Le Journal de l'École de Paris - janvier/février 2009

Entreprises en quête d'identité

janvier/février 2009

L'édito de Michel BERRY

On a pu dire que les poissons n’ont pas de théorie sur l’eau, tellement ils s’y sentent dans leur élément. Mais si jamais elle vient à leur manquer, ils mesurent à quel point elle leur est essentielle. Toutefois ils vivent alors une telle crise existentielle qu’ils ne sont pas en situation de réfléchir avec distance sur le rôle de l’eau dans leur vie. Il en va de même pour l’identité : tant qu’elle n’est pas agressée, on ne s’interroge guère à son sujet. Mais qu’elle soit mise en cause, et cela met dans un état de panique qui ne se prête pas facilement à l’analyse. Ce qui est vrai des personnes peut se transposer aux groupes humains, aux entreprises et aux nations, dont les identités sont bousculées par les bouleversements d’aujourd’hui. Qu’est-ce donc que l’identité et comment peut-elle évoluer ? C’est le thème de ce numéro. Après avoir été surpris par la répétition par de grandes entreprises de choix néfastes pour elles, Hamid Bouchikhi et John Kimberly ont postulé que cela tenait à ce qu’on peut appeler leur identité. L’identité est-elle figée ? Non : les fusions remettent en cause celles des partenaires ; des dirigeants peuvent créer des séismes identitaires avec succès, nombreux étant cependant ceux qui s’y brûlent les ailes. Est-elle unique ? Non, les organisations sont le siège d’identités multiples, et les individus peuvent avoir des identités différentes selon les contextes. Finalement, la notion d’identité est à manier avec discernement, une idée clé serait plutôt celle de travail identitaire. La Verrerie cristallerie d’Arques était possédée par la même famille depuis plus de cent ans, et dirigée par le même homme pendant soixante-dix ans. Connaissant une croissance continue, elle était profondément ancrée dans son Pas-de-Calais tout en diffusant ses produits dans le monde, et le personnel ne doutait pas que ses enfants prendraient sa suite. Puis ce fut la crise et la nécessité de remettre en cause ce modèle, de définir un mode d’organisation radicalement différent, et de créer une identité nouvelle, ce qu’explique José-Maria Aulotte. Au début des années 70, la télévision américaine n’attirait plus et une équipe de jeunes passionnés, disposant de ressources financières considérables, a lancé le pari de créer une chaîne sans publicité qui ne se soucie pas d’audimat, en misant sur la qualité et en donnant carte blanche aux créateurs. Son succès a été tel qu’elle a redéfini les codes de la télévision. Steve Scheffer montre comment fonctionnait la joyeuse bande de créateurs. Une fois les déviants devenus les maîtres, sauront-ils garder leur capacité d’invention ? À l’hôpital, chirurgiens, anesthésistes, radiologues, gestionnaires de blocs, etc., doivent coopérer, ce qui ne va pas sans mal : tous sont fiers de leur identité et la gèrent selon des systèmes corporatistes cloisonnés. Pour Laurent Sedel, chirurgien en colère, les économies d’échelle accroissent même les méfaits du corporatisme, alors qu’il ne faudrait pas grand-chose pour valoriser les grands atouts de la médecine française. À part cependant une redéfinition des modèles identitaires de tous les acteurs… Que sont les cadres devenus ? Ils ne sont ni du monde des dirigeants ni des exécutants, tout en ayant de lourdes responsabilités qui créent un tiraillement entre vie professionnelle et vie privée. Leurs identités sont alors sérieusement bousculées, ce qui peut même les conduire à la révolte, sujet du livre de Jean-Claude Thoenig et David Courpasson. Les syndicats et les patrons pourraient en être interpellés et François Chérèque et Jean-François Pilliard donnent leurs vues sur la question. Le travail identitaire fera partie des grands chantiers du XXIe siècle.
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