Le Journal de l'École de Paris - Juillet/août 2003

Les vertiges de la mondialisation

Juillet/août 2003

L'édito de Michel BERRY

Nos ancêtres les Gaulois ne seraient-ils pas tourneboulés par la façon dont nous abordons la mondialisation ? Il semble qu'il nous faudrait tous parler parfaitement l'anglais, comme il fallait parler latin du temps de la splendeur de Rome. Les entreprises qui prétendent à l'excellence par des voies propres sont accusées de souffrir d'un syndrome d'Astérix. Les seules idées méritant considération seraient celles publiées par des revues américaines. J'expliquais dans une enceinte bien française comment Gérer et Comprendre avait tiré parti de nos traditions pour faire reconnaître une approche novatrice de la gestion, approche qui reçoit des marques d'estime aux Etats-Unis mêmes, quand un participant a lâché : " Ta revue, elle est franchouillarde ! ". La mondialisation change la donne, mais n'avons-nous vraiment d'autre avenir que colonisés ? Ce numéro donne des éléments pour y réfléchir. Joker était leader du marché français des jus de fruit. Mais elle n'a pas résisté à la mondialisation, Gaëtan Monchovet l'explique : avec une distribution qui laminait les marges, les matières premières aux mains des Brésiliens et des normes mondialisées, il aurait fallu la potion magique pour résister. Les entreprises familiales sont-elles pour autant condamnées et l'avenir seulement aux multinationales à capitaux majoritairement anglo-saxons ? Après avoir défrayé la chronique en se faisant accréditer par les Américains, l'ESSEC a transformé en MBA sa formation des recrutés sur concours. Est-ce une attitude de colonisé ? Non, pour Nicolas Mottis : le MBA traditionnel se meurt aux Etats-Unis et l'ESSEC pourrait se placer en tête des MBA pour jeunes, ce qui valoriserait les grandes écoles à la française. Une subversion gallo-américaine, selon le mot d'Elisabeth Bourguinat dans la page L'esprit de l'escalier ?. Les universités d'entreprise sont à la mode, car, explique Hervé Borensztejn, en période de bouleversements, les grands groupes ont besoin de lieux de rencontres à l'abri des urgences quotidiennes pour forger une identité nouvelle. On y parle beaucoup d'internationalisation aujourd'hui et chaque groupe se fabrique son universel propre, pas forcément selon les standards américains. On y cultive sans doute avec talent le globish, étrange cousin de l'english que les anglophones ont tant de mal à parler et même à comprendre (Jean-Paul Nerrière, "Parlez-vous english ou globish ?", Gérer & Comprendre n°71, mars 2003). Pendant ce temps, à l'écart de ces grands débats sur la conquête du monde, monte la violence de jeunes en manque de repères et qui se sentent exclus de la vie économique sans trouver refuge dans un village gaulois. Jean-Marie Petitclerc dresse un tableau impressionnant sur la dégradation de la situation, qui va bientôt concerner les entreprises elles-mêmes. Il montre que ce n'est pas seulement dû à une crise de l'autorité, mais aussi à une crise plus générale de la cité et de la socialisation et que si les élites se sentent peu concernées par ces problèmes, le pire est à craindre. Peut-être alors faut-il relire Astérix, comme Claude Riveline nous y invite : si certains aspects de la vie des affaires d'aujourd'hui gagnent à être gérés selon des grandes machineries à la romaine/américaine, il faut savoir entretenir la vie fière et mouvementée de villages gaulois dans nos quartiers, nos usines, nos bureaux et nos laboratoires.
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