Le Journal de l'École de Paris - septembre/octobre 2016

Regards pénétrants sur l'Europe

septembre/octobre 2016

L'édito de Thomas PARIS

L’Europe est en crise. Le vote de juin dernier des Britanniques en faveur de la sortie de l’Union européenne – le Brexit – a eu comme double conséquence de mettre un nom sur une situation latente depuis déjà plusieurs années, et d’ajouter aux crises économique et migratoire une crise politico-administrative. Le peuple anglais a voté pour la sortie... mais l’aurait regretté sitôt après. Les leaders de la campagne pour le Brexit se sont mis en retrait dès leur “victoire” acquise. Les instances européennes souhaitent accélérer la procédure de sortie, laquelle ne peut être actionnée que par les dirigeants du pays, qui préfèrent temporiser et, ce faisant, bloquer nombre des mécanismes de fonctionnement de l’Union européenne. L’Europe était un rêve, celui d’un continent en paix, d’une fraternité transnationale construite sur un espace commun d’échanges et de commerce : elle se révèle comme une machine complexe devenue incontrôlable, à l’image de l’ordinateur HAL de 2001, L’odyssée de l’espace. Entre l’idée et sa réalité, il y a la gouvernance, l’organisation, les règles, les procédures, les rites... L’Europe était un rêve : elle n’est que ses rouages. L’Europe ne serait plus qu’économique, ce serait là l’une des explications du désamour qu’elle suscite. Mais l’Europe économique peut être porteuse de vertus. De ce point de vue, elle peut avoir plusieurs fonctions : l’Europe comme marché, l’Europe comme idéologie, l’Europe comme horizon pour les acteurs économiques, l’Europe comme unité pertinente de mise en œuvre d’une politique publique en sont quelques-unes, qui suggèrent bien que l’Europe, si elle est une déception, peut être aussi une nécessité. Qu’est-ce que l’Europe, aujourd’hui et sous l’angle économique, et que pourrait-elle être : voici les questions auxquelles ce numéro apporte des réponses, en les considérant sous des angles différents – ceux que nous venons d’évoquer –, en adoptant des points de vue variés et en interrogeant son fonctionnement concret. Les projets européens peuvent être perçus comme la caricature de la bureaucratie européenne, celle des réunions vaines et des procédures pointilleuses, mais Bertrand Fillon les présente de manière plus pragma­tique en mettant en avant l’impact, pour qui accepte de les dompter, qu’ils peuvent avoir. L’Europe vue du rail... conduit à une vision qui prône plus de concurrence pour plus d’efficacité. Ce que Pierre Messulam s’attache à démonter de manière méthodique : ce ne sont ni l’excès ni le manque de concurrence qui expliquent les difficultés actuelles des compagnies ferroviaires en Europe, mais des problèmes structurels présents dès la pose des premiers rails. Stefan Schepers s’efforce de relier les dysfonctionnements de la gouver­nance européenne sur les politiques d’innovation. Si cette gouvernance a connu d’indéniables succès – le marché unique, la monnaie commune, les traités de commerce, les restructurations de secteurs en difficulté – et a obligé les chefs d’entreprise à se projeter aux niveaux européen puis mondial, elle doit être réformée pour s’adapter aux défis d’aujourd’hui. D’un point de vue d’investisseur outre-Atlantique, l’Europe apparaît comme l’unité minimale pertinente, pour entreprendre dans la technologie. Et si la segmen­tation de l’Europe fait partie de son identité, elle n’en est pas moins homogène dans le rapport qu’elle porte entre investisseurs et entrepreneurs notamment, et une culture du hands off différente de la culture nord-américaine. Le dernier texte de ce numéro ne parle pas d’Europe. Gilles Pernoud présente l’histoire d’AGP Développement, celle de trois entreprises de la plasturgie lyonnaise qui décident d’unir leurs forces. Mutualisation de fonctions, définition d’une stratégie commune, préservation de leur autonomie et de leur souveraineté, direction tournante tous les 6 mois, perspectives d’élargissement. Une histoire qui rappelle à bien des égards celle de l’Europe, dans ses composantes pragmatiques. La crise, chez AGP, a donné lieu à la tentation du repli sur soi, mais a finalement été l’occasion de renforcer la solidarité. L’Europe a peut-être un avenir. Un bel avenir.

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