Le Journal de l'École de Paris - Mai / Juin 2020

Un monde de flux

Mai / Juin 2020

L'édito de Thomas PARIS

La crise du Covid-19 a agi comme un agent de contraste, ces substances utilisées en imagerie médicale pour mettre en exergue des structures anatomiques. Le nouveau coronavirus a révélé les flux qui structurent le monde. Ou plutôt, il a révélé leur complexité à travers notre incapacité à endiguer rapidement sa propagation. Flux de personnes, de marchandises, d’objets quotidiens, contacts interindividuels… La quête des patients “zéro” et des chaînes de transmission comme l’évolution des recommandations sanitaires – les gestes barrières – traduisaient la recherche des voies de propagation du virus en même temps que la révélation pas à pas de l’écheveau complexe qui structure notre monde.

Le monde est fait de flux, à différentes échelles.

L’échelle mondiale, d’abord. Le commerce international tourne autour de voies d’échange, au premier rang desquelles les 55 000 bateaux qui sillonnent les mers du globe en permanence pour transporter 90 % de ce que nous consommons. Par les bateaux de compétition qu’il conçoit depuis trente-six ans, l’architecte naval Marc Van Peteghem a tout gagné. Sensibilisé aux enjeux environnementaux, il a réorienté ses compétences pour les mettre au service du virement de bord qu’il s’agit d’impulser à notre monde, en travaillant à la décarbonation du transport maritime.

Les systèmes de paiement sont les infrastructures de nos échanges. L’Afrique est en passe de se transformer par le développement d’un système de paiement par le téléphone mobile qui s’avère très adapté au contexte du continent. Si Orange Money disparaissait dans un pays comme le Mali, indique Marc Rennard, le pays s’immobiliserait.

Le déploiement du numérique s’est accompagné de la montée en puissance des plateformes, carrefours ou aiguilleurs des flux d’information. Elles opèrent dans le monde virtuel, mais impactent aussi le monde physique. Dans l’industrie, les plateformes se déploient et entraînent une révolution qui se traduit, chez Airbus, par des gains de productivité à deux chiffres, et chez GRTgaz, par une plus grande efficacité dans le transport énergétique, un autre élément constitutif des flux du monde.

Les mobilités des personnes évoluent radicalement, en même temps que les villes. Au cœur de ces mutations, l’industrie automobile est confrontée à un défi de taille, que certains acteurs, comme Renault et Valeo, ont pris à bras-le-corps. Ces transformations impliquent une réorganisation de nombreux flux : de l’énergie, avec la perspective d’utiliser les batteries comme solution de stockage pour les énergéticiens, jusqu’aux collaborations entre acteurs, sur l’innovation par exemple.
Au niveau territorial, La Poste s’est imposée comme un réseau de nœuds autour desquels s’orchestre un flux permanent, incarné par la figure du facteur. Alors que le courrier et la presse, vecteurs de cohésion sociale, perdent du terrain, elle cherche à se réinventer sur ce maillage territorial et se redécouvre un rôle essentiel dans les services à la personne.

Bateaux, informations, argent physique ou virtuel, individus sont engagés dans une farandole effrénée. Le ralentissement provoqué par le Covid-19 nous a fait basculer dans un régime nouveau, qui s’apparentait à une mise en arrêt du monde, à tel point surréaliste qu’elle a pu conduire le président de la République française, dans un même discours, à expliquer à ses concitoyens comment se laver les mains et à « interroger le modèle dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies ». Interroger ce modèle est d’autant plus important qu’il l’est déjà dans les faits, par la transformation de fond qui touche son épine dorsale – les flux – dans ses différentes échelles. 

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