Le Journal de l'École de Paris - mars/avril 2019

De routine en chaos

mars/avril 2019

L'édito de Thomas PARIS

Le dérèglement d’un système social est un thème classique de la littérature et du cinéma. Un étranger arrive dans la ville, une erreur administrative se produit dans une bureaucratie extrême, une bouteille de Coca Cola tombe du ciel au milieu d’une tribu primitive coupée du monde… et un monde qui paraissait harmonieux entre dans un état de perturbation qui en menace l’équilibre, voire la survie.

Sont présentées ici des variations de ce thème dans des contextes d’organisations. Pour Total, l’élément perturbateur est l’inversion des cours du brut à partir de 2005. Dans l’histoire racontée par Laurent Pellegrin, il s’agit de l’arrivée en préfecture d’un cadre doté d’un goût pour le commandement éprouvé en compagnie de gendarmerie. Un robot de soudure fut introduit chez CFT Industrie, TPE spécialisée dans le cintrage et l’assemblage de fils, tubes et tôles. Le monde de l’agriculture est perturbé d’abord par une évolution des mentalités, des comportements, des attentes, ainsi que par des fluctuations de marché ; il l’est ensuite par l’introduction de nouvelles technologies pour répondre à ces enjeux. Dans le jeu vidéo, enfin, la perturbation est permanente, les technologies évoluant sans cesse.

Dans la littérature, l’élément perturbateur peut être perçu comme maléfique ou bénéfique, le système dans lequel il intervient se révélant en négatif comme réellement harmonieux ou au contraire totalement oppressant. Cette ambiguïté n’est sans doute pas pour rien dans la tendance insidieuse qu’ont les organi­sations à chercher la régularité, à se doter de routines... Il y a quelque chose de confortable à un monde réglé comme du papier à musique, sans fausse note possible, mais sans aucune possibilité de nouveauté, de surprise, d’écart, d’adaptation.

Dans la vie des organisations, le confort a une connotation négative. Il sous-entend assoupissement, parfois sclérose. Au début de l’histoire racontée par son PDG Patrick Pouyanné, Total vit confortablement et les règles et outils construits pour évoluer dans ce contexte coupent l’entreprise du réel. Le monde que découvre Laurent Pellegrin en arrivant dans la préfecture de Tulle « vit sur un mode assez consensuel et il ne se passe pas grand-chose ». La fonction publique, empire de la régularité, pose la question de sa mise en mouvement.

Sans licencier, Total est devenue la plus rentable des cinq majors pétrolières. Les services publics se sont mis en mouvement au passage de Laurent Pellegrin. Le robot de CFT Industrie a entraîné une trans­formation complète de l’entreprise, au point qu’elle pourrait revendiquer le qualificatif d’entreprise libérée. L’agriculture se réinvente, elle devient frugale et précise. Et Ubisoft continue à s’approprier les technologies disruptives pour enrichir ou faire évoluer ses propositions dans le divertissement.

Hors des règles, le chaos ! C’est en tirant parti de ce chaos que Patrick Pouyanné a relancé Total. Car les épisodes chaotiques de la vie des organisations peuvent permettre de remettre à plat leurs règles, de remobiliser les acteurs, les sortir d’un certain confort, leur permettre de redonner un sens, de retrouver curiosité et goût de l’apprentissage. De redonner vie.

À la fin de l’histoire, dans la littérature, l’étranger est parti ou s’est installé. L’erreur administrative a été réparée, ou ne l’a pas été. Le corps étranger a été éjecté, ou absorbé. Dans tous les cas, un nouvel équilibre s’est installé, un nouvel ordre social. Le calme est revenu, pour le meilleur… En attendant un prochain chaos peut-être salvateur.

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