Le Journal de l'École de Paris - Septembre/octobre 2000

Virages et mirages  de la nouvelle économie

Septembre/octobre 2000

L'édito de Michel BERRY

Parcourez des journaux anciens, et vous vous réjouirez des prévisions de nos ancêtres sur les effets de l'électricité ou du téléphone. On trouve des prémonitions assez justes, mais aussi beaucoup de mirages. Il en sera sans doute de même pour la révolution de la nouvelle économie. Que faire, se laisser bercer par les rêves ? Il est vrai qu'après les années de plomb des restructurations, cela fait du bien de sentir une ambiance de conquête. Mais il est des mirages dangereux, comme pour les Dupondt dans Tintin au pays de l'or noir : on peut s'épuiser à courir vers un but qui se dérobe ou percuter des obstacles qu'on prenait pour des mirages. On peut lire dans cet esprit les articles de ce numéro. En 1995, Pascal Jellimann fait une étude pour une compagnie d'assurances sur les effets à attendre du "multimédia". Pour lui, l'internet va apporter des changements dévastateurs, mais pour ses interlocuteurs ce n'est qu'un mirage. Il trouve toutefois des subterfuges pour faire avancer les choses, ce qui lui permet au passage de formuler une théorie sur la gestion du long terme par le court terme. Finalement, la compagnie prend de l'avance en matière d'internet. Ce sera un atout si le bouleversement annoncé survient. Sera-ce le cas ? Ce n'est pas sûr : un enjeu clé pour les assurances est le contentieux, et, ça, ce n'est pas de la nouvelle économie … Avec Bernard Maître, nous voici dans le monde des start-ups. On comprend ce qui fascine : elles inventent des techniques pour changer le monde (1)  ; elles offrent aux capitalistes des perspectives  de belles plus-values ; elles n'exigent des entrepreneurs que des investissements minimes ; elles s'appuient sur de petites équipes enthousiastes. Pourtant tout ne va pas comme dans un rêve. Les échecs de sites jugés prometteurs sont fréquents et les "bonnes idées qui permettent de faire fortune" ne valent souvent rien du tout : ce qui compte, c'est un bon business plan et une équipe capable de le mener à bien. Voilà qui n'est pas spécialement nouveau. Christian Navarre s'est installé deux heures par jour devant son ordinateur pour observer les sites internet de vente d'automobiles en Amérique du nord. Pour lui, une révolution de la distribution automobile est en marche. Mais nul ne sait prédire si le modèle traditionnel est condamné ni lequel gagnera parmi les nouveaux modèles qui s'affrontent. Quand les choses seront décantées, il ne manquera cependant pas de spécialistes de la prévision dans un rétroviseur pour s'étonner que les acteurs aient pu être aussi aveugles face à des évolutions "évidentes". On rêve depuis longtemps de télémédecine lorsque les distances sont grandes ou les malades difficilement transportables ; ou tout simplement pour rationaliser l'organisation des soins. Mais, malgré les progrès des matériels, ce rêve ne se concrétise que lentement. Le témoignage de Catherine Viens-Bitker permet de le comprendre, en faisant mesurer l'ampleur des problèmes diplomatiques, organisationnels, économiques, juridiques et autres à résoudre. On dira peut-être que je suis négatif. Mais si le virtuel est ce qui fait rêver aujourd'hui, le réel, c'est ce qui résiste. Les pionniers de l'aviation avaient la tête dans les nuages, mais devaient se soucier au plus haut point des lois de la nature, sinon elles les ramenaient promptement sur terre. Serait-il sage de faire fi du réel dans la nouvelle économie ?   (1) "Peut-être pas tant que cela", dit toutefois Claude Riveline dans la page "Idées"
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