Le Journal de l'École de Paris - mai/juin 2003

Terrae incognitae

mai/juin 2003

L'édito de Michel BERRY

Les experts en management aiment les certitudes. Les chercheurs qui énoncent des lois universelles, si possible mathématisées, sont hautement considérés; les ouvrages de recettes abondent jusque dans les librairies des aéroports. C'est que nous ne sommes pas indemnes du vieux rêve de calquer les sciences du management sur le modèle des sciences physiques et que donner réponse à tout rassure les décideurs harcelés d'urgences. Mais lorsqu'on s'engage sur des terres inconnues, trop de certitudes nuit: la vigilance et l'interrogation méthodique des explorateurs sont plus appropriées. Voyons cela sur les articles de ce numéro. En 2000, le marché du téléphone portable était extraordinaire, celui des agendas électroniques en croissance fulgurante. On pensait donc que téléphone-agenda rencontrerait un énorme succès: celui de Sagem a été élu produit de l'année dans dix-sept pays et a fait l'objet de 1700 articles de presse. Pourtant, les ventes en ont été très faibles. Plutôt que de s'obstiner, Romain Waller a cherché à élucider les raisons de cette mévente, découvert des propriétés méconnues de la commercialisation et en a tiré des leçons pour la suite. Pour Vincent Chapel, véritable explorateur de l'innovation, l'important est de découvrir ce que souhaitent les consommateurs. Il peut s'agir de choses simples, comme enfoncer un clou sans se taper sur les doigts ou frire sans produire de mauvaises odeurs, mais ces souhaits sont souvent masqués par les intérêts des distributeurs ou par les vues des experts qui identifient innovation et high-tech. V. Chapel en tire une règle: quand ses clients lui demandent des solutions, il répond qu'il faut d'abord voir si le problème a été posé de façon pertinente. La recherche sombre-t-elle dans une morosité contagieuse?C'était le sentiment de Jean-Baptiste Avrillier et Hélène Le Du avant de tomber sur des réalisations un peu folles dans lesquelles les chercheurs s'enthousiasment et les millions valsent: défricher des voies nouvelles en nourrissant l'espoir d'un monde meilleur, voilà qui renoue avec l'esprit de conquête qui était celui de la science avant que des institutions trop grandes et trop normées ne découragent l'aventure. "Placer notre argent en Bourse, mais vous n'y pensez pas, sœur Nicole!" ont protesté les sœurs de la congrégation Notre-Dame en 1983. On verra que sœur Nicole Reille avait de la suite dans les idées. Convaincue qu'il fallait vraiment recourir à la bourse pour gérer les biens de la congrégation, elle a inventé une manière d'explorer sans dogmatisme ce que pourrait être une éthique des affaires et des modalités pour en débattre. Il me revient le merveilleux éditorial du citoyen Charles Coquebert dans le numéro 1 du Journal des mines en 1794: "On s'est hâté de faire de vastes théories, dont l'amour se mêlant ensuite à toutes les recherches ne laisse plus voir à l'observateur que ce qu'il désiroit trouver (..) Pour nous, jaloux d'épargner à nos concitoyens ces erreurs qui discréditent l'Art des mines, nous suivrons avec eux l'humble sentier de l'observation, nous concluerons peu, nous douterons souvent et nous les engagerons à se défier du ton d'assurance qu'il est si facile de prendre et si dangereux d'écouter". Voilà une philosophie qui sied aujourd'hui à l'Ecole de Paris
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