Le Journal de l'École de Paris - septembre/octobre 2008

Vaincre la fatalité et les inerties

septembre/octobre 2008

L'édito de Michel BERRY

La rentrée d’automne est le moment des bonnes résolutions : j’arrête de fumer, je vais faire du sport, je vais lire, je serai disponible pour mes proches, etc. Ces résolutions ne résistent guère à la pression des agendas et des enjeux, mais il est bon de rêver à une vie meilleure. De même on rêve de transformer radicalement la manière dont fonctionnent nos organisations : telle entreprise très gauloise se rêve globale, telle autre très hiérarchisée rêve d’une décentralisation libérant les énergies. Mais, tout comme les humains, les entreprises sont soumises à un fort principe d’inertie, et la politique de la tabula rasa des partisans des réformes radicales ne marche guère. Sauf dans des circonstances exceptionnelles où apparaissent des marges de manœuvre inhabituelles, qui permettent de faire comme si l’on partait d’une feuille blanche. C’est ce qui s’est produit dans des sujets réunis ici pour faire un numéro de rentrée roboratif : il y a de la joie, comme dit Claude Riveline dans sa page Idées. Il en faut en tout cas pour éviter la morosité délétère qui prend parfois les Français. Le cas de Citroën montre comment, lorsque tout va mal, apparaît un espace pour se lancer dans des projets audacieux : part de marché stagnante, rentabilité négative, image médiocre, opinion selon laquelle “Citroën a beaucoup innové mais maintenant c’est fini.”, sont autant d’éléments qui ont permis à Claude Satinet de lancer en 1997 une idée un peu folle : relancer Citroën par le design. Deux articles montrent comment les terrae incognitae motivent les esprits curieux et stimulent l’innovation. Le projet d’Essilor de vendre des lunettes aux pauvres en Inde était extravagant au regard de nos critères traditionnels. On verra pourtant comment Patrick Cherrier et Bhuvaraghan Jayanth se sont organisés pour créer un business rentable en vendant des lunettes à 5 $ : il fallait simplement tout inventer. L’Essec avait dans son environnement urbain de quoi s’interroger : des jeunes de Cergy Saint-Christophe ou d’autres banlieues stigmatisées ne peuvent-ils envisager les Grandes écoles ? Il y a certainement dans ces lieux des talents en friche, et comme il y a plus de places dans les écoles recrutant par concours qu’il n’y a d’élèves en prépas, c’était une voie à explorer. Thierry Sibieude fait part du cheminement de l’Essec, repris maintenant par d’autres Grandes écoles. Paul Andreu a pu saisir pour la création de l’Opéra de Pékin des opportunités inhabituelles : la proximité des Jeux Olympiques, l’ambition nouvelle de la Chine qui se manifeste jusque dans des projets architecturaux propres à éblouir, le savoir-faire chinois et le bas coût de la main-d’œuvre. Il a ainsi pu transgresser les règles mises en place par les Chinois eux-mêmes et aboutir à une création magnifique. Mais la feuille blanche suscite l’angoisse, surtout chez les esprits épris d’ordre : pour créer, il faut accepter de vivre au moins un temps dans un certain désordre. Or, dans la vie des organisations, ce qu’on sait le mieux penser, selon Eric Abrahamson, c’est l’ordre. Il faut selon lui savoir doser la proportion entre ordre et désordre, la part du désordre devant augmenter dans un monde qui bouge très vite. Bonne rentrée donc. Qu’elle soit sérieuse face aux enjeux lourds auxquels nous sommes confrontés, mais qu’elle fasse aussi une belle part aux joyeux désordres créatifs.
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