Marseille s’est portée candidate au titre de Capitale européenne de la culture dans un contexte social et politique complexe, voire chaotique. Claire Andries a pu éprouver ses convictions profondes du pouvoir transformateur de la culture au cours de cette expérience hors normes consistant en la réalisation de 900 projets. Les efforts de transformation infimes que ces derniers ont impliqués ont permis de faire de Marseille-Provence 2013 une réussite et de transformer durablement le territoire, sa vie quotidienne, son image et son économie.


Exposé de Claire Andries

En 2018, lorsque le jury du programme des Capitales européennes de la culture désigne la ville française qui portera le flambeau cinq ans plus tard, son choix ne s’arrête pas sur une métropole au rayonnement culturel déjà bien assuré, comme Lyon, Bordeaux ou Toulouse, mais sur un outsider, Marseille. Motif de fierté pour ses habitants et ses acteurs culturels, cet événement fut une occasion sans pareille d’engager une dynamique structurante et de transformer durablement l’image de la ville et de la région.

J’ai rejoint l’aventure quelques mois après l’annonce de la sélection. Diplômée de HEC, et ayant suivi des études de philosophie et de théâtre à l’université de Bristol, je m’étais consacrée pendant vingt-cinq à la production de spectacles pour le théâtre national de Dijon, le festival Paris quartier d’été et la MC93 (maison de la culture de la Seine-Saint-Denis) à Bobigny, avant de devenir directrice des productions et de la programmation ainsi que secrétaire générale du théâtre national de Chaillot. Ces expériences m’avaient confrontée à des questions qui se sont avérées déterminantes pour le projet Marseille-Provence 2013 : comment fédérer les énergies et accompagner les idées jusqu’à leur concrétisation ? Comment introduire l’art dans des espaces qui ne sont pas dédiés à l’accueillir ? Comment toucher le public le plus large ? Comment travailler à l’échelle d’un territoire ?

Le programme des Capitales européennes de la culture n’a pas toujours été l’outil de transformation des territoires qu’il est devenu. Lancé dans les années 1980 par Melina Mercouri, alors ministre de la Culture grecque, il visait à célébrer la culture européenne en faisant fi des frontières et à mettre en lumière des villes moins connues que d’autres. Une édition a changé la donne, celle de Lille en 2004. Elle a permis à cette ville, qui n’était jusqu’alors guère perçue comme une destination culturelle accueillante, de se tailler une place entre Paris, Bruxelles et Londres, et de redorer son image. La formidable énergie provoquée par l’événement a fait naître et a renforcé des équipements et des opérateurs culturels, démontrant que l’exigence artistique était compatible avec l’ouverture au plus grand nombre. Ce fut pour nous un modèle.

Miser sur un outsider

Après Lille 2004, le programme des Capitales européennes de la culture s’est apparenté à une compétition. Pour Marseille, ce fut épique. À l’annonce de sa candidature, une bonne part du milieu culturel a réagi : comment cette ville, qui n’avait jamais brillé par sa politique culturelle et dont les acteurs semblaient quelque peu désorganisés, pouvait-elle briguer le titre suprême face à Lyon, Bordeaux, Nice et Toulouse ? Ces dernières, qui avaient souvent pour maires des personnalités politiques de premier plan, avaient rédigé des projets très structurants, ancrés dans le territoire, qui cochaient toutes les cases. À la surprise générale, Marseille l’a emporté, avec un projet brillant – je le dis d’autant plus librement que je n’ai pas participé à la candidature.

Deux arguments fondamentaux ont distingué Marseille. À l’époque, l’Europe s’interrogeait sur ses frontières, en particulier méditerranéennes, et sur la possible adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Le dossier rédigé par Bernard Latarjet pour Marseille se présentait justement comme un outil de rayonnement autour du bassin méditerranéen, particulièrement vis-à-vis de sa rive sud. Le jury a également estimé que Marseille était la ville qui avait le plus besoin d’être soutenue. Bordeaux avait déjà réussi sa mutation sous l’égide d’Alain Juppé, misant sur la rénovation urbaine et la préservation du patrimoine, tandis que Lyon comptait de grandes manifestations culturelles et des équipements. Marseille ne possédait pas autant d’atouts. Il a semblé que sa désignation lui permettrait, ainsi qu’à son territoire, de franchir plusieurs seuils pour se doter durablement d’outils culturels – la pérennité des réalisations étant l’un des critères de sélection.

Un tandem détonnant

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