Le Journal de l'École de Paris - juillet/août 2002

Patrons

juillet/août 2002

L'édito de Michel BERRY

Les quatre patrons en couverture de ce numéro ont engagé leurs entreprises dans des voies très différentes bien que produisant tous des automobiles pour des marchés semblables : André Citroën et Louis Renault en France, Henry Ford et Alfred Sloan aux Etats-Unis. Même si tout ne leur a pas toujours réussi, ils ont donné une âme à leurs entreprises, encore sensible aujourd'hui, près d'un siècle après. Le patrons inventent l'histoire au lieu de se laisser dominer par les appareils et les situations. Voyons sous cet angle les quatre articles de ce numéro. Royal Canin vivait une petite vie tranquille lorsque Henri Lagarde, le nouveau patron, a tout bouleversé en mobilisant ses collaborateurs pour satisfaire son inlassable curiosité : quel est le poids du tube digestif d'un chien par rapport à son poids total ? comment donc mange un chat persan ? comment innover avec la distribution spécialisée ? etc. Cela aurait pu donner le tournis mais tous ces bouillonnements avaient des buts précis : améliorer la productivité, trouver de nouveaux marchés, valoriser l'action de Royal Canin. Henri Lagarde a la curiosité efficace. L'aubergiste d'antan est un homme jovial, bien dans sa peau et accueillant pour donner repros et plaisir à des gens harassés par les voyages en diligence. Aussi, il restaure les corps et les esprits, fournissant logement, nourriture et conversation. Cette tradition se perd avec la bousculade de la vie moderne, mais Jean-Paul Bucher veut la sauvegarder. En acquérant en 1968 la brasserie Flo, il a pu donner libre cours à son goût de l'accueil, et sa manière a tellement plu que le groupe Flo est désormais propriétaire de toutes les grandes brasseries. Le défi est bien sûr de maintenir dans cet empire ce savoir-accueillir. Le Balzac n'est pas un cinéma comme les autres car son patron n'est pas comme les autres. Pour Jean-Jacques Schpoliansky, sa salle ne doit pas être seulement un lieu où l'on maximise les recettes avec des films en tête du box office, mais un lieu de vie culturelle. Il programme des films d'auteurs, soutient les créateurs et fidélise son public par des rituels grâce auxquels il fait partager sa passion pour la culture sous toutes ses formes, du cinéma à la musique en passant par la cuisine ou la peinture. Et il se bat pour défendre son approche. La façon dont le Balzac réinvente le cinéma est maintenant connue au delà de la France, et des artistes ou des responsables de la culture viennent de partout pour appuyer sa démarche. Parthenay, ville de 12 000 habitants dont le déclin semblait inexorable en 1980, a été classée en 2000 parmi les cinq communes les plus ingénieuses du monde aux côtés de Singapour. Voilà qui n'est pas banal, mais Michel Hervé, artisan de cette mutation, sort de l'ordinaire. À la fois maire, chef d'entreprise, député, conseiller général, et président d'organismes d'utilité collective, il n'a eu de cesse que de mettre en relation des mondes qui s'ignorent et de faire du dialogue une source de progrès. Cela a facilité le désenclavement de Parthenay, mais il est difficile d'être un patron dans la vie politique, Michel Hervé en a fait l'expérience. Un patron doit rassurer, entraîner, parfois aussi rudoyer, ce qui ne lui est pas facile s'il doit se soumettre aux votes de ceux qu'il veut conduire. C'est sans doute pourquoi, comme le dit Claude Riveline dans la page Idées ci-après, on voit si peu d'hommes d'État dans nos démocraties, en dehors de crises graves, alors que se révèlent nombre de patrons d'entreprises. Il est vrai que l'ambiance de crise est devenue la norme de la vie des affaires d'aujourd'hui.
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