Le Journal de l'École de Paris - Mai/juin 2001

L'âme et la précision

Mai/juin 2001

L'édito de Michel BERRY

L'expression "comptes d'épicier" signifie que les comptes précis s'accommodent mal de la souplesse dans les relations, qui rend la vie sociale harmonieuse. Et pourtant, le management suppose souvent de savoir concilier l'âme et la précision. Les articles de ce numéro montrent que ce n'est pas toujours facile. Nicolas de Bremond d'Ars, prêtre et docteur en sociologie, a mené une recherche sur l'idée originale que les transactions financières éclairent les pratiques religieuses. On apprend ainsi comment un principe de subsidiarité dont rêveraient nombre de gestionnaires permet de contenir les fâcheries entre évêques et curés sur les questions budgétaires. Que les "fidèles aux cierges" souhaitent qu'un prix soit indiqué pour être sûrs que leur offrande "compte" ; que les non-pratiquants célébrant un mariage demandent un barème pour être "quittes" avec l'Église ; mais que la fixation d'un tarif peut inciter le fisc à appliquer une TVA. On verra alors que des règles et des habitudes subtiles se sont établies au fil des âges pour permettre à l'Église de s'attacher à sauver les âmes tout en gérant ses sous. Cinquante ans, c'était l'âge exact auquel les sidérurgiques devaient partir en retraite au début des années quatre-vingt. Quels que soient leur attachement à leur métier et à leurs collègues, l'apport de leur expérience, dont Joël Simon rappelle l'importance. Mais il fallait sauver la sidérurgie. Quelques années plus tard, un nouveau chiffre tombe comme une bombe : soixante ans sera désormais l'âge auquel il faudra prendre sa retraite. La sidérurgie étant sauvée, il faut arrêter de la subventionner. Mais les sidérurgistes avaient intériorisé la date de leur départ et fait des projets pour après. Voilà tout remis en cause, parfois à quelques jours près. Daniel Atlan montre l'ingéniosité développée par Usinor pour créer des transitions floues afin d'aider le personnel à absorber le choc. « J'ai une idée qui va changer le monde », dit l'inventeur génial (à moins qu'il ne soit fou, c'est difficile à dire au début). Si tout le monde se contente de lui répondre : « Pouvez-vous me dire quel sera votre ROI ? », l'inventeur risquera de devenir réellement fou : il faut beaucoup d'âme pour la création et pas trop de précision, sur les questions d'argent en tout cas. C'est la vertu de la structure de "capital-aventure" montée par Jean-Michel Barbier chez Thomson : adossée à un grand groupe tout en ne rendant pas des comptes financiers trop précis, elle a pu soutenir des paris risqués. Cela n'a pas été sans échecs ni sans controverses : une structure qui agit parfois comme un poil à gratter et ne rend pas des comptes comme les autres, ce n'est pas toujours facile à faire vivre. Si j'osais, je dirais qu'il faut une grande force d'âme pour enfoncer un clou si on n'est pas assuré de sa précision dans le maniement du marteau. Comme beaucoup d'autres, j'ai été en tout cas fasciné par l'invention qui a lancé la société Avanti : l'outil empêchant de se taper sur les doigts. Ce qui pourra étonner dans l'exposé de Vincent Chapel, c'est que l'invention d'une gamme d'outils malins procède d'une réflexion qu'il a longuement mûrie dans une thèse en gestion menée à partir de l'observation des processus d'innovation chez Tefal. Une méthode scientifique pour faire fuser les idées fécondes, voilà qui serait une belle réconciliation entre l'esprit de finesse et l'esprit de géométrie. Beau rêve.
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