion de leurs propres espaces. Pour ces dernières, l’intérêt est non seulement d’améliorer leurs pratiques, mais aussi d’économiser sur les frais de gestion, de valoriser leur site et leur image, d’impliquer les salariés et, enfin, d’obtenir des résultats mesurables sur l’amélioration de la biodiversité et de la qualité de l’eau.

Un cinquième domaine est celui de l’offre énergétique, thème devenu prioritaire ces derniers temps. En 2022, nous avons accompagné une douzaine d’entreprises de la zone EVA dans leurs actions de maîtrise énergétique, à travers trois ateliers animés par une association et consacrés à la mise en œuvre d’un projet énergie – avec rédaction d’une feuille de route –, à la mesure et au pilotage des performances énergétiques, à la sensibilisation et à la communication sur la transition énergétique de l’entreprise. Il est plus facile, pour une entreprise, de prendre conscience de sa consommation d’eau (on voit un robinet couler et on le ferme) que de sa consommation d’énergie, celle-ci étant beaucoup plus diffuse, mais les possibilités d’économie sont considérables et bénéficient à la fois à l’environnement et à l’entreprise. Cette opération ayant été un succès, nous allons la renouveler l’an prochain.

Gérer localement les déchets professionnels

Notre deuxième axe prioritaire concerne la gestion des déchets professionnels. En principe, les communautés de communes sont compétentes seulement pour les déchets ménagers et assimilés (petit tertiaire, petit commerce). La déchetterie actuelle d’Aizenay étant obsolète, nous avons décidé d’en construire une nouvelle sur la zone EVA, qui offrait plusieurs atouts : infrastructures existantes, accessibilité, éloignement des habitations, possibilité de lancer rapidement le projet. La mise en service de la nouvelle déchetterie est prévue pour septembre 2023. Cette démarche a fait émerger, en parallèle, un projet privé complémentaire de “matériauthèque” et de déchetterie professionnelle, que nous allons soutenir activement.

Faciliter l’animation et la gestion de la zone

Le troisième axe porte sur l’animation et la gestion de la zone. Dans ce domaine, nous nous heurtons à un paradoxe : tous les acteurs industriels souhaitent mieux communiquer entre eux et coordonner leurs actions, mais nous avons du mal à trouver, parmi eux, des volontaires pour être les référents des différentes zones vis-à-vis de l’Administration. Nous allons donc probablement nous orienter vers des dispositifs légers, tels qu’une réunion annuelle ou bisannuelle pour chaque zone d’activité (en plus du suivi des projets en cours), des groupes WhatsApp par zone, etc. Une chose est sûre : compte tenu de la raréfaction des terrains, l’animation des zones industrielles, leur gestion patrimoniale et leur optimisation vont constituer des enjeux importants.

L’accompagnement national et collectif

Julie Dautriche : À côté des séminaires organisés localement, l’équipe de la Fabrique Prospective, les 8 territoires et les partenaires nationaux (Intercommunalités de France, Banque des Territoires et CEREMA) se sont réunis à l’occasion de quatre rencontres nationales. L’objectif était de partager les expériences, d’identifier les besoins des EPCI au regard des quatre axes définis comme prioritaires, et de coconstruire des outils méthodologiques pouvant servir à l’ensemble des intercommunalités.

Les besoins exprimés par les intercommunalités

Sur le thème de la mutabilité et de la réversibilité des bâtiments, les intercommunalités ont exprimé le besoin de traduire le concept en exemples concrets grâce à des démonstrateurs, de mobiliser des architectes pour réfléchir à ce que pourrait être ce type de bâtiment, d’accompagner les EPCI dans la rédaction des cahiers des clauses particulières intégrant ces concepts. En ce qui concerne la mutabilité du foncier, les participants ont souhaité être accompagnés dans la recomposition des espaces économiques des territoires et notamment dans l’orientation des activités vers les centres-villes ou vers des localisations excentrées.

En matière d’évolution et de conciliation des usages, les intercommunalités ont besoin d’être aidées pour prioriser les fonctions économiques (activités “banales” et activités présentant des niveaux de risques ou de nuisances) et les usages selon la localisation géographique dans les documents d’urbanisme. De même, les EPCI ont soulevé le besoin d’être accompagnés dans le déploiement d’une offre de services intégrée et optimisée, avec des solutions mutualisées de mobilité décarbonée, de restauration, ou encore d’aménagements à usage récréatif.

Dans le domaine de la transition écologique, a émergé le besoin de mettre en place des incitations fiscales ou des dotations en faveur de la transition énergétique et de la sobriété foncière des entreprises et des EPCI. Elles souhaiteraient que l’analyse du potentiel énergétique des zones d’activité économique (ZAE) et l’accompagnement des entreprises pour améliorer l’efficacité et l’autonomie énergétiques de leurs bâtiments soient systématisés.

Enfin, pour ce qui est de la gouvernance et de l’animation des sites, le besoin porte sur l’élargissement de l’animation des ZAE pour que, au-delà de la prospection économique, celle-ci prenne également en compte les enjeux d’aménagement durable, ce qui nécessite de former et de faire monter en compétence les élus et les agents concernés.

Des outils méthodologiques coconstruits

Au regard de ces besoins, quelques outils méthodologiques ont été coconstruits : la check-list de l’aménageur de ZAE (« Le concept de mutabilité-réversibilité a-t-il bien été intégré au cahier des charges ? Qu’en est-il de l’accessibilité du site ? Quelle offre de restauration doit être mise en place ? ») ; le portrait-robot du site industriel idéal de demain (intégré dans son environnement urbain et naturel, connecté et accessible, plus mixte, agréable et attractif, optimisé, bas carbone, réversible et mutable, circulaire, collaboratif, positionné et visible) ; le diagramme de qualification des besoins d’ingénierie des territoires pour créer les sites industriels de demain, en fonction de la complexité des projets et des ressources déjà présentes.

Une publication, prévue pour la fin de l’année 2022, doit restituer tous ces enseignements et détailler les trois outils méthodologiques.

La suite du programme

Benoît Mangenot : Les travaux menés par la Fabrique Prospective Sites industriels de demain semblent en bonne voie pour aboutir à des résultats concrets sur les 8 sites concernés. Nous espérons que la publication évoquée précédemment apportera des éclairages à d’autres territoires pour les aider à requalifier leurs zones d’activités industrielles.

Cette démarche nous a permis de partager des constats avec les acteurs de terrain et, dans le cadre de la deuxième phase du programme Territoires d’industrie (2023-2026), nous réfléchissons à une nouvelle offre de services, au sein de laquelle la question du foncier et celle de la transition écologique occuperont une place prépondérante.

La redynamisation du PAE de Limay-Porcheville

Mélusine Hucault : Le parc d’activités économiques (PAE) de Limay-Porcheville appartient au réseau de ports Haropa, situé le long de l’axe Seine, entre Paris et la Normandie. Desservi par de grandes infrastructures ferroviaires et routières, il s’étend sur quatre communes, Guitrancourt, Limay, Mantes-la-Ville et Porcheville, de part et d’autre de la Seine. Sa superficie est de 450 hectares (soit cinq fois le centre-ville de Limay) et il accueille près de 500 établissements, représentant 3 000 salariés et 4 500 emplois au total. 55 % de cette superficie sont consacrés aux activités productives, en sorte que le parc est de plus en plus déconnecté du paysage, de l’eau et de la ville. La démarche de redynamisation qui a été entreprise par la communauté urbaine Grand Paris Seine & Oise (CU GPS&O) vise à renforcer l’activité économique, tout en recréant un cadre de vie qualitatif pour les habitants et les salariés.

Le projet a été piloté par l’agence ANMA Architectes urbanistes. Celle-ci a constitué une équipe pluridisciplinaire (architectes, urbanistes, spécialistes du foncier, des infrastructures, de la mobilité, de l’écologie…) et a coconstruit le projet avec les acteurs du territoire : maîtrise d’ouvrage, services techniques de la communauté urbaine, élus des quatre communes, Haropa Ports de Paris, Établissement public foncier d’Île-de-France et entreprises locales.

Les principales dynamiques urbaines identifiées sur le site et aux alentours sont : le projet de Haropa d’étendre la zone sur 32 hectares supplémentaires le long de la voie ferrée ; le souhait de la communauté urbaine d’étendre le PAE sur une zone agricole de 35 hectares (les Hauts Reposoirs), située dans sa partie nord, afin de pouvoir accueillir des entreprises ayant besoin de très grandes parcelles ; le projet d’installation d’un magasin Ikea ; la volonté de mieux intégrer et reconnecter la gare de Limay ; le devenir d’une ancienne centrale EDF, abandonnée depuis 2017 et bénéficiant d’un accès à la Seine ; et, enfin, la reconnexion d’une petite zone, Vaucouleurs, enclavée entre la Seine, deux réseaux ferrés et la route départementale 983.

Plusieurs grandes orientations d’aménagement ont été définies. La première consiste à accompagner les projets d’extensions dans une vision intégrée des activités dans la ville, ce qui suppose de s’interroger sur la mutabilité et les potentialités de certaines zones, afin d’identifier les meilleures solutions pour le développement du territoire. Le renforcement de certaines polarités commerciales passera par une restructuration afin d’éviter l’éparpillement actuel des services, sans pour autant concurrencer le centre-ville. Une autre orientation vise à constituer une trame piétonne et à favoriser les mobilités douces pour faciliter l’interface entre quartiers habités et zone d’activité, ce qui doit conduire à revoir les profils de certains axes majeurs pour combiner modes doux, transports en commun et logistique. Il est également question de s’appuyer sur la topographie, les terrains et les espaces interstitiels pour végétaliser le quartier et mieux gérer les eaux pluviales et, par ailleurs, de rétablir la relation avec les berges de la Seine pour constituer une ville portuaire contemporaine, ouverte et résiliente. La valorisation des accotements, délestés et lisières doit permettre de créer une trame verte et bleue, mais aussi un cheminement. Ces derniers relieront la Seine au parc naturel régional du Vexin, ce qui nécessitera de procéder à certains remembrements. Un dernier objectif est de favoriser les synergies entre acteurs pour une transition vers l’économie circulaire, notamment à travers une meilleure gestion des déchets et le développement de la sous-traitance sur le site.

Sur la base de ces orientations, nous avons proposé différents scénarios, en faisant varier l’ampleur des remembrements et aussi en interrogeant la possibilité de revaloriser l’ancien site EDF plutôt que d’envisager une extension sur celui des Hauts Reposoirs. Le scénario finalement choisi se caractérise par la réalisation d’une sorte de bioparc sur le site de Vaucouleurs, avec pour vocation d’accueillir des éco-industries ; le maintien des activités logistiques aux abords de la voie ferrée et en lien avec le port ; l’implantation d’une frange de PME et PMI sur des parcelles de taille réduite en contact avec le tissu habité et faciles à traverser, avec des préconisations paysagères sur le traitement des bâtiments pour les rendre qualitatifs ; le maintien des industries généralistes sur leurs emplacements actuels ; la proposition d’implanter des villages d’entreprises dédiées à la pharma-chimie et aux nouvelles technologies afin de renforcer la présence de sous-traitants ; l’installation d’éco-industries dans la partie nord, au contact du parc naturel régional du Vexin, et d’entreprises artisanales en bordure de la route départementale ; et enfin, la création d’un pôle de commerces à l’intersection entre l’axe reliant la zone au centre-ville et la route départementale.

Débat

Le financement des services

Un intervenant : Comment les services proposés sur les zones d’activité, par exemple les conciergeries ou les crèches, sont-ils financés ?

Antoine Poupelin : La communauté de commune Vie et Boulogne envisage de mettre à la disposition des entreprises qui s’installeront sur l’Espace Vie Atlantique les services d’architectes programmistes qui les aideront à optimiser le positionnement et l’orientation des bâtiments sur le terrain. Ce coût sera pris en charge dans le budget lotissement et répercuté sur le prix de revient des terrains lors de la vente aux entreprises.

Pour des services plus importants, tels que la création d’une crèche interentreprise, il faudra établir des partenariats avec les entreprises, ce qui sera probablement plus complexe.

Victor Teixeira : Pour la crèche interentreprise de 12 lits dont nous avions envisagé la création il y a quelques années, nous avions lancé un partenariat avec une société privée, qui prenait en charge le coût de construction. Ensuite, le budget annuel était de 10 000 euros par lit et il était financé à la fois par les entreprises, par la CAF (Caisse d’allocations familiales) et par la collectivité, qui prenait en charge 2 lits. Le projet n’a pas été mené à bien, car les entreprises n’étaient pas suffisamment nombreuses à s’engager, mais il pourrait être remis à l’ordre du jour.

La contrainte du ZAN

Int. : Comment gérez-vous la contrainte du ZAN ?

A. P. : Il est clair que le foncier ne peut plus être considéré comme une ressource illimitée. Les entreprises elles-mêmes en ont conscience, comme en témoignent, ces dernières années, des prix de revente de terrains qui n’ont rien à voir avec les prix d’achat. Cela dit, nous considérons le ZAN plutôt comme une trajectoire que comme une contrainte “pure et dure”.

Int. : Envisagez-vous de réhabiliter des friches industrielles ?

A. P. : Un fonds pour le financement des opérations de recyclage des friches a été mis en place par l’État, mais ce n’est pas suffisant. Sur notre territoire, nous n’avons qu’une friche industrielle, et le propriétaire, conscient d’avoir de l’or sous ses pieds, ne souhaite pas la vendre pour le moment. Comment une collectivité peut-elle intervenir dans un cas de ce type, sans pour autant aller jusqu’à l’expropriation ?

Comment éviter la concurrence avec les centres-villes ?

Int. : Comment s’assurer que la restructuration d’un tissu d’offres de services de type restauration ou supermarché à proximité des zones d’activité ne fasse pas concurrence aux commerces de centre-ville ?

V. T. : C’est une très bonne question. Lorsque nous avons envisagé de créer un restaurant interentreprises au sein du Parc technologique de Sologne, l’idée a été balayée très rapidement par les élus, car elle paraissait incompatible avec le programme Action cœur de ville mis en œuvre au même moment.

Des solutions pragmatiques ont pu être trouvées. La société Ledger, qui emploie 110 salariés, leur indique chaque matin quelles sont les possibilités de réservation de plateaux-repas auprès de tel et tel restaurants. Les salariés s’inscrivent en ligne et l’un d’entre eux va, en voiture, chercher les plateaux-repas correspondants et les apporte au réfectoire de l’entreprise. Nous souhaitons trouver, avec les restaurateurs, des solutions pouvant être mises en œuvre à l’échelle du parc d’activité.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Élisabeth BOURGUINAT