Couverture Les Annales de l'École de Paris du management - Volume 11

Volume XI

Textes de l'année 2004

496 pages

À travers les frontières

Mener ses affaires dans plusieurs pays à la fois n’étonne plus personne. Mais les frontières politiques ne sont plus les seules que le management d’aujourd’hui doit fréquemment franchir. Des domaines qui jusque-là voisinaient en s’ignorant se trouvent mêlés par l’effet de la circulation de plus en plus rapide des hommes, des produits et des informations. Il en résulte des rencontres insolites, des chocs féconds ou dangereux, mais de toute manière des occasions passionnantes de remises en cause et de réflexion. Les travaux de l’École de Paris du management en 2004 ont ainsi fourni l’occasion de franchir toutes sortes de frontières : - frontières nationales ; - frontières privé – public ; - frontières sciences – vie des affaires ; - frontières vie des affaires – bonnes œuvres ; - frontière légalité – délinquance ; - frontière familles – finances ; - frontière vie des affaires – folles aventures. Frontières nationales Les Persans de Montesquieu s’étonnaient de tout et leur correspondance mettait en relief les vertus et les travers des manières de faire françaises. Les Français, friands de ces lettres, s’amusaient des Persans, mais aussi d’eux-mêmes, et cela stimulait la réflexion sur la manière de vivre en société. De même, des séances de l’École de Paris ont été l’occasion de se demander comment on peut être américain (p. 17), allemand (p. 25), africain (p. 401), voire de partout (p. 199, p. 421). Elles ont même permis d’étudier les mœurs un peu exotiques de la commission de Bruxelles (p. 411). n Frontières privé – public Il était entendu pendant longtemps en France qu’il ne fallait pas mélanger les affaires privées et les affaires publiques, et qu’en tout cas le mélange entre argent privé et argent public était impur. On considérait en effet que, de part et d’autre de ces frontières, les affaires étaient régies par des valeurs et des règles distinctes et qu’elles étaient menées par des agents aux statuts et à la légitimité sociale différents. Mais ces frontières sont de plus en plus souvent traversées, avec même l’encouragement des gouvernements de droite et de gauche. Quand on se demande ce que peut faire l’État pour sauver la recherche française (p. 189), on en vient à considérer que l’apport de fonds privés doit être pris en compte dans le pilotage de la recherche publique, et que l’État doit aussi se soucier de soutenir la recherche privée, et d’établir des passerelles entre ces deux mondes ; on sait cependant que cette évolution ne va pas sans heurts, comme les manifestations des chercheurs l’ont rappelé en 2004. L’université est, de son côté, incitée à s’engager dans la formation permanente et, pour cela, à inventer de nouveaux cursus et modes de validation des acquis professionnels ; elle doit aussi mettre en place des coopérations avec la sphère privée. Certaines se protègent en créant des départements séparés pendant que d’autres en font une opportunité pour évoluer (p. 237). On découvrira aussi l’étonnante cohabitation entre crèches associatives et crèches municipales (p. 247). On essaie d’adapter les méthodes du marketing du privé pour mieux vendre à l’opinion les projets de politiques publiques (p. 255). Des objectifs de rationalisation économique sont invoqués et des incitations financières mises en place pour pousser les communes à se regrouper (p. 329). L’INSEE elle-même s’interroge sur la façon dont elle pourrait être plus utile pour apporter son aide aux projets économiques de la France profonde (p. 305). Frontières science – vie des affaires Les sciences sont à la poursuite de la vérité, les hommes d’affaires à la poursuite du profit. Bien sûr, on peut gagner de l’argent avec des découvertes scientifiques, et les savants ont grand besoin d’argent. Mais l’expérience montre que les rencontres sont malaisées car les normes en vigueur dans ces deux univers sont différentes. Plusieurs rencontres de ce type ont été examinées en 2004 : calcul des probabilités et assurances (p. 35), informatique et gestion (p. 85), ordinateurs et design (p.95), biologie et aliments (p. 105), micro-électronique et mondialisation (p. 365). Par ailleurs l’État, ainsi que l’industrie, se préoccupent d’aider, voire de guider, la recherche scientifique, mais l’objet à maîtriser se révèle inconstant et fugace. Certains recommandent d’alléger le ministère de la Recherche en le débarrassant de la gestion des chercheurs pour lui permettre d’avoir la clairvoyance et la souplesse nécessaires pour s’adapter aux évolutions imprévisibles de la science (p. 145). De son côté, l’industrie est amenée à revoir en permanence son organisation pour être en tête de la course aux innovations scientifiques (p. 155, p. 165). Quant aux financiers, qui aiment les certitudes ou à défaut se copient les uns les autres, ils sont toujours à la recherche de bons critères pour investir dans les start-ups (p. 173). Frontières vie des affaires – bonnes œuvres Plus encore que dans le cas de la science, la rencontre des affaires et des bonnes œuvres est problématique. On considère en effet généralement que servir les autres et courir le profit ont des finalités incompatibles : quand on aime, on ne compte pas. C’est ainsi que, paradoxalement, le succès de l’éducation populaire (centres de loisirs, centres sociaux, etc.) se traduit par des crises d’identité pour les associations qui s’y sont consacrées : elles sont contraintes par les normes des financeurs, doivent rendre des comptes comme des entreprises, sont soumises à des appels d’offres et il leur faut inventer comment concilier l’esprit militant et l’esprit gestionnaire (p. 293). À ce titre, la séance consacrée au Téléthon (p. 283) restera un sommet dans les Annales de l’École de Paris car l’obstination de parents désespérés du destin médical de leur enfant a fait jaillir des sommes colossales, qui ont initié une féconde filière d’industrie biotechnologique. D’autres rencontres entre ces deux univers ont été examinées, soit que les méthodes du management viennent au secours des bonnes œuvres, comme le marketing pour l’humanitaire (p. 209) ; soit que des hommes d’affaires se préoccupent de manière désintéressée de redonner vie à leur région (p. 337). Frontières légalité – délinquance Dans la vie des affaires d’aujourd’hui, la justice pénale et la justice civile tiennent une place de plus en plus visible. Face à cette menace, et aux scandales qui ont marqué l’opinion ces dernières années, les entreprises énoncent des règles, créent des chartes ou des procédures internes de dialogue pour que les choix soient plus éthiques. Mais les déclarations vertueuses peuvent rester incantatoires tant qu’on n’arrive pas à peser sur les mécanismes qui conduisent aux dérives, et d’abord à mieux les comprendre. C’est un domaine difficile à explorer pour des raisons évidentes de secret, mais l’École de Paris a pu y lancer quelques coups de projecteur pleins d’enseignement : psychologie de la corruption (p. 47), mœurs cruelles entre collaborateurs d’une grande surface de distribution (p. 67), travail au noir en Italie (p. 357), droit de la propriété intellectuelle (p. 125). Frontières familles – finances Tout se mondialise, certes. Mais on constate que des terroirs, des régions, des villes, des familles se découvrent une volonté de vivre et de rayonner chacun à sa manière, en sauvegardant les cultures et les liens personnels tissés par l’histoire, tout en réussissant dans la guerre économique. C’est ainsi que l’École de Paris, en particulier dans son séminaire Entrepreneurs, villes et territoires, a entendu de passionnants témoignages de Basques (p. 227), du Lot-et-Garonne (p. 323), de Valenciennes (p. 347), de la Marne (p. 373). La ville de Paris elle-même se demande comment elle peut se doter d’une identité plus attractive pour les entreprises (p. 381). On a aussi examiné comment une tradition familiale séculaire a sauvé de la ruine un domaine qui porte témoignage sur des merveilles du XIXe siècle (p. 275). Enfin, une soirée des invités (p. 391) a mis en évidence la surprenante performance des affaires à capitaux familiaux quand elles confient le management à des cadres compétents extérieurs à la famille. Frontières vie des affaires – folle aventure Les affaires les plus classiques sont aujourd’hui chargées de menaces, mais de hardis entrepreneurs y ajoutent un grain de folie qui débouche parfois sur des succès, parfois sur d’instructifs échecs. Un entrepreneur raconte qu’il ne se mobilise que sur les cas désespérés (p. 57), une bande de joyeux copains crée le Club Med (p. 77), une hôtesse de l’air raconte les rudes aventures que recèle un avion de ligne (p. 217), nous participons à des expéditions polaires (p. 265), et on apprend comment la ville de Saint-Denis a tiré parti de la création du Grand Stade (p. 315). Un survivant de la bulle internet raconte comment à l’époque sa start-up a explosé en vol (p. 117). Deux enseignants-chercheurs témoignent sur la façon dont ils préparent les ingénieurs à penser des innovations radicales tout en prenant en compte les différentes dimensions de leur mise en œuvre (p. 181). Ce n’est pas, on le sait, parce qu’une idée est séduisante qu’elle est efficace, comme l’illustre d’ailleurs une séance sur l’idée à la mode de “modularisation” des produits dans l’automobile (p. 135). Il faut donc rêver d’un monde meilleur tout en restant les pieds sur terre. Être animé de folies raisonnables, ce qui est un dénominateur commun des orateurs de l’École de Paris.
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