Il y a quelque chose de prométhéen dans le contrôle aérien : une grande horlogerie, orchestrée par l’homme du haut de sa tour de contrôle, composée des mouvements de quatre-vingts à cent mille vols chaque jour. Le rêve d’une vision globale, d’un agencement parfaitement contrôlé. Le contraste est grand avec la guerre, empire du chaos, dans lequel l’homme ne peut qu’admettre sa déchéance au rang de simple mortel, et de pion dans un contexte qui le dépasse. « La guerre, disait le général de Gaulle, ce sont des hommes au milieu des circonstances »...
La juxtaposition de ces deux visions extrêmes peut constituer un résumé de ce qu’est le management : un chaos auquel il s’agit de donner un semblant d’ordre, une dialectique permanente entre un environnement opaque et changeant, et la nécessité d’agir pour peser sur l’avenir.
Le dialogue entre le monde militaire et celui des affaires, incarné par Vincent Desportes et Amar Drissi, nous invite à penser le management à partir de l’expérience extrême que constitue la guerre. Celle-ci nous montre que, paradoxalement, cette immanence de l’homme lui redonne le pouvoir de changer les choses. Car en admettant que le présent nous est inconnaissable, être stratège implique de bâtir le présent à partir du futur, celui auquel on souhaite aboutir. Cela suppose de partager des valeurs fortes, pour mobiliser les hommes autour d’un objectif, et la mobilisation d’une “intelligence active”, pour que chacun, dans le cadre donné, ait une liberté d’action qui exploitera ses talents.
Les trois aventures au centre de ce numéro peuvent-elles se lire à l’aune de ces préceptes, ou tout au moins de cette dialectique entre ordre et chaos ? La première est celle de Clextral, dont la belle réussite montre que l’industrie française n’est pas condamnée à subir son déclin. Son succès repose sur l’innovation et l’internationalisation, mais aussi sur la volonté de partager, avec les actionnaires et les salariés, des objectifs clairs, et la mobilisation de moyens pour comprendre son environnement, qu’il s’agisse de nouveaux métiers ou de nouveaux territoires.
L’association 1001 fontaines, en offrant aux populations rurales du Cambodge un accès à l’eau potable... réinvente le capitalisme. Son modèle propose une réponse à une problématique considérable à partir de la compréhension des caractéristiques du terrain, et en s’appuyant sur des entrepreneurs locaux. Parce que ses membres passent du temps à vouloir comprendre ce qu’il se passe sur le terrain, elle se définit comme une field-driven organization.
Un cadre simple et une place pour l’initiative : l’un des préceptes proposés par Vincent Desportes peut se lire derrière la mise en place de EADS Innovation Nursery. Ce dispositif a répondu au constat, au sein d’EADS, d’une difficulté à gérer l’investissement sur la phase intermédiaire du processus d’innovation : le passage d’un concept validé à un produit qui sera mis sur le marché. Ce sont aujourd’hui quarante projets, proposés par les membres des centres techniques, qui sont accompagnés, et qui permettent à l’entreprise d’élargir son champ d’expériences et de compétences.
En fin de numéro, Éric Stefanello revient sur les raisons qui ont conduit Airbus à se doter d’une filiale dans l’Air traffic management (ATM). Le bel ordre apparent dissimule en réalité le goulot d’étranglement principal pour le développement du trafic aérien, et l’ATM s’affirme comme un domaine d’innovation important pour les années à venir, et peut-être une source de connaissances stratégique dans la guerre des constructeurs.
La guerre a souvent fourni au management son vocabulaire ou ses métaphores. L’on comprend mieux, au travers de la dialectique de l’ordre et du chaos, les raisons de ce rapprochement.