Dialogues sur le commerce des blés (Ferdinando Galiani, 1770 ; ed. Fayard, 1984) est un ouvrage majeur d'économie du XVIIIe siècle, et son approche de la dérégulation garde une brûlante actualité. Mais sa facture tranche par rapport aux austères traités d'aujourd'hui : c'est un étourdissant dialogue dans lequel un chevalier multiplie les métaphores drôles et inattendues pour faire réfléchir un marquis au point que ce dernier s'en étonne :
Le Marquis : Vous parlez de choses très grandes, très sérieuses et en vérité vous en parlez trop légèrement.
Le Chevalier : C'est précisément ce qu'il faut faire, surtout à Paris. Il faut s'appesantir sur les petites choses pour leur donner un relief et une importance qu'elles n'auraient pas. Les matières graves, il faut les alléger, sans quoi elles deviendraient d'une pesanteur insoutenable.
Cette philosophie convient bien pour éclairer les articles de ce numéro.
Faire du Knowledge Management c'est diffuser dans l'entreprise de bonnes pratiques, voire imposer les best practices. Certains doivent faire connaître leurs réussites - on trouve des candidats -, et les autres reconnaître qu'ils ne faisaient pas aussi bien. Or, avouer des lacunes est dangereux dans le monde d'aujourd'hui et la diffusion des connaissances tourne souvent court. À moins de dédramatiser l'affaire comme l'on fait Benedikt Benenati et Franck Mougin par la mise en place chez Danone d'un ingénieux système festif d'échanges d'expériences.
Les militants associatifs savent que la fête est un levier essentiel de mobilisation : elle sublime les souffrances, rapproche les acteurs, crée des liens par la répétition des événements, comme le montrent les cas emblématiques des Restos du cœur ou du Téléthon (Voir n°14 et 53 du Journal de l'École de Paris). La société de Gad Weil prospère d'ailleurs en organisant aussi bien la moisson sur les Champs-Élysées que des rassemblements politiques ou des défilés syndicaux : une fête, ça doit se gérer de façon de plus en plus rigoureuse, mais les militants se défient de la gestion, rappelle François Rousseau. C'est peut-être parce que les rêves dont ils se nourrissent rendent vulgaires les exigences du management, comme le dit Claude Riveline dans la page Idées.
Les jeux vidéos ont été regardés, il y a quinze ans comme de simples amusements pour jeunes et adolescents attardés, de petites choses aurait dit notre chevalier. Cela a ouvert un champ de conquête dans lequel se sont engouffrés des jeunes : Nicolas Gaume a créé sa première entreprise à 19 ans et était à 25 ans une des stars des médias et des affaires. Aujourd'hui, ce secteur est pris très au sérieux car pèse le double du cinéma. Mais les exigences de la gestion ont fait une brutale intrusion dans cet univers enchanté.
Voilà qui aide à mieux comprendre les rapports enivrants ou cruels de la fête, des jeux et du management.