Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, l’ADEME propose quatre scénarios allant d’une forte réduction de la consommation au pari que les technologies à venir nous permettront de maintenir nos modes de vie actuels, avec divers degrés de contrainte. En complément des choix politiques, l’implication des particuliers, des collectivités et des entreprises est indispensable. Développer la sobriété est une idée qui fait consensus aujourd’hui, au moins en paroles. Cependant, jusqu’où faudrait-il aller, et surtout comment faire ?


Exposé de Jean-Louis Bergey

L’objectif de l’exercice de prospective mené par l’ADEME entre 2019 et 2021, « Transition(s) 2050 – Choisir maintenant, agir pour le climat »1, était de rendre plus concrètes les options encore envisageables pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Chacun comprend bien, en théorie, qu’il est nécessaire d’émettre moins de carbone, mais comment cela doit-il se traduire en pratique ? Dans le contexte de l’élection présidentielle, nous souhaitions éclairer les candidats, mais aussi les collectivités territoriales, les entreprises et nos concitoyens sur les avantages et les inconvénients de différentes options.

Pour cet exercice de prospective, nous sommes partis des quatre grands scénarios proposés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 degrés Celsius, publié en 2018. Chacun d’eux emprunte une voie distincte, correspondant à des choix de société différents. Nous les avons appliqués au territoire métropolitain seulement, car le contexte énergétique des départements d’outre-mer est très différent, et nous nous sommes intéressés uniquement aux émissions territoriales de GES (gaz à effet de serre), et non à l’empreinte matière. Cette dernière sera prise en compte dans une nouvelle version du rapport, à paraître à l’automne 2022.

Le travail interne a été confié à des pilotes sectoriels chargés de coordonner l’analyse sur chaque thème pendant deux ans. Nous avons également consulté des experts externes afin de vérifier la cohérence des différents scénarios. Par ailleurs, nous avons recouru à divers logiciels et tableurs développés par des partenaires comme l’INRA (Institut national de recherche agronomique), pour l’alimentation ; Solagro, pour la matière organique ; ou encore négaWatt, pour l’industrie. Enfin, nous avons recueilli les avis de 31 personnes sur les quatre scénarios afin d’évaluer la désirabilité de ces derniers.

Les quatre scénarios

Le premier scénario, Génération frugale (S1), repose sur une évolution rapide et de grande ampleur de nos modes de vie. La transition est pilotée par la contrainte (règlementaire ou fiscale) et passe à la fois par la sobriété, c’est-à-dire par une forte réduction de la consommation de biens et de services, et par le recours aux technologies, en particulier numériques. En effet, celles-ci favorisent une économie dans laquelle les gens sont plus des usagers de services que des propriétaires de biens (économie de la fonctionnalité). La neutralité carbone est atteinte grâce aux puits naturels de carbone que constituent les forêts et les sols (les océans n’ont pas été pris en compte, faute d’outils adaptés). L’agriculture est extensive et bio à hauteur de 70 %. Le principal défi est la capacité d’adaptation et de mobilisation individuelle autour d’une nature sanctuarisée et d’une économie du lien plutôt que du bien.

Le deuxième scénario, Coopérations territoriales (S2), vise une évolution d’ampleur et concertée de nos modes de vie. La société se transforme grâce à une gouvernance partagée qui oriente le système économique vers une voie durable, sobre et efficace, en misant moins sur la contrainte que sur un effort de conviction, de coopération et de travail collectif. En contrepartie, ce processus est moins rapide. Des investissements massifs sont consacrés au renforcement de l’efficacité, aux énergies renouvelables et aux politiques de réindustrialisation en ce qui concerne certains secteurs ciblés. L’agriculture est extensive et recourt à peu d’intrants. La neutralité carbone est atteinte principalement grâce aux puits naturels, auxquels s’ajoutent le captage du CO₂ dans certaines industries comme les cimenteries, ainsi que sa réutilisation, pour l’essentiel.

Le troisième scénario, Technologies vertes (S3), mise sur le développement technologique pour répondre aux défis environnementaux. Les manières d’habiter, de se déplacer ou de travailler ressemblent à celles d’aujourd’hui. L’État planifie la mise en place de politiques favorisant la décarbonation de l’économie dans un contexte de concurrence internationale et d’échanges mondialisés. La surface des forêts diminue, car le bois est exploité à la fois comme matériau et comme source d’énergie. La neutralité carbone n’est atteinte que grâce au captage du CO₂ à la sortie des cheminées et des chaufferies fonctionnant à partir de biomasse. Le défi est de réussir à trouver la ligne de crête d’une décarbonation sans modification d’ampleur de nos modes de vie.

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