Le Journal de l'École de Paris - janvier/février 2003

Le profit n'est pas tout

janvier/février 2003

L'édito de Michel BERRY

Ce numéro témoigne d'aventures où il s'est agi d'inventer de nouvelles manières de concilier vie des affaires et vie collective. Des acteurs ont transformé des utopies, que le grand-père Diofo, dans L'esprit de l'escalier d'Elisabeth Bourguinat, appelle les choses de nulle part, en choses de quelque part en les adaptant à des contextes singuliers. La Smart n'est pas seulement une voiture différente, elle est le fruit d'un projet qui visait à révolutionner les relations avec les clients, la distribution, les fournisseurs et les salariés. Pascal Kuhn montre que, si le principe de réalité a fait renoncer à certains traits de l'utopie de départ, le système Smart engendre passion et fierté chez le personnel et paraît à Mercedes suffisamment remarquable pour le soutenir bien qu'il ne soit pas encore rentable. Selon Grégoire Olivier, la Sagem fait le contraire de ce que recommandent les livres de management d'aujourd'hui : elle est très française, se déploie dans plusieurs métiers, garde ses usines, est petite par rapport à ses concurrents et garde beaucoup d'argent disponible. En plus, les salariés contrôlent le capital. Mais le système Sagem, né d'une volonté de se défendre d'un prédateur, entretient un esprit de conquête qui permet de réussir dans des marchés difficiles, même si ses singularités intriguent les financiers. Quand Marc Bourgeois et ses amis ont cherché à créer une entreprise, ce n'était pas pour devenir riches mais pour changer le monde. Ils n'y sont pas vraiment arrivés, mais ils ont inventé pour eux-mêmes un nouveau rapport entre vie professionnelle, vie privée et vie de citoyen et espèrent que cela incitera d'autres à faire de même. Les participants au séminaire ont en tout cas été interloqués par la façon dont cette expérience a résisté aux trois virus qui menacent ce genre d'utopies, l'argent, le pouvoir et la famille, sources permanentes de périls et de conflits. Une forme nouvelle d'aide au développement connaît un essor extraordinaire : la microfinance, dans laquelle on prête à de petites gens du Tiers monde de petites sommes sur des durées courtes avec des remboursements fréquents. N'est-ce pas de l'usure, car les taux d'intérêt sont de 30 à 40 % ? À quoi les acteurs de la microfinance répondent que les frais sont élevés pour gérer ces petites sommes et que les taux des usuriers sont plutôt de 150 % dans les mêmes contrées. L'impact de la microfinance ne s'évalue cependant pas par des critères purement économiques. Deux aspects sont importants pour juger de son apport : habitue-t-elle les bénéficiaires à se projeter dans l'avenir pour passer d'une logique de survie à une logique entrepreneuriale ? tire-elle bien parti des liens sociaux existants ? Claude Riveline rapporte dans la page Idées l'étonnante épopée des Bénédictins, à l'origine de l'économie européenne moderne alors qu'ils fuyaient le profit. Aujourd'hui encore, le profit sacralisé par les théories économiques n'est vraiment pas tout.
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