Le Journal de l'École de Paris - novembre/décembre 2003

Débrouillards et virtuoses

novembre/décembre 2003

L'édito de Michel BERRY

On trouve dans le Petit Robert les deux définitions suivantes. DÉBROUILLARD FAM : Qui sait se débrouiller, se tirer facilement d'affaires. CONTR Empoté, gauche, maladroit. VIRTUOSE 1. Personne extrêmement douée ; " amateur des sciences et des beaux-arts, qui en favorise le progrès " (ENCYCL.). (…) 2. Musicien exécutant doué d'une technique brillante. (…). Adj . Il est plus virtuose qu'inspiré. 3. Personne, artiste extrêmement habile (dans une activité artistique ou autre) dont le métier, la technique sont supérieurs. La vie des affaires place les acteurs face à des situations compliquées dans lesquelles les empotés se perdent. Le débrouillard, lui, se tire facilement d'affaire. Cette définition renvoie à une vision défensive : le débrouillard paraît surtout animé par sa survie propre. Laisser sa marque, construire une œuvre demande plus : poursuivre un idéal de progrès, comme l'amateur de sciences ou de beaux-arts, dominer ses peurs et développer un savoir-faire hors du commun, comme les virtuoses. Voyons comment ces qualités sont à l'œuvre dans ce numéro. Pierre Gaudin aurait pu se contenter d'être un petit éditeur se consacrant à un format de livre et un champ disciplinaire. Mais il s'était fait éditeur parce qu'il ne trouvait pas les ouvrages qu'il aurait aimé lire. Il publie donc ses coups de cœur. Comme ses goûts sont fort éclectiques, cela donne un catalogue inclassable, voire des livres au format impossible. On verra la virtuosité qu'il déploie pour y arriver, tout en se montrant débrouillard comme dans cet épisode où il s'est acquis la réputation de "l'éditeur qui livre plus vite que son ombre" ou dans ses ingénieux montages pour toucher des subventions. Henri et François de Maublanc ne sont pas nés pour une vie ordinaire. Henri, polytechnicien, acteur de cinéma, concurrent de la coupe de l'America, inventeur de services minitel, devait bien sûr se lancer dans la "nouvelle économie". François, énarque, cofondateur de l'académie musicale des Arcs, aimait trop les fleurs pour se contenter d'une carrière industrielle. Après avoir créé des magasins de fleurs et constaté que les horaires des clients se mariaient mal avec la RTT du personnel, il fonde Aquarelle.com avec Henri pour vendre des fleurs par l'internet. On verra leur génie pour associer fleurs, internet, efficacité et sentiments. Il n'y a aucun doute, le capitaine Joël Terry est un virtuose du maintien de l'ordre. Il l'exerce avec exigence, autorité, ouverture d'esprit, disponibilité envers autrui ; il est si soucieux de se perfectionner, et a une idée si haute de la police qu'il exerce son métier comme un art qu'il est soucieux de faire progresser. Mais cet art est méconnu du public et le policier doit même parfois affronter les quolibets des bonnes gens, abusés par la comédie de petits débrouillards interpellés après un délit. Quel est le rapport de la tontine avec notre sujet ? Alain Henry l'explique. Les adhérents d'une tontine mettent en commun des cotisations et chacun prend la cagnotte à tour de rôle. Les règles en sont rigides : arriver en retard aux réunions, ne pas verser sa cotisation exposent à de graves représailles. Le déroulement des réunions est lui-même austère. Les Occidentaux ne comprennent pas la fonction de ces rituels féroces. Mais ceux qui réussissent en Afrique sont harcelés de demandes et refuser sans paraître méchant leur est très difficile ; sauf quand ils disent qu'ils ont besoin de l'argent pour la tontine. Dans un monde régi par la débrouille, il faut bien des règles protectrices pour permettre aux talents sortant de l'ordinaire de s'exprimer.
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