Le bon choix

En faisant référence à Ignace de Loyola et à ce que celui-ci définit comme “l’appel”, c’est-à-dire « ce que les autres attendent de moi, même si cela me paraît impossible à réaliser ou si cela ne me plaît pas du tout », Michel Rességuier présente le processus de transformation qu’il initie au sein des entreprises comme une sorte de cheminement spirituel. La suite de son exposé confirme cette analogie. L’idée selon laquelle une entreprise doit non seulement s’assurer de l’existence d’un marché au moment de sa création, mais vérifier le maintien de son utilité sociétale au fil des années évoque une forme d’ascèse. Le décorticage, par les salariés, de l’ensemble des tickets de caisse ou des lignes de commande pour détecter les modèles économiques les moins rentables ressemble à un examen de conscience. La comparaison entre la transformation de l’entreprise et le processus de deuil, ainsi que l’importance accordée au partage des émotions entre salariés, évoquent le clair-obscur des veillées mortuaires. Le changement d’identité professionnelle qui fait suite à cette transformation rappelle l’adoption d’un nouveau prénom imposé aux postulants lors de la prise d’habit. L’évocation du tribunal devant lequel le dirigeant, s’il a cherché à se défausser sur son actionnaire, risque d’être amené à rendre des comptes, renvoie au Jugement dernier et à la pesée des âmes par l’archange Michel pour décider lesquelles iront en enfer ou au paradis. Enfin, la transformation personnelle de certains salariés, décrite par Michel Rességuier comme « la plus durable dans nos interventions », évoque la conversion du pécheur, voire sa rédemption lorsqu’un manager accepte enfin de « déployer ses ailes ».

Faut-il être choqué de voir la rhétorique du cheminement spirituel appliquée au changement de business plan d’une entreprise ? Pas plus, sans doute, que d’entendre des dirigeants d’entreprises de cosmétiques ou de location de camions annoncer que celles-ci vont devenir des “sociétés à mission”. Peut-être assistons-nous à la réalisation de la prédiction, prêtée à André Malraux, selon laquelle « Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ». Il est vrai que, face aux diverses apocalypses qui nous menacent, il n’est que temps de nous repentir...

Dans ce contexte, la démarche consistant à transformer une entreprise pour la recentrer sur sa véritable utilité sociale constitue peut-être un nouveau type d’“exercice spirituel”, notion définie par Ignace de Loyola comme « toute manière de préparer et de disposer l’âme pour écarter de soi toutes les affections désordonnées et, après les avoir écartées, pour chercher et trouver la volonté divine dans la disposition de sa vie en vue du salut de son âme ». Chercher le salut de son entreprise pourrait ainsi être le premier pas d’une démarche proprement spirituelle visant à reconnaître nos erreurs, à assumer nos responsabilités, à nous recentrer individuellement sur l’essentiel et à nous convertir à des modes de vie plus respectueux de la planète – tant il est vrai que, comme le dit sainte Thérèse de Lisieux, « tout est grâce ».

À cela, l’on pourrait cependant objecter, avec l’Ecclésiaste, que « tout est vanité » et que tous nos efforts seront aussi inutiles que ceux du lièvre de la fable, parti trop tard. Pour Hubert Reeves, « une question fondamentale se pose d’une façon de plus en plus pressante : la crise planétaire contemporaine prendra-t-elle fin grâce à l’action déterminée des Terriens ou par leur disparition ? », ce que Woody Allen traduit par : « L’humanité est à un carrefour. Un chemin mène au désespoir, l’autre à l’extinction totale. Espérons que nous aurons la sagesse de faire le bon choix. »