Yves Parlier se passionne très jeune pour la navigation et la météorologie. Après une formation d’ingénieur en matériaux composites, il devient précurseur dans le domaine de l’ingénierie et de la navigation. Devenu skipper professionnel, il remporte de nombreuses et prestigieuses courses au large. À la fin des années 2000, il arrête la course pour se lancer dans la décarbonation des marines et invente la traction par aile de kite, qui permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre des navires en utilisant l’énergie du vent.


Exposé d’Yves Parlier

Avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de vous dire quelques mots de ma vie. Elle a, comme vous le savez, beaucoup tourné autour de la mer, des bateaux et des innovations qu’on n’a cessé de leur apporter, mais, curieusement, la genèse de ce qui allait devenir ma passion s’est produite dans les arbres, quand j’avais une petite dizaine d’années. J’avais alors développé une technique me permettant de grimper jusqu’aux plus hautes branches et, un jour où j’étais parvenu à me hisser au sommet du plus grand hêtre de la forêt et où j’ai pu, pour la première fois, surplomber du regard la canopée, j’eus une révélation. Je compris ce jour-là que l’invention d’une technique nouvelle pouvait nous donner accès à des choses qui, sans elle, seraient restées hors de portée. En parallèle, les mois de juillet passés sur le monotype de mon grand-père, dans le bassin d’Arcachon, et la lecture de la série de livres Damien publiée aux éditions Arthaud m’ont inoculé le virus de la voile. Mes modestes expéditions sur le petit lac voisin de la maison, grâce au kayak que je m’étais fabriqué avec des branches d’arbres, prenaient à mes yeux d’enfant des allures d’expéditions en haute mer.

Je me suis formé à toutes les sciences connexes à la navigation – astronomie, cartographie, météorologie, calcul des marées, etc. – et suis devenu l’assistant du directeur d’une école de voile, si bien qu’à 15 ans, j’étais déjà skipper, moniteur de voile et chef de bord sur un Muscadet. Un peu plus tard, mon DUT en génie mécanique m’a placé sur le terrain de l’innovation au service de la course à la voile. En ce début des années 1980, on commençait à entendre parler des matériaux composites, et les entreprises de la région bordelaise étaient à la pointe du domaine. C’est ainsi qu’en 1985, j’ai pu gagner ma première Mini Transat, avec un bateau extrêmement performant. Construit avec le concours de l’Aérospatiale, il disposait pour la première fois d’un mât en fibres de carbone, ainsi que d’un pont en kevlar.

La course à la voile : une quête permanente d’innovation

La course à la voile est un sport dans lequel l’innovation est permanente. En 1979, le record de vitesse sur une distance de 500 mètres à la voile était de 19 nœuds ; il dépasse aujourd’hui 65 nœuds ! Dans les années 1960, une course comme la Transat Anglaise se faisait en quarante jours ; les compétiteurs bouclent désormais le même périple en six jours. Cette innovation constante a permis d’accroître les performances de façon phénoménale, grâce notamment aux matériaux composites, mais aussi aux progrès accomplis dans l’architecture navale, l’électronique embarquée, les prévisions météo et toutes les techniques permettant d’optimiser son parcours. Parmi les bateaux naviguant en ce moment même au sud de la Nouvelle-Zélande dans le cadre de l’Ocean Race, l’un a parcouru sur vingt-quatre heures pas moins de 594 miles, soit une vitesse moyenne de 24 nœuds, ce qui est considérable pour un monocoque.

J’ai eu la chance extraordinaire de vivre cette montée en puissance. Toutes les courses qui ont jalonné ma carrière de skipper, depuis la Solitaire du Figaro en 1991 jusqu’à la Course de l’Europe en 1999, ont été des occasions de repousser un peu plus loin les limites de l’innovation. Nous avons innové sur les quilles, sur les mâts – je songe notamment au “mât aile”, c’est-à-dire profilé et tournant sur son axe, qui a fait école. Ces innovations techniques m’ont permis de gagner pas mal de courses. Quand ce n’étaient pas des innovations techniques, c’en étaient dans la manière de naviguer, comme lors de la Solitaire du Figaro. Dans cette course, tous les compétiteurs ont le même bateau, c’est donc votre connaissance du système météorologique et votre capacité à non seulement exploiter au mieux le vent du moment, mais aussi à optimiser votre parcours de façon à aller chercher les vents qui seront les plus favorables dans les jours suivants qui font la différence.

De mémorables tours du monde

Quelques années après mes débuts, je suis passé aux monocoques 60 pieds, tels ceux qui courent actuellement l’Ocean Race ou qui sont au départ du Vendée Globe. La recherche constante d’innovation s’est alors déclinée sur des registres parfois un peu différents, comme pour mon tour du monde 1992-1993, marqué par l’introduction d’un cerf-volant qui m’a permis de me familiariser davantage avec l’aile de kite, ou encore pour mon tour du monde 1996-1997, le premier à avoir été accompli sans aucune énergie fossile. Et puis, bien entendu, il y a eu le tour du monde 2000-2001, à l’occasion duquel j’ai réalisé le premier remâtage sans assistance.

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