Le Journal de l'École de Paris - Mars/avril 2006

Pouvoirs du rêve

Mars/avril 2006

L'édito de Michel BERRY

J’emprunte ici le titre d’un beau livre de Thierry Gaudin, Pouvoirs du rêve (http://gaudin.org). Il montre comment le vieux rêve de l’homme, voler, a donné lieu aux expériences les plus audacieuses et sollicité de façon extraordinaire l’imagination des hommes, et comment cette aventure a transformé le monde. Les hommes peuvent agir par nécessité, par habitude, par crainte, par mimétisme, mais il n’y a aucune commune mesure entre ce qu’ils font ainsi et ce qu’ils réalisent au nom d’un ailleurs merveilleux. Avec l’accélération de la vie des affaires, c’est même le principal levier dont disposent les responsables. En effet, l’échange équitable d’un travail contre un salaire tel que le préconisait Taylor ne fonctionne bien que lorsqu’on peut définir exactement et mesurer le travail, ce qui suppose une certaine permanence. Quand ça bouge trop, beaucoup dépend du bon vouloir de l’exécutant. Mais ces raisons qui poussent à favoriser le rêve en rendent la mise en œuvre problématique : le bon rêve a besoin de temps, alors que, de nos jours, la perspective d’un exploit technique ou commercial peut être mise à mal par des séismes imprévisibles. Bien conduire les hommes exige donc de leur proposer des projets suffisamment exaltants pour qu’ils en rêvent et suffisamment sûrs pour qu’ils puissent les mener à bien. Comment surmonter cette contradiction ? Les articles de ce numéro illustrent différentes manières d’y parvenir. Laurant Weill aime à rêver de conquêtes et y entraîner ses collaborateurs. L’apparition de la micro-informatique, des jeux électroniques, puis de la télévision interactive lui en ont donné l’occasion. Mais quand le secteur qu’il a investi devient trop balisé et soumis aux aléas de la concurrence, il le quitte à la recherche de nouveaux territoires vierges. Les entrepreneurs rencontrés par Mathieu Le Roux ont suscité l’engouement, comme le fondateur de la Grameen Bank, qui voulait envoyer la pauvreté dans les musées, ou celui du “MacDonald de la cataracte”, qui voulait opérer gratuitement les pauvres. Ils ont bâti des empires en se lançant, eux aussi, dans des voies inexplorées, ce qui leur a permis de faire œuvre de continuité sur une longue durée. David Mangin rêve de rendre “passantes et métisses” les villes que l’automobile a rendues inhospitalières. On ne change pas facilement les habitudes des ingénieurs et des urbanistes ni le jeu des intérêts, mais il espère qu’en élaborant une utopie crédible, il ralliera progressivement les acteurs qui ne se satisfont plus de la situation actuelle. Les Basques rêvent de rester au pays, mais l’afflux de retraités et d’étrangers crée une telle pression foncière que les jeunes ont du mal à se loger. Jean-Jacques Lasserre et Bernard Darretche lancent avec une poignée de gens déterminés le projet “Pays basque 2010”, qui mobilise des centaines d’acteurs dans une dynamique collective qui paraît irrésistible. Par-delà la variété des projets et des situations, ces porteurs de rêves savent concilier deux vertus contraires : avoir la tête dans le ciel et les pieds bien sur terre, être à la fois poètes et épiciers.
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