Le Journal de l'École de Paris - Juillet / Août 2020

Le temps de la distanciation

Juillet / Août 2020

L'édito de Thomas PARIS

Se souvenir du Titanic ; Effondrement des certitudes ; De routine en chaos ; L’incertitude, ce tsunami ; Basculements merveilleux.

Ce ne sont pas là les titres de la presse quotidienne des semaines passées, mais ceux du Journal de l’École de Paris du management les mois qui ont précédé la crise de la Covid-19. Les relire après que la pandémie s’est invitée dans notre monde est troublant. Faut-il y voir une capacité ou une posture d’augure de l’École de Paris ? Ça serait contraire à l’humilité qui guide notre démarche. Tout juste pourrait-on concéder que notre approche capte des signaux faibles dans l’analyse des organisations.

Lorsqu’un virus venu d’Asie déboule comme un tsunami dans nos modes de vie, ce sont mille certitudes qui sont ébranlées. Des routines qui s’y étaient installées confortablement, parfois jusqu’à l’absurde, sont balayées, et c’est un système qui paraissait insubmersible qui semble pouvoir sombrer comme le Titanic, ou basculer dans un mode nouveau, pourquoi pas meilleur.

Nous ne sommes pas passifs, nous ne savons pas l’être, le confinement nous l’a rappelé. Nous, les êtres humains, avons besoin de construire notre monde et de nous organiser pour le faire. Nous participerons à écrire la suite de l’histoire, et ne nous la laisserons pas imposer par le virus. Mais comment agir quand notre référentiel – nos connaissances, nos certitudes, nos principes – s’est trouvé balayé ? Sur quoi se fonder ?

Ce numéro présente cinq textes qui n’ont pas vocation à dire l’avenir ni à apporter des solutions clés en main, mais qui, selon la tradition de l’École de Paris, donnent des clés de compréhension des phénomènes organisationnels et sociaux dans l’analyse de l’action.
 
Si une crise comme celle de la Covid-19 est inédite, les mécanismes à l’œuvre ne le sont pas. Le cyclone Katrina et sa gestion éclairent la situation actuelle et la difficulté structurelle des dirigeants à appréhender les crises ou la frontière qui se joue entre héroïsme et obéissance. La crise sanitaire a mis à bas bon nombre des règles auxquelles nous nous accrochons dans une illusion de maîtrise et un refus du non-déterminisme. Le deuxième texte interroge notre rapport aux règles, et son action stérilisante sur la créativité. La Covid-19 a mis en avant notre dépendance aux importations dans des secteurs stratégiques comme le médicament. En présentant l’histoire d’Axyntis, leader de la chimie fine, David Simonnet montre comment s’y sont imposées la diversification géographique et la relocalisation, et comment il aborde cette dernière avec ses clients de l’industrie pharmaceutique.

Une lumière a été jetée sur les EHPAD, dramatique. Ségolène Lebreton invite à mieux saisir la réalité de ces établissements, et, dans une projection qui peut paraître ironique, montre comment s’y traite l’articulation entre sécurité et liberté. Alors que la crise accroîtra les difficultés budgétaires des acteurs de l’audiovisuel public, qui ont pu jouer un rôle de phare dans la nuit du confinement, comment continueront-ils à assurer des missions appelées à se redéfinir ? En la matière, la BBC constitue une source d’inspiration.

Sitôt passée la sidération du confinement, l’espace médiatique a été envahi par mille donneurs de leçons et autant d’oracles, souvent des acteurs qui n’avaient jamais été privés ni de parole ni d’influence. Le virus nous a légué l’impératif de distanciation, avec lequel nous allons devoir vivre pendant un certain temps. La mise à mal de nos certitudes et de nos principes d’action suggère d’appliquer la même règle à notre analyse du monde à venir. Lorsque nombre de nos vérités s’effritent, la vérité du terrain, de l’action concrète, prend encore plus de valeur.

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